Notes de la FRS

La planification des crises terroristes en France – Les premières leçons du 11 septembre 2001

Note de la FRS n°28/2021
Claude Wachtel
6 septembre 2021

Ce jour-là…

Ce 11 septembre 2001, nous sommes en réunion dans les locaux de la Sécurité civile lorsqu’on m’appelle du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN)En 2009, le SGDN est rebaptisé Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). pour que je rentre immédiatement en raison d’attentats tout juste survenus aux États-Unis. Je travaille à l’époque sur les plans antiterroristes et il faut être prêt à demander le déclenchement du plan Piratair-Intrusair compte tenu de la possibilité d’actions simultanées en Europe. Nous prenons conscience de la gravité de la situation en passant à l’accueil de la direction de la sécurité civile, où un téléviseur montre en direct les tours jumelles de New York en train de brûler.

Nous comprenons que le terrorisme vient d’entrer dans une nouvelle ère, dans laquelle les attaques peuvent être de vrais actes de guerre. 17 400 personnes sont présentes ce matin-là dans les tours. L’action héroïque des pompiers (343 morts) et des policiers (60 morts) fera qu’il y aura « seulement » 2 753 décès sur ce site.

Le défi de ce « mégaterrorisme » va nous mobiliser pendant plusieurs mois afin de réduire nos vulnérabilités à ce type d’attaques ainsi qu’à d’autres formes nouvelles de terrorisme. Les réunions interministérielles s’enchaînent à Matignon à un rythme soutenu. Tous les sujets y sont examinés, de la sécurité aérienne aux transports terrestres, des moyens de secours à la protection des infrastructures.

Vers une évolution des plans antiterroristes

A l’époque, la France dispose de cinq plans antiterroristes : Vigipirate (prévention du terrorisme), Piratair-Intrusair (terrorisme aérien), Pirate Mer (terrorisme ou piraterie maritime), Piratox (terrorisme par agents toxiques), Piratome (emploi de matières nucléaires ou radioactives). Quant au plan confidentiel Vigipirate, il a été compromis, et un quotidien en a publié des extraits. Les lecteurs ont pu constater qu’il s’agissait d’une instruction interministérielle de cadrage plutôt que d’un véritable plan d’action, les mesures à prendre n’y figurant pas.

Au lendemain du 11 septembre, il nous paraît nécessaire d’ajouter un plan supplémentaire qui sera d’abord baptisé Mégapirate. Il doit s’agir d’un plan de vigilance, de prévention et de protection et non d’un plan de réponse à un attentat. Son principe est de décliner un ensemble très complet de mesures préventives. Le nom de Mégapirate ne sera finalement pas retenu et il remplacera l’ancien plan Vigipirate, dont il conservera le nom.

Au SGDN, l’élaboration de ce plan rénové est entreprise. Un ingénieur géographe est chargé de la première partie du plan, avec la stratégie et ses principes de mise en œuvre. Le directeur de la protection et de la sécurité de l’Etat me confie la deuxième partie, avec le « catalogue des mesures » dont je lui avais proposé la création. Nous déterminons une douzaine de domaines allant des transports terrestres au NRBC en passant par la protection de la chaîne alimentaire, contenant au total 300 mesures qui sont classées selon des couleurs – vert, jaune, orange, rouge et écarlate –, en fonction du niveau de la menace terroriste où elles s’appliquent et des contraintes qu’elles entraînent.

Aucune de ces mesures n’est obligatoire. Elles seront examinées lors de réunions interministérielles pour déterminer celles qu’il faut activer et celles que l’on peut suspendre. Si certains ont pu croire que le plan était rigide parce qu’il restait au niveau rouge, la réalité est qu’il évoluait en permanence en fonction de la période de l’année, des grands événements, du contexte terroriste, etc.Voir « Faire face ensemble », partie publique du plan Vigipirate, SGDSN, décembre 2016.

Le premier attentat biologique

Au lendemain du 11 septembre, on parle beaucoup de la menace de terrorisme nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC), sujet sur lequel le SGDN travaille depuis le début des années 1980. Avant même les attentats du métro de Tokyo en mars 1995, le SGDN avait obtenu un mandat du Premier ministre pour créer un dispositif interministériel visant à prévenir de tels attentats et à lutter contre leurs conséquences.

Le terrorisme biologique a été pris en compte tardivement. Fin 1999, notre directeur me demande d’animer un groupe qui va préparer un plan gouvernemental en cas d’attentat biologique. A l’été 2001, ce plan interministériel « Biotox » est prêtMichel Curé (coord.), Le risque biologique, Abrégés, Editions Masson, Paris, 2004, p. 216. et il est approuvé par le Premier ministre le 25 septembre 2001.

C’est le 5 octobre qu’une dépêche annonce la mort d’un employé d’un journal de Floride atteint par la maladie du charbon. Si les médias évoquent une origine naturelle, nous sommes plus réservés au SGDN car les atteintes humaines sont rares et concernent surtout le personnel des élevages et non un rédacteur de journal. Le lendemain on apprend qu’une autre personne est touchée par la maladie dans les mêmes circonstances : la thèse du terrorisme biologique se confirme. Au bout d’environ un mois, on déplorera 22 cas de charbon aux États-Unis, avec cinq décès, mais il y aura encore des dizaines de milliers de fausses alertes de par le monde.

En 2010, Biotox sera intégré dans un plan gouvernemental « NRBC » unique. Une raison majeure de ce regroupement tient à la difficulté de déterminer rapidement si un événement suspect est lié à un agent chimique, biologique, voire radiologique. La seconde raison tient à la nécessité de simplifier le dispositif des plans gouvernementaux afin d’améliorer son efficacité opérationnelle.

Les défis du « Cygne noir »

Une difficulté majeure de la planification est la réticence fréquente à prendre en compte ce que les Anglo-Saxons appellent « The Black Swan » (le Cygne Noir), c’est-à-dire le pire des scénarios. Les attentats du 11 septembre 2001 en ont fait la démonstration car le mode opératoire des avions détournés percutant des cibles avait déjà été évoqué par les médias et probablement déjà envisagé par des terroristes. Les États-Unis auraient donc pu en tirer des leçons, mais ce ne fut pas le cas. Le déni des catastrophes hors normes est une réaction fréquente de défense des êtres humains, notamment parce qu’elles les projettent dans des dimensions qu’ils ne savent pas maîtriser : l’incertitude, l’inconnu, le dépassement des moyens. Depuis, certains pays ont progressé, acceptant de monter des exercices sur des scénarios de dépassement des moyens qui débutent par une phase relativement longue de « flou », afin d’apprendre à gérer l’incertitude, à utiliser les plans et à imaginer des réponses inédites en situation de crise. Au-delà des exercices d’ampleur qu’il programme chaque année, le SGDSN a réalisé à plusieurs reprises de tels exercices sur table où plusieurs dizaines de représentants de différents ministères, d’organismes publics et privés ou de laboratoires de recherche se retrouvent autour d’une table pour apprendre à gérer des situations hors normes.