La suspension des comptes personnels de Donald Trump par les grands réseaux sociaux américains a été l’acte – final ? – de la défiance établie depuis des années entre le président américain et eux. Alors que le président américain n’a eu de cesse de les utiliser pour sa communication tout en les menaçant – Facebook en particulier – de démantèlement, il a finalement été pris au piège de sa propre communication, considérée comme ayant dépassé les limites fixées par les conditions d’utilisation des plateformes. La relation amour-haine entre le quarante-cinquième président des Etats-Unis et les GAFAM (Google-Amazon-Facebook-Apple-Microsoft) a été l’un des déterminants de sa présidence, avec la « diplomatie du tweet » comme innovation politique forte. Sur fond de crise politique majeure, issue de la contestation du résultat de l’élection présidentielle de 2020, la fin du mandat de D. Trump est marquée par une radicalisation des positions de certains de ses partisans, conduisant à l’attaque du Capitole et à la suspension subséquente des comptes personnels Twitter et Facebook de M. Trump.
En réalité, cette affaire pose la question de la souveraineté entendue au sens de C. Schmitt : est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelleC. Schmitt, Théologie politique, NRF Gallimard, Paris, 1988. ; là, il semble que ce soient les GAFAM qui aient affirmé leur capacité souveraine au détriment de l’Etat. Toutefois, cette question maintes fois débattue de savoir si les entreprises – aujourd’hui du numérique mais hier d’autres secteurs, comme l’énergie – sont plus puissantes que les Etats dans le contexte de la mondialisation, cache des réalités bien plus complexes. Il s’agit ainsi de comprendre à la fois comment s’est instaurée cette communication spécifique et inédite au travers des réseaux sociaux et pourquoi elle a fini par se retourner contre D. Trump, voire contre les décideurs politiques américains de manière plus large.
Le medium et le message
La communication politique mise en place par D. Trump, d’abord comme candidat inattendu puis comme président des Etats-Unis, s’est en grande partie effectuée au travers des réseaux sociaux, à commencer par Twitter, devenu – malgré lui – l’instrument privilégié de D. Trump. Qu’il s’agisse d’invectiver ses adversaires – pensons à Kim J. U. – ou de donner son avis sur telle ou telle affaire majeure, le président des Etats-Unis avait démontré son appétence pour les médias cyber. Occupant le devant de la scène grâce à une communication maximaliste, faite de phrases choc et d’emphases guerrières, D. Trump avait, sans le vouloir, contribué à la croissance de Twitter comme medium d’information majeur.
La stratégie d'occupation d'espace caractérisant la communication présidentielle tendait à imprimer une image de « vérité » – comprendre sans le filtre des conseillers –, avec une personnalisation à outrance assortie d’un « effet de fouillis ». A la fois acteur et diffuseur de l’information, D. Trump a su se faire son propre porte-voix, voire une sorte d’auto-journaliste. En ce sens, il a parfaitement saisi la véritable essence du web 2.0 – celui des réseaux sociaux –, à savoir l’abolition de la barrière entre producteur et consommateur d’information. Il importe alors de se demander si la communication employée par D. Trump n’est pas consubstantielle aux médias choisis, lesquels tendent à fonctionner sur le modèle de l’engagement par le commentaire ; générant une prime à l’extrêmeLe modèle commentaire/retweet/like qui génère de « l’engagement » fonctionne ainsi aussi bien en pro qu’en contra, faisant des publications populaires celles qui sont les plus émotionnellement fortes, en positif comme en négatif.. D. Trump était également passé maître dans le brouillage de la frontière entre son « corps politique » de président des Etats-Unis et son « corps privé », au sens qu’en donne KantorowiczE. Kantorowicz, Les deux corps du roi, essai sur la théologie politique au Moyen Âge, NRF Gallimard, Paris, 1989.. La « diplomatie du tweet » qu’il a instaurée a été l’une des principales marques de son action qu’il avait voulue la plus directe possible entre ses décisions et leur médiatisation. D. Trump a fait de la désintermédiation la marque de sa communication politique, celle-ci étant brouillée entre ses opinions et ses intérêts personnels d’un côté et sa fonction de président des Etats-Unis de l’autre. S’il a été possible de qualifier sa communication de cyber-populisme, il a démontré une certaine maîtrise des codes des réseaux sociaux, en particulier sur la question du rapport temps/impact de ses messages.
A ce titre, il convient également de rappeler qu’il n’est pas le seul à s’être engagé dans cette voie – le concept de « peopolisation » de la vie politique ne date pas de 2016 – mais qu’il l’a fait plus que tout autre avec une certaine virulence. Ainsi, son attitude n’était parfois pas sans rappeler celle d’H. Chavez, qui employait, lui, la télévision. D’ailleurs, les deux avaient fondé leur stratégie sur l’occupation de l’espace médiatique : H. Chavez par des émissions (« Aló Presidente ») interminables qui faisaient de lui un personnage familier et permanent pour les Vénézuéliens, D. Trump par sa fréquence et son imprévisibilité sur les réseaux sociauxIls sont bien entendu loin d’être les seuls à l’avoir fait ; en Europe, S. Berlusconi procédait d’une manière identique, s’appuyant sur l’empire médiatique Mediaset..
Toutefois se pose également la question de savoir jusqu’où il est possible d’aller pour ces acteurs de la donnée dans la régulation des contenus de certaines personnes. En effet, dans le cas même de D. Trump, il importe de se demander si ce sont les propos tenus sur Twitter, Facebook et autres qui ont entraîné la suspension de ses comptes, ou, de manière plus large, les propos que ce dernier a tenus qui apparaissent insupportables aux dirigeants de ces entreprises. En d’autres termes, le roi a-t-il transgressé les lois fondamentales du royaume de la communication instantanée ? De fait, la question de la régulation opérée par les plateformes de gestion de contenu, à commencer par les réseaux sociaux, se pose avec une acuité inédite.
Les GAFAM et la régulation
Au-delà même de D. Trump – même si l’affaire prend ici une dimension inédite eu égard à sa fonction de président des Etats-Unis –, c’est la question bien plus vaste de la régulation du discours sur les plateformes qui se pose. Les réseaux sociaux ont ainsi été critiqués depuis les débuts de leur existence, au milieu des années 2000Facebook est créé en 2004, Twitter en 2006. , pour la faiblesse de leur modération des contenus, dans une vision très américaine de la liberté d’expressionNotamment le 1er Amendement de la Constitution des Etats-Unis qui garantit la liberté d’expression.. Rapidement s’est posée, sur ces plateformes, la question de la communication des groupes terroristes, lesquels ont su, dès la fin des années 2000, devenir des utilisateurs prolixes – et parfois experts – de leurs fonctionnalités. Les exemples abondent, entre Talibans afghans, Shebabs somaliens ou, plus récemment, Daech, de cette communication terroriste 2.0, destinée à la propagande et au recrutementN. Mazzucchi, « Le cyberterrorisme à l’épreuve de la réalité », Les Cahiers de la sécurité et de la justice, n° 35-36, septembre 2016.. Les réseaux sociaux, longtemps accusés de laxisme sur ce sujet, avaient fini par se saisir de la question de la lutte contre les contenus haineux et terroristes, y compris par la formalisation de certaines alliances comme le Global Internet Forum to Counter-Terrorism (GIFCT), créé par Facebook, YouTube (aujourd’hui Google), Twitter et Microsofthttps://gifct.org/membership/ . Malgré les succès de ce type d’actions collectives, force est de constater que tous les contenus problématiques n’ont pas été éradiqués, en particulier à cause de la capacité des acteurs qui les diffusent à s’adapter aux contre-mesures mises en place par les plateformes. Toutefois ce n’est pas, dans le cas qui nous intéresse, une organisation – réelle ou fictive – qui porte un contenu inadapté, mais une personne physique parfaitement identifiée, ce qui induit d’autres enjeux sur la régulation. La question est donc posée du lien entre anonymat et renommée. La régulation des contenus criminels ou terroristes se heurtait justement à ce mur, en apparence difficilement franchissable, de l’anonymatDans le cas du terrorisme, il s’agit plutôt d’un pseudonymat avec des individus indifférenciés adoptant le nom de l’organisation, ou du moins ses signes représentatifs. . Le cas D. Trump est l’inverse de cette situation puisque le cœur de la problématique, ici, est qu’un individu identifié comme président des Etats-Unis ait tenu des propos considérés comme contraires à la charte d’utilisation des plateformes, avec les conséquences que cela induit.
A ce propos, les plateformes en question sont souvent mises à l’index en raison de ces mêmes chartes d’utilisation, à la fois complexes du point de vue des droits de l’usager-individu, mais aussi, paradoxalement, permissives pour les acteurs professionnels qui ont fait du traitement des données personnelles leur fonds de commerce. A ce titre, il importe de rappeler l’affaire Cambridge Analytica, qui a touché Facebook lors de la campagne présidentielle américaine de 2016 et qui a mis en lumière ce rôle parfois opaque des réseaux sociaux – et des gestionnaires de données de manière plus générale – dans le jeu politique outre-Atlantique. L’audition de M. Zuckerberg en avril 2018 devant le Sénat – qui prend par moment des allures de contrition publique – est l’acmé de ce premier acte de la rupture du consensus entre les GAFAM et l’Etat américain.
En Europe, il faut signaler que la voie est déjà ouverte à un contrôle fort des contenus par les plateformes. Le texte emblématique à cet égard est la révision de la Directive Droits d’auteur, dont les travaux ont débuté en 2016 et abouti en 2019Dir. 2019/790. Si celle-ci semble offrir des pouvoirs supplémentaires aux géants du Net, elle étend également les droits des éditeurs de presse – droits voisins – vis-à-vis des agrégateurs de contenus comme Google Actualités par exemple. , qui prévoit une responsabilité des plateformes de stockage de données dans le contrôle des contenus qu’elles hébergent. De fait, cela revient en partie à leur offrir une capacité de regard et de régulation, sur la base du droit d’auteur. En réalité la politique de la Commission européenne – Junker comme von der Leyen – a été de « responsabiliser » les grandes plateformes américaines du numérique en leur demandant de s’impliquer toujours plus dans la lutte contre certains contenus (haineux, terroristes, criminels), avec en corollaire un accroissement de leur pouvoir de contrôle. Cette délégation de la puissance publique vers des acteurs privés extra-européens a été fortement critiquée car elle introduit en creux une forme de renoncement à la souveraineté numérique européenne, dont se réclame pourtant la Commission, du moins T. Breton. La voie est ici étroite entre délégation de pouvoir de censure pour des raisons techniques et abandon de souveraineté.
La responsabilisation des plateformes, qui est le cheval de bataille de nombreux Etats, trouve ici une forme d’aboutissement par l’action. En ce sens, les Etats qui disposent d’un contrôle ferme sur leur cyberespace national – avec des acceptions différentes de ce concept selon les territoires – ont depuis longtemps opéré un resserrement de leur emprise sur les réseaux sociaux et gestionnaires de données. En Chine, la loi de 2016 sur le cyberespace renforce les obligations de ces acteurs vis-à-vis des services de sécurité et de justice nationaux (art. 9), notamment en ce qui concerne l’accès à toutes les données des utilisateurs. Alors que la Chine a depuis longtemps créé un système public-privé au travers des liens unissant les créateurs-dirigeants des grandes entreprises du numérique au Parti communiste, la récente affaire Alibaba a rappelé que la relation entre public et privé était fortement dissymétriqueDepuis la fin de l’année 2020, le groupe Ant – maison-mère de l’entreprise de commerce en ligne Alibaba – est l’objet d’enquêtes approfondies de la part de la justice chinoise pour des « pratiques anticoncurrentielles » alors que le fondateur de l’entreprise, J. Ma, avait critiqué en octobre 2020 les choix politiques du Comité central. . En Russie, l’affaire P. DourovN. Mazzucchi, « La Russie et le cyberespace, mythes et réalités d’une stratégie d’Etat », Revue Défense Nationale, n° 802, été 2017, pp. 96-102., provoquée par le rachat inamical de Vkontakte par Mail.ru sous les auspices de Moscou, avait, en 2014, laissé elle aussi apparaître la force de l’Etat central dans la régulation des plateformes.
Le cyberespace : domaine public, domaine privé
Outre ces comparaisons nationales, ce sont bien, in fine, les enjeux de l’articulation public-privé du cyber qui se posent ici. Alors que le cyberespace a été dès ses débuts un objet hybride, bénéficiant des financements publics américains pour ensuite se développer sur une architecture économique et règlementaire privée, le lien entre les deux sphères a toujours été sa principale force. La couche matérielle du cyberespace, qui demeure dans ses fondements très liée au secteur public (en témoigne la possession directe ou indirecte par des entités administratives américaines d’un certain nombre de serveurs racines du DNS), est le lieu par essence de l’application des droits nationauxPour appréhender le rôle central des Etats-Unis sur celle-ci, il suffit de regarder une carte des câbles sous-marins. . Au contraire, les couches logique et sémantique sont celles des entreprises privées – du moins le plus souvent – avec une régulation internationale fondée sur le droit commercialLa question du statut de l’ICANN, organisme de droit privé californien, est centrale dans les tentatives de réforme de la gouvernance de l’Internet. . L’absence de grand accord intergouvernemental sur le cyberespace – à l’exception du Règlement international des télécommunications de 1988, qui ne traite pas per se du cyber – a positionné le rapport public-privé comme structurant.
Les autorités administratives américaines, si elles ont profité de la croissance extrêmement forte des plateformes privées gestionnaires de données, ont également été pour ces dernières des soutiens fermes. Dans le cas des rapports transatlantiques sur le numérique, l’action publique de Washington a été déterminante dans la promotion des GAFAM et de leurs intérêts, en particulier vis-à-vis des tentatives de l’Union européenne (UE) de durcir la législation communautaire sur les données. Dès la fin des années 1990, au moment où l’enjeu des données devient patent, l’accord américano-européen Safe Harbor introduit une première passerelle règlementaire entre Europe et Etats-Unis sur la gestion des données personnelles. Il s’appuie sur les dispositions de la directive 95/46 et perdure jusqu’en 2015 où il est jugé insuffisant par la Cour de Justice de l’UE (CJUE). L’année suivante, anticipant les effets du Règlement général sur la protection des données (RGPD) en cours d’élaboration, les Etats-Unis et l’Union européenne s’entendent sur un nouveau mécanisme, le Privacy Shield, qui étend aux entreprises américaines les obligations sur la gestion des données personnelles des citoyens européens. S’il peut s’agir a priori d’une forme de rééquilibrage de la relation transatlantique – l’UE réussissant à faire appliquer partiellement sa législation hors de ses frontières –, c’est également la manifestation éclatante de la dynamique de la relation public-privé aux Etats-Unis. Les autorités publiques, en signant l’accord Privacy Shield, ont permis aux GAFAM de poursuivre leur développement international sans risquer de subir les entraves règlementaires européennes, du moins sur la question des donnéesD’autres sujets de discorde existent entre les autorités européennes et les géants de la donnée, à commencer par les enjeux de concurrence, mais aussi ceux de fiscalité. . La fin du Privacy Shield, également invalidé par la CJUE en juillet 2020, introduit la nécessité d’un nouvel accord, au moment où l’UE cherche à durcir sa position face aux GAFAM et où la dynamique public-privé aux Etats-Unis est moins forte.
La stabilité de cette entente entre acteurs publics et privés aux Etats-Unis est, ces dernières années, remise progressivement en question. Depuis le milieu des années 2010, en particulier après l’élection de D. Trump, une forme de défiance s’est installée entre les autorités, notamment militaires, et les GAFAM. Le refus de la part de certains ingénieurs de Google de travailler au profit de la DARPA sur un projet de ciblage par drones (projet MAVEN) a été l’une des manifestations de cet éloignement entre public et privé. Même si la relation s’est distendue, elle était jusqu’ici loin d’être brisée puisque certains des dirigeants – ou anciens dirigeants – de ces entreprises peuplent les conseils thématiques sur les nouvelles technologies qui élaborent des recommandations pour la Présidence. Toutefois, il convient de considérer que les différences d’appréhension éthique (sur la question des technologies numériques appliquées au monde militaire, notamment s’agissant de l’intelligence artificielle), la compétition pour attirer les meilleurs jeunes diplômés avec des écarts de salaires faramineux, ainsi que la crainte que les orientations de la diplomatie américaine ne finissent par avoir des effets négatifs sur leur développement économiqueNotamment envers la Chine, où certains des GAFAM cherchent à se projeter à nouveau après des années d’absence., sont autant de points de discorde.
Dans ce contexte, la suspension des comptes de la première personnalité du pays apparaît comme une nouvelle étape dans la distanciation entre les GAFAM et l’Etat américain. En réalité, un tabou a été brisé, celui de la capacité de la part de ces entreprises de mettre au même niveau tous leurs utilisateurs quelle que soit leur identité. En ce sens, ils affirment la primauté du privé sur le public.
Conclusion
Plusieurs questions demeurent ouvertes. La première d’entre elles est bien entendu celle de la privatisation croissante de la communication, avec une dissymétrie marquée entre des plateformes à la résonnance planétaire et des individus. Certes, les grands groupes de presse internationaux sont depuis longtemps privés, mais leur impact sur la communication n’est pas identique à celui des réseaux sociaux. La presse traditionnelle – et avec elle les médias du son et de l’image – établit une communication par essence professionnelle, où la part de l’individu est relativement limitée. L’information y est produite par des spécialistes – les journalistes – en lien avec des professionnels des différents domaines (médecins, chercheurs, analystes, décideurs politiques, etc.). Dans le cas des réseaux sociaux, il s’agit au départ d’une communication non professionnelle, même s’ils sont devenus depuis des années des médias irrigués par une communication institutionnelle, avec une horizontalité entre les utilisateurs. Cette métacommunication qui entremêle individus, associations, entreprises et Etats, fondus dans le « village planétaire », donne de facto un pouvoir immense aux plateformes qui la sous-tendent. En ce sens la question du démantèlement de tel ou tel acteur accusé de monopole apparaît presque anecdotique tant l’enjeu est plus global.
La seconde question porte sur l’égalité de traitement des acteurs. De nombreuses personnalités publiques ont vu par le passé leurs comptes suspendus ou supprimés pour des propos enfreignant les conditions d’utilisation. Toutefois, D. Trump n’était pas une personnalité parmi d’autres, mais bien le président des Etats-Unis en fonction. A ce titre, il est intéressant de s’interroger sur la transcendance de la fonction par rapport à l’individu. Si de manière générale cette question a été tranchée depuis longtemps, en particulier par des dispositions règlementaires sur la responsabilité du chef de l’Etat (aux Etats-Unis comme dans d’autres pays comme la France), le domaine considéré ici est profondément différent. En effet le président des Etats-Unis n’est au fond, dans un contexte libéral comme celui des réseaux sociaux, qu’un utilisateur comme les autres. L’horizontalité pose ici problème puisqu’il est à la fois un utilisateur normal, mais également la personne qui a le plus d’influence au niveau mondial – y compris au travers de ces mêmes réseaux sociaux – ce qui peut conduire à un traitement différencié.
Quoi qu’il en soit, cette affaire ouvre un précédent important dans le rapport entre le politique et les acteurs privés du web 2.0, qui, par effet de jurisprudence, risque de limiter la parole publique, dont le caractère particulier n’est plus reconnu. Même si dans le cas de D. Trump il y avait une confusion volontaire entre homme et fonction, celui-ci était néanmoins toujours président en fonction. Le paradoxe est donc double : d’une part, les décideurs politiques pressent les plateformes de réguler les données diffusées et détenues, quitte à être les victimes finales de cette régulation ; d’autre part, les plateformes, en sanctionnant ceux qui usent des déterminants mêmes de la communication qu’elles mettent en place – le primat à l’émotion et à l’instantanéité –, risquent de se retrouver accusées à leur tour d’être les tyrans auto-institués du monde numérique. Le double paradoxe finit par se refermer sur les acteurs, ouvrant peut-être la voie à de nouvelles modalités relationnelles.