Notes de la FRS

Les élections fédérales allemandes et le nucléaire : opportunité ou défi ?

Note de la FRS n°32/2021
Eva Siegmann
21 septembre 2021

Introduction

En février 2020, lors de son discours sur la dissuasion française devant les officiers de l’Ecole de guerre, le président Macron a proposé de lancer des consultations européennes dans le domaine de la dissuasion et des questions stratégiques. La réponse allemande à cette proposition singulière a été jusqu’à maintenant assez hésitante. En effet, dans le même temps, le stationnement de bombes nucléaires américaines en Allemagne continue de faire débat.

Aujourd’hui, l’Allemagne est confrontée à un changement imminent de gouvernement. La chancelière Angela Merkel, en fonction depuis 2005, ne se représente pas. De plus, les candidats à la chancellerie du parti conservateur, la CDU/CSU, et du SPD social-démocrate, Armin Laschet et Olaf Scholz, sont rejoints par la candidate des Verts, Annalena Baerbock. Pour la première fois, un troisième parti a des chances réelles non pas seulement de participer à une coalition gouvernementale mais aussi de prendre lui-même la tête du gouvernement.

Le parlement nouvellement élu devra se prononcer sur plusieurs sujets en lien avec les questions militaires nucléaires, en particulier l’acquisition d’un nouvel avion à double capacité qui va de pair avec la poursuite du partage du nucléaire au sein de l’OTAN. Par conséquent, cette question sera importante dans la formation de la coalition, et la politique allemande en matière d’armes nucléaires pourrait également changer sensiblement suite à un changement de gouvernement.

Cette note traite de la question de la dissuasion et de l’arme nucléaire dans la campagne électorale allemande. Elle évoque les positions officielles des partis sur ces questions, les changements possibles de doctrine à ce sujet, et, enfin, les conséquences qu’auraient ces changements pour les alliés européens, notamment la France.

L’Allemagne et les armes nucléaires : participation, perceptions et débat

La question du stationnement des armes nucléaires en Allemagne

L’Allemagne ne figure pas parmi les cinq États reconnus par le TNP comme des États dotés d’armes nucléaires. Elle ne s’est pas non plus dotée de l’arme nucléaire en dehors du Traité malgré une capacité nucléaire latente reconnue. Cependant, le pays fait partie de l’OTAN et de son programme de dissuasion nucléaire élargie depuis 1955. Dans ce cadre, environ 10 à 20 ogives nucléaires américaines du type B-61Hans Kristensen, « U.S. Nuclear Weapons in Europe », 1er novembre 2019. sont stationnées à Büchel en Rhénanie-Palatinat. Le déploiement de ces ogives fonctionne selon le principe appelé de double clé, signifiant qu’en cas de conflit, le président américain prend la décision d’emploi et la transmet aux Alliés, qui peuvent accepter ou refuser de fournir du personnel et des capacités d’emport.

Des avions de chasse à double capacité de type PA-200 Tornado assurent actuellement la participation allemande à la mission de partage nucléaire. Toutefois, la certification du Tornado par les États-Unis expire en 2030. En 2020, la ministre de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer a proposé l’achat de 93 Eurofighter, complétés par 43 F-18 Superhornet comme solution transitoire, avant que le SCAF européen à capacité nucléaire ne prenne le relais en 2040Timo Kather, « Bundeswehr strebt Brückenlösung für Tornado-Nachfolge an », 22 avril 2020.. Cette proposition sera soumise au vote du Bundestag dans la législature à venir.

La double capacité des forces aériennes est défendue par l’OTAN comme permettant une escalade progressive d’un conflit et rendant la dissuasion nucléaire plus crédibleAlexander Mattelaer, « Articulating the logic of nuclear-sharing », Security Policy Brief, Egmont Royal Institute for International Relations, 2 octobre 2019.. Toutefois, l’utilité militaire réelle des ogives stationnées en Allemagne est contestée, en particulier depuis le déploiement de SLBM à puissance variable en mer BaltiquePia Fuhrhop, Ulrich Kühn, Oliver Meier, « Teilhabe als Chance. Wie Deutschland atomwaffenfrei werden kann und die Sicherheit Europas dabei noch gestärkt wird », Internationale Politik, n° 4/2020, 1 juillet 2020..

Le débat nucléaire allemand : opinions et positions

La dissuasion nucléaire a toujours été un sujet sensible dans le discours politique et public en Allemagne. Même si les discussions sur le concept de dissuasion sont le plus souvent évitées, les considérations relatives à la cohésion de l’OTAN, à l’influence allemande associée au stationnement d’armes nucléaires et à la contribution allemande à la maîtrise des armements en Europe sont les principaux arguments évoqués dans le cadre du débat sur les armes nucléaires en AllemagnePia Fuhrhop, « The German Debate: The Bundestag and Nuclear Deterrence », in Amelia Morgan, Anna Péczeli (ed.), Europe’s Evolving Deterrence Discourse, Lawrence Livermore National Laboratory, février 2021, p. 28..

En 2016, avec la victoire électorale de Donald Trump, la question de la cohésion au sein de l’OTAN s’est posée, ouvrant la voie à un débat très restreint sur l’opportunité pour l’Allemagne d’acquérir ses propres capacités de dissuasion nucléaireUlrich Kühn, Tristan Volpe, Bert Thompson, « Tracking the German Nuclear Debate », Carnegie Endowment for International Peace, mis à jour le 5 mars 2020.. En effet, la présidence de Trump a fait redouter un affaiblissement des garanties de sécurité américaines envers l’Allemagne. En réponse, certains ont proposé de travailler à la construction d’une dissuasion européenneRoderich Kiesewetter, Martin Zagatta, « EU-Verteidigungspolitik nach der US-Wahl: ‘Wir werden mehr Geld für unsere Sicherheit ausgeben müssen », Deutschlandfunk, 18 novembre 2016., alors que d’autres observateurs ont estimé que les arsenaux français et britannique étaient insuffisants pour assurer une dissuasion commune efficace. Un arsenal nucléaire allemand était donc une option à considérer. Toutefois, cette proposition n’a pas trouvé d’écho réel parmi les politiciensOliver Meier, « Why Germany won’t build its own nuclear weapons and remains skeptical of a Eurodeterrent », Bulletin of the Atomic Scientists, vol° 76, n° 2, 3 mars 2020, p. 76..

Lors du débat sur le successeur du Tornado en 2020, la répugnance d’une partie du Bundestag à poursuivre le partage nucléaire se fait connaître au grand public. Trois courants ont notamment émergé pendant ce débat :

  • La suppression progressive du stationnement des armes nucléaires en Allemagne a parfois été décrite comme pouvant découler d’un « non-choix », avec un arrêt de la mission lié à l’obsolescence des porteurs et à l’incapacité de les remplacer avec un porteur européenClaudia Major, Christian Mölling, « Weapons of Mass Debate – Germany’s Unease Around Nuclear Deterrence », 8 juillet 2021..
  • Les opposants politiques au partage du nucléaire ont contesté l’utilité militaire des bombes nucléaires stationnées en Allemagne, et ont critiqué la doctrine de dissuasion les sous-tendantMichal Onderco, Michal Smetana, « German views on US nuclear weapons in Europe: Public and elite perspectives », European Security, juin 2021.. Toutefois, derrière cette critique se cache souvent un rejet des armes nucléaires sur des fondements humanitaires, une attitude très répandue dans la population comme le montrent des études récentesIbid..
  • À l’inverse, les partisans du stationnement des armes nucléaires en Allemagne ont surtout fait valoir l’influence que le partage du nucléaire procure au pays au sein du Groupe des plans nucléaires (NPG), organe stratégique de l’OTAN. L’influence allemande au sein de ce groupe et sur la politique nucléaire de l’Alliance plus généralement est cependant sujette à cautionHans Kristensen : « I’ve never heard anyone in the US Air Force, Strategic Command or Department of Defense say that they somehow take into consideration special German views about the use of nuclear weapons », cité par Naomi Conrad, Nina Werkhäuser, « US Set to Upgrade Controversial Nukes Stationed in Germany », Deutsche Welle, 26 mars 2020..

La question de l’« Eurodeterrent » en Allemagne

Lors de son discours présidentiel à l’Ecole de Guerre en février 2020, Emmanuel Macron a déclaré sa disponibilité à ouvrir un « dialogue stratégique » avec les partenaires européens le souhaitantEmmanuel Macron, « Discours sur la stratégie de défense et de dissuasion devant les stagiaires de la 27ème promotion de l’école de guerre », 7 février 2020.. Il a proposé d’examiner le rôle de la dissuasion nucléaire française dans la sécurité collective européenne et a annoncé vouloir jouer un rôle plus actif en matière de maîtrise des armements, domaine traditionnellement privilégié par BerlinOliver Meier, op. cit..

Malgré cette ouverture, la réponse allemande a été hésitante. Cette réaction peut s’expliquer par deux inquiétudes principales de la part de l’Allemagne :

  • Le risque qu’une coopération franco-allemande plus étroite puisse engendrer une détérioration des relations transatlantiques, notamment au sein de l’OTANClaudia Major, Christian Mölling, op. cit..
  • Deuxièmement, l’intérêt de Berlin à participer à un dialogue stratégique avec la France est limité si cela n’implique pas une influence significative dans le traitement des questions stratégiquesIbid.. Aux yeux des Allemands, la France, connue pour son attachement à l’indépendance politique et opérationnelle de ses forces nucléaires, ne pourrait considérer l’Allemagne sur un pied d’égalité dans un tel partenariatOliver Meier, op. cit.. Cette appréciation ne semble pour l’instant pas avoir été modifiée par le discours de l’Ecole de Guerre.

Changement imminent de gouvernement : vers une mise en cause du statu quo concernant la politique nucléaire ?

Les élections fédérales dans le système politique allemand

Les élections législatives fédérales du Bundestag, chambre basse du Parlement allemand, se tiennent tous les quatre ans. Généralement, le résultat électoral, déterminé par scrutin proportionnel, ne donne pas de majorité absolue à un seul parti. Les négociations visant à former une coalition majoritaire sont traditionnellement menées par le parti sorti vainqueur des élections et se concentrent sur un contrat de coalition dans lequel deux ou trois partis s’accordent sur un fil rouge de politiques à mettre en œuvre pendant le mandat. Le poste de ministre des Affaires étrangères est traditionnellement attribué au parti minoritaire au sein de la coalitionJules Hebert, « Comment fonctionne le système politique allemand ? », Heinrich Böll Stiftung, 10 septembre 2017..

Les élections de 2017 ont vu entrer au Parlement six partis différents, ce qui a rendu la formation d’une coalition particulièrement complexe et longue, avec un échec des négociations entre les conservateurs, les Verts et les libéraux qui a ensuite abouti à une coalition entre conservateurs et sociaux-démocrates. Ces difficultés sont susceptibles de se répéter en 2021, avec les mêmes six partis qui devraient continuer d’être représentés au sein du Parlement.

L’accord de coalition est important, mais le pouvoir législatif détient également un poids considérable en matière de défenseDelphine Deschaux-Dutard, « Usage de la force militaire et contrôle démocratique : le rôle des arènes parlementaires en France et en Allemagne », Revue internationale de politique comparée, vol° 24, n° 3, 2017, pp. 201‑231.. Ceci inclut par exemple l’approbation ex ante de chaque décision de recours à la forceBastien Irondelle, Olivier Rozenberg, Catherine Hoeffler, Jean Joana, Olivier Chopin, Christian Olsson, « Evolution du contrôle parlementaire des forces armées en Europe : Rapport d’étude pour le C2SD », Ministère de la Défense, juillet 2009., des compétences d’investigation et de débat du Parlement concernant les questions militaires ainsi que l’approbation du budget de la défenseDelphine Deschaux-Dutard, op. cit.. Ainsi, le Bundestag comme le gouvernement joueront un rôle important dans les décisions à venir dans le domaine du nucléaire.

Positions et revendications des partis candidats aux élections fédérales

L’analyse qui suit présente les positions et les revendications politiques des six partis allemands actuellement représentés au Bundestag : CDU/CSU (conservatrice), SPD (social-démocrate), AfD (extrême-droite), FDP (libéral), Die LINKE (extrême-gauche) et Alliance 90/Les Verts concernant les armes nucléaires, qu’il s’agisse de la dissuasion ou de la maîtrise des armements et de la question de l’engagement au sein de l’OTAN et de l’UE.

  • CDU/CSU

Au cours de la législature écoulée, la CDU/CSU a occupé la tête du gouvernement et du ministère de la Défense, en charge de la décision sur la succession des Tornado. Par conséquent, son programme électoral diffère peu des lignes gouvernementales actuelles. Néanmoins, les questions de politique étrangère et de sécurité occupent une place importante dans le programme du partiCDU/CSU, « Das Programm für Stabilität und Erneuerung – Gemeinsam für ein modernes Deutschland », 21 juin 2021. et sont traitées dans son premier chapitre.

Ce programme fait l’analyse d’une situation internationale mouvante, caractérisée par des tensions croissantes. La Chine, en tant que rival systémique, fait l’objet d’une attention particulière. La position officielle du parti vis-à-vis de la dissuasion nucléaire est plus ou moins identique à celle de l’OTAN : tant que des Etats possèderont des armes nucléaires, l’Europe dépendra de la dissuasion nucléaire dans le cadre de l’OTAN, sous les auspices des Etats-Unis. Lors d’un entretien, Mme Kramp-Karrenbauer a fait valoir que la participation au partage nucléaire est une bonne alternative pour parer au réarmement conventionnel russe, une dissuasion conventionnelle équivalente étant beaucoup plus coûteuseDeutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik, « Annegret Kramp-Karrenbauer über Afghanistan, bewaffnete Drohnen und Russland », Youtube, 6 juillet 2021..

Le parti conservateur met également l’accent sur la coopération transatlantique tout en indiquant que le pilier européen de l’OTAN doit être renforcé. L’Union européenne (UE) est également vue comme un acteur important en matière de sécurité. Ainsi, les projets d’armement européens doivent également être encouragés. La coopération franco-allemande ne doit pas être exclusive, mais ouverte à d’autres partenaires.

  • SPD

Avec Olaf Scholz, actuel ministre des Finances, comme candidat à la chancellerie, le SPD siège dans la coalition Merkel en tant que partenaire minoritaire. Néanmoins, au sein de la coalition, le parti a été plus critique envers la participation de l’Allemagne à la dissuasion nucléaire de l’OTAN, notamment dans le débat autour du remplacement de l’avion de combat TornadoMatthias Gebauer, Konstantin von Hammerstein, « Bundeswehr: Kramp-Karrenbauer sagt Washington Kauf von US-Kampfjets zu », Der Spiegel, 19 avril 2020.. Alors que Heiko Maas, actuel ministre des Affaires étrangères, ainsi que son prédécesseur, Sigmar Gabriel (ministre des Affaires étrangères du SPD en 2017-18), ont défendu des positions plutôt modérées, Frank-Walter Steinmeier (ministre des Affaires étrangères en 2005-2009 puis 2013-2017) s’est fait connaître pour son point de vue beaucoup plus critique à l’égard de la participation de l’Allemagne à la mission nucléaire. Dans son programme officiel pour les élections fédérales actuelles, le SPD a toutefois consolidé les différentes positions existant au sein du parti sur cette question et exige une « discussion consciencieuse, objective et minutieuse sur le partage du nucléaire »SPD, « Aus Respekt vor deiner Zukunft—Das Zukunftsprogramm der SPD », 9 mai 2021, p. 63. avant la prise de décision finale sur le remplacement des Tornado. Il s’écarte donc du positionnement de son partenaire actuel, la CDU/CSU, sans toutefois remettre en cause toute la logique de la dissuasion.

Dans cette optique, le parti ne se contente pas d’inscrire sur sa bannière l’objectif d’un monde sans armes nucléaires comme objectif lointain : il appelle à des mesures concrètes, dont la participation de l’Allemagne en tant qu’observateur à la Conférence des Parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). En outre, le SPD préconise « l’ouverture de négociations entre les États-Unis et la Russie sur un désarmement complet et vérifiable des armes non stratégiques, dans le but de retirer et de détruire définitivement les armes nucléaires stationnées en Allemagne et en Europe »AfD, « Deutschland. Aber normal. Programm der Alternative für Deutschland für die Wahl zum 20. Deutschen Bundestag », 11 avril 2021, p. 63..

Pour le SPD, l’OTAN reste « pilier du partenariat transatlantique et indispensable à la sécurité de l’Europe »Ibid., p. 59.. Parallèlement, le parti revendique une plus grande indépendance européenne en termes de politique de sécurité et de défense. Ainsi, il rappelle que son « objectif reste une armée européenne dans le cadre d’une Europe puissance de paix »Ibid., p. 59..

  • Alternative für Deutschland (AfD)

Dans son programme électoral, l’AfD, parti d’extrême-droite, déclare soutenir le droit international et la Charte des Nations unies, mais insiste en particulier sur le droit des peuples à l’autodétermination. Sa politique étrangère et de sécurité est axée sur des considérations de puissance nationale.

En ce qui concerne les armes nucléaires, le parti « rejette toute politique de frappe nucléaire en premier et prône l’abolition globale des armes [nucléaires, biologiques et chimiques] »AfD, op. cit., p. 67.. Il précise que « l’objectif doit être le retrait de toutes les armes nucléaires d’Allemagne, mais aussi des armes nucléaires à courte portée visant l’Allemagne. Cela rendrait obsolète la participation de la République fédérale au partage nucléaire de l’OTAN »Ibid., p. 67.. L’AfD ne réclame donc pas un arrêt unilatéral du partage nucléaire et « préconise vivement le renforcement et l’expansion des mécanismes de maîtrise des armements nucléaires et conventionnels, ainsi que la renégociation des traités récemment suspendus (FNI, Ciel Ouvert) »Ibid., p. 63..

Le parti veut maintenir l’Allemagne au sein de l’OTAN et s’engage à porter le budget de défense à 2 % du PIB, objectif officiel de l’Alliance. Cependant, l’AfD rejette les missions de l’OTAN en dehors du territoire des Etats membres et revendique une réorientation de la politique à l’égard de la Russie fondée sur le dialogue et la coopération. Alors que la réalisation d’une « autonomie stratégique pour l’Allemagne et ses partenaires européens » est à rechercher à long termeIbid., p. 62., la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ainsi que la possibilité d’une coopération plus étroite entre pays européens dans le domaine sont rejetées.

  • FDP

Le FDP appelle aussi à une stratégie globale et cohérente pour la politique de sécurité de l’Allemagne afin que celle-ci puisse porter une plus grande responsabilité à l’échelle internationale, à la mesure de l’ampleur des défis internationaux.

Le parti veut s’engager « sans réserve »FDP, « Nie gab es mehr zu tun. Wahlprogramm der Freien Demokraten », 7 juin 2021, p. 70. dans l’OTAN et se prononce en faveur de la doctrine de dissuasion (nucléaire) de l’Alliance, qu’il considère comme garante de la sécurité nationale. Le rôle concret de l’Allemagne dans la dissuasion nucléaire élargie, en particulier en ce qui concerne le stationnement des armes nucléaires, n’est pas évoquéL’engagement du FDP en faveur du stationnement des armes nucléaires est une position stable depuis quelques années. Cet engagement contraste cependant avec la posture de Guido Westerwelle, ministre des Affaires étrangères du FDP de 2009 à 2013, qui s’était engagé strictement en faveur du retrait des armes nucléaires stationnées en Allemagne, dans la ligne des appels au désarmement nucléaire mondial du président américain Barack Obama.. L’émergence d’un monde sans armes nucléaires reste un objectif de long terme du parti. Il considère que l’Allemagne et l’Europe doivent jouer un rôle moteur en vue de la réalisation de cet objectif.

En ce qui concerne la politique européenne de sécurité et de défense, le FDP s’engage à renforcer l’UE et sa politique étrangère et de sécurité commune. L’objectif reste la mutualisation des forces européennes dans le cadre d’une armée européenne.

  • Die LINKE (La Gauche)

Die LINKE, parti d’extrême-gauche, se considère comme le parti pacifiste allemand, ce qui se reflète également dans le titre de son programme électoral (Zeit zu handeln: Für soziale Sicherheit, Frieden und Klimagerechtigkeit!, soit : « [Il est] Temps d’agir : Pour la sécurité sociale, la paix et la justice climatique »). Conséquemment, le parti rejette toute participation de l’Allemagne à des projets d’armement ou à des initiatives militaires européens. Le programme électoral du parti propose également une vision de la sécurité internationale alternative à celle des autres partis, en critiquant la perception assez largement partagée au sein de l’OTAN de la Chine et de la Russie comme ennemies.

Le parti défend fortement l’objectif d’un monde sans armes nucléaires et rejette le « concept dangereux de la dissuasion nucléaire »Die LINKE, « Zeit zu handeln! Für soziale Sicherheit, Frieden und Klimagerechtigkeit. Wahlprogramm zur Bundestagswahl 2021 », 20 juin 2021, p. 137.. En conséquence, il exige le retrait de toutes les armes nucléaires d’Allemagne, la fin du partage nucléaire au sein de l’OTAN et la signature du TIAN. Le programme électoral critique la non-participation de l’Allemagne aux négociations de ce traité adopté en 2017 et demande que soit pris au sérieux l’appel des Maires pour la paix, qui a reçu un large soutien en Allemagne. Bien que le traité New Start ait été prorogé peu avant son expiration, ce que le programme électoral décrit comme un « répit pour la communauté internationale »Ibid., p. 137., Die LINKE appelle à de nouvelles initiatives pour le désarmement et la maîtrise des armements.

Plus largement, la dissolution de l’OTAN et la transition vers un système de sécurité collective incluant la Russie figurent parmi les revendications du parti. Le retrait des structures militaires de l’OTAN, est présenté comme solution transitoire. Un simple remplacement de l’OTAN par une union militaire européenne est strictement rejeté. Die LINKE se prononce pour l’interruption de tous les programmes de l’UE liés au domaine militaire.

  • Alliance 90/Les Verts

Dans le chapitre de leur programme électoral consacré à la politique internationale, les Verts, conformément à leur engagement en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique, mettent l’accent sur les défis mondiaux communs. Néanmoins, le parti reconnaît l’importance des questions de sécurité traditionnelle. Ainsi, la concurrence de systèmes entre démocraties libérales et Etats autocrates est un thème récurrent chez les VertsJanka Oertel, Mark Leonard, Franziska Brantner, « A foreign policy for a Green Germany », ECFR, 30 avril 2021 ; Annalena Baerbock dans Bundesakademie für Sicherheitspolitik, « #DFS2021: Sicherheitspolitisches Gespräch im Livestream », 29 avril 2021..

Les Verts sont le seul parti à demander l’ajout de la « sécurité humaine » à la définition traditionnelle de sécuritéBündnis 90/Die Grünen, « Deutschland. Alles ist drin. Bundestagswahlprogramm 2021 », 13 juin 2021, p. 106.. Ce concept met l’accent sur le bien-être des individus, et non sur la survie ou la protection d’un ÉtatP.H. Liotta, Taylor Owen, « Why Human Security? », Whitehead Journal of Diplomacy and International Relations, vol° 7, n° 2, 2006, p. 38.. Le parti appelle à une politique étrangère féministe.

L’objectif des Verts est également de favoriser l’émergence d’un monde sans armes nucléaires. Le retrait des armes nucléaires d’Allemagne est demandé, et le Parti s’oppose au stationnement de nouveaux missiles à moyenne portée en Europe. Toutefois, le parti soutient une version progressive du désarmement, appelant l’Allemagne à être observateur à la Conférence des Parties au TIAN et demandant à l’OTAN de renoncer à toute doctrine d’emploi en premier et de promouvoir davantage la réduction des arsenaux.

Les Verts soutiennent également des objectifs ambitieux de désarmement conventionnel, et rejettent l’objectif de 2 % de l’OTAN comme un faux critère, tout en insistant cependant sur l’importance des relations transatlantiques et de l’OTAN en particulier, ainsi que de l’équipement optimal de l’armée allemande. Afin d’agir en tant que partenaire des Etats-Unis sur un pied d’égalitéBundesakademie für Sicherheitspolitik, op. cit., les Verts veulent établir une « Union européenne renforcée, résistante aux crises et capable d’agir »Bündnis 90/Die Grünen, op. cit.. Sa capacité à peser à l’échelle mondiale passe, selon les Verts, par « la condition préalable [du] renforcement de la démocratie européenne »Bundesakademie für Sicherheitspolitik, op. cit..

À l’origine un parti pacifiste, le Parti écologiste a traditionnellement connu une division entre deux ailes, les « réalos » et les « fondamentalistes ». Une récente conversion du parti vers l’aile « réalo » peut être observée depuis les élections de Annalena Baerbock et Robert Habeck – deux « réalos » – à la tête du parti. Toutefois, des conflits internes persistent, notamment en ce qui concerne les politiques de sécurité et de défenseChristiane Hoffmann, Jonas Schaible, « In der Außenpolitik drohen den Grünen harte Konflikte », Der Spiegel, 21 mai 2021.. Dans ce contexte, les politiques de sécurité et de défense évoquées dans le programme électoral adopté en 2021 peuvent être qualifiées de modérées par rapport à des positions prises auparavant (marquées, par exemple, par un rejet fondamental du rôle de l’Allemagne au sein de l’OTAN et la critique d’un budget de défense trop élevé).

Eléments de convergence trans-partisane

Malgré les différences frappantes entre les partis, quelques points semblent réunir tous les partis ou une grande majorité d’entre eux :

  • L’objectif (de long terme) d’un monde sans armes nucléaires ; mais une grande variété des conclusions qui en sont tirées.
  • La revendication de réorienter la politique allemande en matière de politique de sécurité et de défense dans une logique stratégique basée sur les intérêts nationaux. Les partis envisagent des mesures variées (introduction d’un Conseil de sécurité national, élaboration d’une stratégie nationale de sécurité, etc.) pour aboutir à cet objectif.
  • Le renforcement simultané des relations transatlantiques et de l’autonomie européenne.
  • Les capacités européennes sont cependant à chercher et à développer au sein des structures existantes, au sein de l’Union européenne ou en tant que pilier européen de l’OTAN. Des coalitions européennes ad hoc ne sont pas envisagées dans les programmes électoraux.

Possibles et coalitions et négociations

Selon un sondage réalisé par l’Institut INSA le 14 septembre 2021Meinungstrend - INSA-CONSULERE., le SPD pourrait arriver en tête des suffrages avec 26 % des votes, suivi par la CDU/CSU (20,5 %), l’Alliance 90/Les Verts (15 %), le FDP (12,5 %), l’AfD (11,5 %) et enfin Die LINKE (6,5 %). Ces résultats bouleverseraient les rapports de force au sein de l’actuel Bundestag. Avec l’essor des Verts et le déclin concomitant de la CDU/CSU au cours des dernières années, la campagne électorale se résumerait à une compétition à trois entre le SPD, la CDU/CSU et les Verts, présentant chacun son propre candidat au poste de chancelier.

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Dans ce contexte, il est probable qu’aucune des coalitions bipartites déjà éprouvées au cours de l’histoire de la République fédérale n’obtiendrait la majorité absolue, pas plus qu’une union entre la CDU/CSU et les Verts. Selon ces projections, seule une alliance entre trois partis pourrait obtenir une majorité au Bundestag.

Dans les faits, toutes les coalitions arithmétiques ne sont pas possibles en termes réels :

Coalition entre la CDU/CSU, le SPD et l’Alliance90/Les Verts

Alors que la CDU s’engage clairement en faveur de la dissuasion nucléaire et du partage nucléaire au sein de l’OTAN et ne demande pas de mesures de désarmement allant au-delà du statu quo, les Verts et le SPD sont beaucoup plus critiques à ce sujet. Le SPD met spécifiquement en cause le partage des armes nucléaires et demande de nouvelles mesures concrètes de désarmement. Si les Verts sont depuis quelques temps plus discrets sur la question du stationnement, ils réaffirment leur volonté de retirer les armes nucléaires d’Allemagne à long terme et s’engagent à prendre d’autres mesures de désarmement.

Cette coalition combinerait les revendications en faveur de davantage d’initiatives de désarmement, voire le rejet du partage nucléaire (SPD, Les Verts), avec le souci de renforcer et d’agir dans les structures internationales existantes (OTAN, UE). Ainsi, des coalitions (nucléaires) ad hoc ne semblent pas envisageables, car la volonté de participer à nouveau au partage nucléaire, et d’autant plus en dehors des structures établies, serait plutôt faible. Toutefois, une coopération militaire, même nucléaire, au sein de l’UE pourrait être plus probable. Cela dit, cette alliance tripartite des trois forces les plus puissantes constitue une perspective bien aléatoire, car les représentants de chacun des trois partis préfèrent d’autres alliances tripartites et le SPD est très réticent à l’idée d’entrer dans une coalition avec la CDU/CSU pour la troisième fois de suite, surtout en tant que parti minoritaire.

Coalition entre la CDU/CSU, le SPD et le FDP

S’il existe un accord ou un compromis possible entre ces trois forces sur de nombreuses questions de sécurité et de politique étrangère, telles que la poursuite de l’affirmation de la politique étrangère de l’UE et un engagement clair en faveur de l’OTAN en tant que garant de la sécurité, les positions sur le partage du nucléaire sont plus éloignées. Ainsi, la CDU/CSU est absolument favorable à la poursuite du partage du nucléaire alors que le SPD le critique vivement. Le FDP ne se prononce pas spécifiquement sur cette question dans son programme électoral, mais dans le passé, il a appelé à une décision rapide sur le remplacement des Tornado afin d’assurer une continuité sans faille du partage nucléaireRND/dpa, « FDP fordert Mittel aus Konjunkturpaket auch für Tornado-Nachfolge », 9 juin 2021..

Étant donné que le partage du nucléaire était déjà une pomme de discorde entre la CDU/CSU et le SPD lors de la dernière législature, les désaccords mentionnés peuvent ajouter à la réticence de ce dernier à former une coalition avec la première.

Coalition entre la CDU/CSU, l’Alliance 90/Les Verts et le FDP (appelé Jamaïque)

Ces trois partis mettent l’accent sur le renforcement du partenariat transatlantique dans leurs manifestes électoraux. Tant le FDP que la CDU/CSU soutiennent la politique de dissuasion nucléaire. Les Verts se positionnent plus clairement et formulent des étapes vers l’objectif d’un monde sans armes nucléaires. Néanmoins, la poursuite du partage du nucléaire au sein de l’OTAN est probable dans le cadre de cette coalition. Un compromis envisageable serait de combiner cela avec des efforts accrus en matière de désarmement, comme le demandent les Verts et le FDP.

Le maintien dans les structures de l’OTAN n’exclut pas une coopération européenne plus forte. Toutefois, les trois partis soulignent dans leur programme la nécessité de développer davantage les structures européennes existantes à cette fin, ce qui pourrait faire obstacle à une coopération nucléaire ad hoc entre les pays qui le souhaitent.

On peut toutefois supposer que, dans une coalition de ce type, les Verts ne mettraient pas l’accent sur les questions internationales et de défense, car ils s’efforceraient plus probablement d’obtenir les ministères liés aux sujets qu’ils considèrent comme centraux pour façonner la transition écologique, à savoir l’environnement ou l’économie.

Coalition entre le SPD, l’Alliance 90/Les Verts et le FDP (Coalition du Feu tricolore)

Il existe une unité relative entre ces trois partis sur l’objectif de renforcement des relations transatlantiques et sur l’objectif d’un monde sans armes nucléaires. Malgré des divergences d’approches, une telle coalition chercherait vraisemblablement à mettre davantage l’accent sur la maîtrise des armements multilatérale ; un positionnement beaucoup plus ambitieux de la part de l’Allemagne, avec par exemple la demande d’un statut d’observateur au sein du TIAN, est également possible, en fonction de l’état des négociations.

Bien que des compromis soient envisageables en matière de sécurité et de défense, la faisabilité de cette coalition est fortement contestée, surtout par le FDP, en raison de désaccords majeurs sur d’autres sujetsChristian Lindner, président du FDP : « Je ne pense pas qu’il y ait [...] un terrain d’entente suffisant en termes de contenu politique pour une coalition de feu rouge », in ARD, « Bericht aus Berlin - Sommerinterview : Christian Lindner », 25 juillet 2021 (traduction par l’auteure)..

Coalition entre le SPD, Die LINKE et l’Alliance 90/Les Verts

Une coalition entre le SPD, l’Alliance 90/Les Verts et Die LINKE apporterait probablement le plus grand changement par rapport au statu quo. Tous partagent l’objectif d’un monde exempt d’armes nucléaires et proposent des mesures concrètes pour le réaliser. Avec sa position généralement pacifiste, Die LINKE est la formation qui va le plus loin. Cela contraste avec l’approche désormais plus modérée des Verts, alors qu’au Bundestag les deux partis pouvaient, dans le passé, partager des préoccupations communes. Cette coalition revendiquerait vraisemblablement le statut d’observateur au sein du TIAN, la fin de la participation nucléaire allemande à l’OTAN et le retrait des armes nucléaires du territoire allemand.

Alors que la question nucléaire pose relativement peu de problèmes, la gestion de la politique de défense pourrait devenir une question litigieuse. Les Verts, par exemple, soulignent que la Bundeswehr doit être équipée de la meilleure façon possible, tandis que Die LINKE affirme qu’il « ne veut pas rejoindre un gouvernement qui fait la guerre »Die LINKE, op. cit., pp. 133-134..

Même si cette coalition n’obtiendrait qu’une faible majorité selon les sondages actuels, le SPD s’y montre favorableWelt, « SPD-Chefin Saskia Esken plädiert für Rot-Grün-Rot », 10 avril 2021., mais comme les Verts« Bundestagswahl: Annalena Baerbock geht auf Distanz zur Linkspartei », Zeit online, 29 août 2021. il pointe un clair positionnement en faveur de l’OTAN comme une condition à la formation de la coalition« Kanzlerkandidat: Olaf Scholz will Koalition mit der Linken nicht ausschließen », Zeit online, 29 août 2021.. Les responsables de Die LINKE ont pour l’instant rejeté cette demandeUlrike Tschirner, AFP, dpa, « Linke lehnt Bekenntnis zur Nato ab – will aber mitregieren », Zeit online, 30 août 2021., mais sont sous la pression d’un appel fort à réaliser la coalition de gauche. D’autres responsables du parti se sont montrés moins dogmatiques au cours de la campagne électorale« Bericht aus Berlin—Sommerinterview: Dietmar Bartsch », op. cit., et un nouveau papier, publié le 6 septembre 2021, ne mentionne plus le retrait immédiat de l’OTANKai Küstner, « Acht Seiten Werbung für Rot-Rot-Grün », Tagesschau, 6 septembre 2021..

Opportunités et défis pour une coopération franco-allemande dans le domaine du nucléaire

En Allemagne comme en France, les armes nucléaires ne sont pas perçues comme une « arme de champ de bataille », mais comme un moyen défensif de dissuasion, comme l’a rappelé le président Macron dans son discours de l’Ecole de GuerreBenjamin Hautecouverture, Emmanuelle Maitre, « La France et la dissuasion nucléaire : le discours de l’Ecole de Guerre du président Macron », Notes de la FRS, n° 3/2020, 11 février 2020.. En Allemagne, l’opposition à toute stratégie d’emploi des armes tactiques témoigne de cette opinionRolf Müzenich, président du groupe parlementaire du SPD : « The US has changed its nuclear strategy in a radical way which makes the use of nuclear weapons here in Europe much more likely […]. Nuclear weapons on German soil do not increase our security, quite the contrary » (cité par Pia Fuhrhop, op. cit., p. 34)..

Malgré cet accord sur le rôle stratégique dédié à l’arme nucléaire, on observe un désaccord persistant sur la faisabilité du désarmement nucléaire. En Allemagne, un consensus existe sur l’objectif de long terme d’un monde sans armes nucléaires, alors que celles-ci et la dissuasion occupent une place très importante, voire irremplaçable, dans la politique de défense française. Parallèlement, les perceptions publiques allemandes sont beaucoup plus critiques vis-à-vis de l’arme nucléaire. Par conséquent, si en France « les armes nucléaires restent des symboles d’indépendance et un atout pour la sécurité nationale, elles sont en Allemagne considérées comme engageant la responsabilité de l’Etat »Oliver Meier, op. cit., p. 78..

Malgré la réorientation de la politique étrangère et de défense allemande selon des principes stratégiques plus « réalistes », le rejet général des armes nucléaires se voit plutôt renforcé ces dernières années. Il est donc improbable que le changement de gouvernement en Allemagne s’accompagne d’une plus grande convergence des perceptions françaises et allemandes sur la place de l’arme nucléaire.

Des doutes sur la capacité d’influence de l’Allemagne au sein de l’« Eurodeterrent »

En France, la capacité nucléaire militaire, plus encore que dans les autres pays dotés selon certains auteurs« L’on peut d’ailleurs dire qu’il existe une véritable exception nucléaire française. Aucun autre pays n’a associé à ce point la capacité nucléaire militaire et l’indépendance nationale » (Bruno Tertrais, La France et la dissuasion nucléaire : concept, moyens, avenir, Paris, La Documentation française, 2017, p. 85)., est traditionnellement liée au concept d’indépendance nationale. Comme la décision de sortir du Groupe des Plans nucléaires de l’OTAN l’a illustré dans le passé, la France a souhaité conserver la totalité des compétences nécessaires à la mise en œuvre de ses forces stratégiquesEmmanuelle Maitre, « Dissuasion nucléaire en Europe : convergences, singularités et perspectives de coopération », Recherches & Documents, FRS, n° 3/2021, 28 janvier 2021., ce qui pourrait limiter le gain d’influence des partenaires européens sur la stratégie nucléaire.

Etant donné qu’un des arguments des partisans allemands du partage nucléaire est l’influence au sein de l’Alliance associée au stationnement des armes nucléaires, la volonté d’« européaniser » la dissuasion, si cela devait signifier une moindre influence sur la politique de dissuasion pour l’Allemagne, pourrait être problématique. Dans un contexte marqué par une volonté partagée par l’ensemble des forces politiques de faire en sorte que le pays pèse davantage en matière stratégique, la question de la possibilité d’influencer la politique liée aux forces nucléaires serait particulièrement importante.

La proximité avec l’OTAN, une entrave aux aspirations françaises

Malgré les critiques, en Allemagne, sur la mission de partage du nucléaire de l’OTAN ces dernières années, surtout du côté du SPD et des autres partis à la gauche du spectre politique, ainsi que la volonté affirmée de renforcer l’indépendance européenne en matière de sécurité et de la défense, l’OTAN reste au cœur de la politique étrangère allemande. Conséquemment, les politiques nucléaires françaises et la non-participation de la France au sein du Groupe des plans nucléaires (NPG) de l’OTAN sont perçues comme incompatibles avec l’attachement allemand à l’alliance transatlantiqueClaudia Major, Christian Mölling, op. cit..

Cet attachement allemand à l’OTAN comme pilier de la sécurité européenne ne devrait pas être mis en cause par le changement imminent de gouvernement, pour au moins deux raisons :

  • Au sein de la plupart des partis, les capacités européennes (qui sont à renforcer) sont vues comme un pilier de l’OTAN. Ainsi, une dissuasion collective en-dehors de l’OTAN n’est pas revendiquée ou voulue malgré certaines déclarations en ce sens. Ceci a été mis en exergue auparavant, par exemple lorsque la ministre A. Kramp-Karrenbauer a déclaré que les idées d’autonomie européenne stratégique ne sont pas réalistesMartin Quencez, « Europe as Power: A French Vision for Europe in the World », in Between Hard and Soft Power. The European Union in a More Competitive World, Berlin, Heinrich Böll Foundation, 2021, pp. 1014..
  • Cependant, les partis plus critiques envers le partage nucléaire de l’OTAN ne font pas non plus état d’une volonté d’« européaniser » la dissuasion. Ils veulent plutôt que l’Allemagne sorte du partage nucléaire en restant membre de l’OTAN, et non le remplacer par une nouvelle alliance nucléaire. Le seul parti allemand qui s’oppose diamétralement à l’OTAN est Die LINKE. Il mentionne même l’ancien « modèle français » de sortie des structures militaires de l’OTAN dans son programme électoral, mais ceci ne signifie pas un rapprochement avec la France. Le rejet de l’OTAN est plutôt l’expression d’un pacifisme profond, et particulièrement d’un rejet des armes nucléaires et des doctrines de dissuasion.

Désaccord franco-allemand sur la question des structures européennes

Au-delà de la question de l’OTAN, le désaccord franco-allemand sur la manière d’européaniser les forces armées pose problème. Tandis que l’Allemagne considère la coopération en matière de défense et de sécurité comme un autre élément de l’approfondissement de l’intégration européenne et a longtemps poursuivi une approche visant à intégrer tous/un maximum d’Etats membres dans ce projet, la France, quant à elle, donne la priorité à la réalisation d’une autonomie stratégique européenne, sans nécessairement comprendre cet effort comme devant engager la totalité des membres de l’UE afin d’avancer la coopération européenne en tant que telleIbid..

Dans la plupart des programmes des partis en vue des élections fédérales allemandes de 2021, la coopération européenne en la matière est toujours liée aux structures de l’Union européenne déjà existantes, telles que la PESC. Souvent, l’armée européenne est mentionnée comme objectif de long terme. Cette revendication est particulièrement forte chez les Verts, qui soutiennent un projet de création d’une « armée du Parlement européen », c’est-à-dire correspondant au modèle allemand du contrôle parlementaire sur les forces armées. La CDU/CSU représente à un certain degré une exception, en ouvrant la voie pour une coopération « souple ». Néanmoins, étant donné que le parti a été à la tête du gouvernement durant ces seize dernières années, l’option d’une coopération franco-allemande dans le domaine allant au-delà de ce qui existe aujourd’hui peut sembler peu crédible.