Il y a vingt ans, le 10 janvier 2003, la Corée du Nord annonçait son retrait unilatéral du Traité de non-prolifération (TNP). Cette décision entérinait une menace faite une décennie plus tôt, en 1993. Cette menace avait été gelée par des efforts diplomatiques visant à convaincre Pyongyang de rester partie au TNP, efforts qui se sont finalement avérés infructueux. Depuis 2003, la question du droit des Etats à se retirer du Traité agite la communauté internationale, sous l’angle politique et juridique. De fait, la France, en particulier, a jugé que cette décision était entachée d’illégalité, et a dénoncé l’utilisation infondée de l’article X du TNP par Pyongyang. Paris a insisté sur le caractère inacceptable pour le pays de continuer à faire usage de capacités nucléaires développées pendant son adhésion au régime pour développer après son retrait un programme nucléaire militaire et sa pleine responsabilité pour les manquements passés. Alors que le régime du TNP semble fragilisé et que certains Etats parties font référence plus ou moins explicitement à un potentiel retrait, il est utile de se pencher sur ce que prévoit le Traité en la matière et dans quelle mesure un Etat partie au TNP, en particulier un Etat non doté d’armes nucléaires (ENDAN) peut légitimement renoncer à ses engagements.
L’article X du TNP
L’article X.I du TNP prévoit que « chaque Partie, dans l’exercice de sa souveraineté nationale, aura le droit de se retirer du Traité si elle décide que des événements extraordinaires, en rapport avec l’objet du présent Traité, ont compromis les intérêts suprêmes de son pays. Elle devra notifier ce retrait à toutes les autres Parties au Traité ainsi qu’au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies avec un préavis de trois mois. Ladite notification devra contenir un exposé des évènements extraordinaires que l’État en question considère comme ayant compromis ses intérêts suprêmes »Le deuxième alinéa de l’article X porte sur la durée de validité du Traité, initialement prévue à 25 ans..
Il existe donc une condition de forme, concernant la notification préalable aux autres Etats parties et au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (CSNU), et des éléments de fond, sur l’atteinte aux intérêts suprêmes.
Au niveau de la forme, la procédure de notification est calquée sur d’autres instruments de droit international, mais elle évoque le CSNU en raison de la gravité d’un retrait pour le système international. De plus, elle requiert un exposé des motifs de retrait et un délai de trois mois, ce qui peut donner le temps au CSNU non seulement de juger de la légitimité du retrait mais également de prendre des mesures appropriées au titre du chapitre VII de la Charte des Nations uniesChristopher Evans, « Going, Going, Gone? Assessing Iran’s Possible Grounds for Withdrawal from the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons », Journal of Conflict and Security Law, vol. 26, n° 2, été 2021..
La condition plus substantielle a trait au changement de circonstances, et est assez classique dans ce type de traité. Elle était par exemple prévue par le traité ABM (Anti-Ballistic Missile) et le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) et a été invoquée par Washington lors de son retrait de ces deux traités, respectivement en 2002Rein Müllerson, « The ABM Treaty: Changed Circumstances, Extraordinary Events, Supreme Interest and International Law », International and Comparative Law Quarterly, vol. 50, n° 3, juillet 2001. et en 2019Mike Pompeo, « U.S. Withdrawal from the INF Treaty », State Department, 2 août 2019.. Une formulation similaire a été adoptée lors de la négociation du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) adopté en 2017, bien que dans le cas du TIAN, le retrait ne peut prendre effet que 12 mois après la notification.
Le précédent nord-coréen
Concernant la Corée du Nord, la première condition n’a techniquement pas été remplie. Pyongyang a déclaré en 2003 un retrait à effet immédiat, en signalant avoir déjà signalé son intention de se retirer du Traité en 1993. Le moratoire de dix ans ne peut pas être formellement assimilé au préavis de trois mois prévu à l’article X. La seconde condition a été jugée inopérante par beaucoup d’Etats, qui ont estimé qu’aucun événement extraordinaire n’a porté atteinte aux intérêts suprêmes nord-coréens entre 1985 (date de ratification du traité par Pyongyang) et 2003 (date de retrait). Pyongyang a évoqué l’hostilité des Etats-Unis et de la Corée du Sud, mais aucune agression réelle n’a eu lieu, et la situation de légitime défense n’a pas été reconnue par le CSNU. La Corée du Nord a également indiqué comme élément justificatif le caractère partial des inspections de l’AIEA sur son territoire, ce qui ne peut être considéré comme mettant en cause ses intérêts suprêmes de sécurité. Deux négociateurs du Traité ont présenté une analyse très détaillée démontrant l’absence de base légale de la manœuvreGeorge Bunn, Roland Timerbaev, « The right to withdraw from the nuclear nonproliferation treaty (NPT): the views of two negotiators », Yaderny Kontrol, vol. 10, n° 1-2, automne 2005..
Il est à noter que le CSNU n’a cependant pas réussi à condamner officiellement par une résolution la forme et les motifs retenus par Pyongyang pour signaler son retraitChristopher Evans, op. cit.. En réalité, la nature éminemment sensible du dossier n’a pas permis une décision unanime des membres du Conseil, ni en 1993, ni a fortiori en 2003, dans une période de tensions sur les questions de prolifération (crise irakienne)Jean du Preez, William Potter, « North Korea’s Withdrawal From the NPT: A Reality Check », James Martin Center for Nonproliferation, 8 avril 2003..
Qu’est-ce qu’un « événement exceptionnel » compromettant les « intérêts suprêmes du pays » ?
Dans les faits, le texte du TNP indique que le retrait ne peut être envisagé que si des événements ont déjà compromis ou altéré la sécurité d’une nation, pas si ces événements sont susceptibles de le faire ou menacent de le faireGrégory Boutherin, « Le Traité sur la Non-Prolifération à l’épreuve du droit de retrait », Politique étrangère, IFRI, 2008/4, hiver 2008.. Mais concernant la qualification de l’événement en elle-même, elle appartient à l’Etat en questionNicholas Sims, « Withdrawal Clauses in Disarmament Treaties: A Questionable Logic? », Disarmament Diplomacy, n° 42, hiver 1999., et il n’existe pas de procédure au sein du TNP permettant de vérifier son bien-fondé. Le caractère subjectif de l’appréciation a rapidement été décrit comme une fragilité du régime puisque les interprétations peuvent naturellement varier quant au caractère exceptionnel de l’événementMohamed Shaker, The Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons: A Study Based on the Five Principles of UN General Assembly Resolution 2028 (XX), thèse n° 281 de l’Institut universitaire des hautes études internationales (HEI-IHEID) de Genève, 1976.. Selon la coutume internationale, le seul élément pouvant entraver le caractère subjectif de l’appréciation de l’Etat est l’obligation de faire preuve de bonne foi dans la mise en œuvre des Traités, un rempart fragileChristopher Evans, op. cit..
Par ailleurs, si l’on s’appuie sur l’histoire des négociations du TNP, les négociateurs n’ont pas donné d’instructions spécifiques sur leur interprétation de l’article. Il semble que la formulation de l’article X reprenne largement le texte agréé dans le Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires de 1963. Dans le contexte de ce traité, les facteurs pouvant engendrer un retrait avait été envisagés, en particulier une violation du traité par un autre Etat partie ou des explosions nucléaires par un Etat non-partie pouvant menacer la sécurité d’un Etat partieMohamed Shaker, The Nuclear Non-Proliferation Treaty: Origin and Implementation 1959-1979, Volume II, London: Oceana Publications, 1980.. Ces éléments ont sans doute également été perçus comme les principales circonstances pouvant justifier un retrait par les rédacteurs du TNP. Cependant, dans le contexte du TNP, une forme de flexibilité semblait préférable aux négociateurs, notamment pour convaincre des Etats comme la République fédérale d’Allemagne et l’Italie de signer le Traité, tous deux souhaitant pouvoir revoir leur statut d’ENDAN en cas de bouleversement géostratégique, par exemple la disparition de l’OTAN. Les négociateurs du Traité entendaient aussi s’assurer que le retrait était envisageable si par exemple un Etat non-partie venait à acquérir des armes nucléaires. Les archives montrent que la délégation américaine considérait aussi que l’éruption d’un conflit majeur pouvait être perçue comme un motif de retrait.
Du côté des Etats non dotés, des positions divergentes ont été notées, certains cherchant à restreindre le droit de retrait, d’autres à le garder large (Brésil, Nigéria), d’autres encore évoquant la possibilité de le conditionner à la bonne mise en œuvre de l’article VI sur le désarmement (République Arabe Unie, Birmanie)Ibid.. Des analystes ont également repris cette analyse récemment, ce qui revient à une interprétation très extensive du terme « événement exceptionnel »Tom Coppen, « Good Faith and Withdrawal from the Non-Proliferation Treaty », Questions of International Law, 11 mai 2014..
La formulation retenue par le TNP permet donc une certaine créativité sur le type d’événement pouvant déclencher un retrait, même si elle insiste sur le caractère « exceptionnel » de celui-ci. Par ailleurs, elle indique que les circonstances doivent être liées à l’objet du traité, à savoir la prolifération nucléaire. Néanmoins, au vu de l’importance des enjeux pour la sécurité des Etats, des sujets connexes liés à la maîtrise des armements ou à la sécurité internationale de manière large pourraient être considérés comme pertinentsChristopher Evans, op. cit..
Réformer la mise en œuvre de l’article X
Le retrait nord-coréen a engendré une insatisfaction au sein de certains Etats parties au TNP et une volonté de restreindre les conditions de mise en œuvre de l’article X. Ainsi, plusieurs Etats ou groupes d’Etats ont régulièrement fait des propositions dans les enceintes multilatérales pour limiter les risques d’usage abusif de ce droit.
La France, en particulier, a à plusieurs reprises clairement exprimé sa position sur le sujet. Elle est notamment sensible à trois points. Tout d’abord, l’appréciation des événements pouvant justifier le retrait ne peut s’exercer de manière préventive. Deuxièmement, un Etat ayant exercé son droit de retrait reste pleinement responsable de potentielles violations du Traité commises avant le retrait. Enfin, la France, tout comme un grand nombre d’Etats, estime qu’il est inacceptable pour un Etat de faire usage, dans un programme militaire lancé après le retrait, des capacités et technologies nucléaires acquises dans le cadre de la mise en œuvre de l’article IV sur les coopérations dans le domaine des usages pacifiques de l’énergie nucléaireGenève – TNP – Retrait – Intervention de M. Jean-Hugues Simon-Michel, Représentation permanente de la France auprès de la Conférence du désarmement à Genève, 1er mai 2013.. Ce dernier point est celui qui suscite le plus de propositions et de débats puisqu’il n’est pas réglementé explicitement à ce jour. Aussi, une réflexion a été lancée dès 2004, à l’initiative en particulier de la France puis de l’Union européenne, pour encadrer le droit de retrait et éviter ce type de détournement, avec plusieurs documents soumis aux réunions des Etats membres du TNPVoir, par exemple, « Dénonciation du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires : démarche commune de l’Union européenne », document de travail présenté par l’Union européenne, NPT/CONF.2010/PC.I/WP.25, Comité préparatoire de la Conférence des Parties chargée d’examiner le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en 2010, 10 mai 2007.. Les Etats-Unis, la Russie, l’Allemagne, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, entre autres, ont également soumis des propositions sur l’encadrement du droit de retraitVoir, par exemple, « Article X of the Nuclear Nonproliferation Treaty: Deterring and Responding to Withdrawal by Treaty Violators », State Department, 2 février 2007..
Logiquement, les efforts diplomatiques entrepris à ce jour n’ont pas cherché à supprimer le droit de retrait – une manœuvre politiquement irréaliste – mais à encadrer la mise en œuvre de l’article X pour limiter les risques d’usage abusif. En amont de la Conférence d’examen de 2015, les Etats-Unis ont ainsi bien clarifié qu’il ne s’agissait pas de remettre en cause ou de modifier le texte de l’article, mais d’adopter des mesures permettant de réagir à un abus délibéré du traitéDaniel Horner, « U.S. Pursues Penalty for Renouncing NPT », Arms Control Today, juillet 2013.. Ainsi, l’objectif de créer un système « dissuasif » pour décourager un Etat d’avoir recours à l’article X a récemment été évoqué par un ancien officiel américainChristopher Ford, « What Like-Minded States Can do to Deter Withdrawal from the NPT », New Paradigms Forum, 29 juin 2021., alors que le chef de la délégation américaine à la Conférence d’examen du TNP de 2022 a spécifié qu’il s’agit de décourager les « abus » du droit de retraitAmb. Adam Scheinman, « Special Online Briefing with Ambassador Adam M. Scheinman, U.S. Special Representative of the President for Nuclear Nonproliferation », Special Briefing, Department of State, 26 juillet 2022..
Il s’agirait par exemple d’obliger l’Etat à démontrer son bon respect du Traité jusqu’au moment du retrait, à soumettre sa demande à l’aval du CSNU ou d’une conférence exceptionnelle des Etats parties, instances qui pourraient être chargées de juger des circonstances invoquées ou de faire en sorte que les matières et installations obtenues dans le cadre de coopérations internationales ne puissent plus être utilisées pour un programme militaire. Deux solutions, notamment, ont été évoquées : la restitution pure et simple des technologies concernées suite au retrait, ou la poursuite du système des garanties de l’AIEA sur les sites construits dans le cadre de la mise en œuvre de l’article IV du TNPGrégory Boutherin, op. cit. même après la sortie de l’Etat du TNP.
De telles propositions, ou des propositions plus modestes, restent régulièrement émises lors des conférences d’examen du TNP, avec des Etats ou des groupes d’Etats publiant des documents de travail à ce sujet. C’est notamment le cas du « Groupe des 10 de Vienne », qui intègre cette question parmi ses sujets de travail et qui a préconisé, lors des comités préparatoires de 2017, 2018 et 2019Addressing « Vienna issues »: the Comprehensive Nuclear Test-Ban Treaty; compliance and verification; export controls; cooperation in the peaceful uses of nuclear energy; nuclear safety; nuclear security; and discouraging withdrawal from the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons, NPT/CONF.2020/PC.I/WP.2, 15 mars 2017, NPT/CONF.2020/PC.II/WP.5, 7 mars 2018 et NPT/CONF.2020/PC.III/WP.5, 15 mars 2019. et de la Conférence d’examen de 2022Addressing « Vienna issues »: the Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty; compliance and verification; export controls; cooperation in the peaceful uses of nuclear energy; nuclear safety; nuclear security; and discouraging withdrawal from the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons, NPT/CONF.2020/WP.3/Rev.1, 20 juin 2022., que les technologies acquises pour des usages pacifiques pendant la période où un Etat était partie au TNP restent sous garanties de l’AIEA suite au retrait. Ce groupe comprend l’Australie, l’Autriche, le Canada, le Danemark, la Finlande, la Hongrie, l’Irlande, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège et la Suède, et mentionne le sujet occasionnellement lors des réunions du TNP. En 2022, le groupe Non-Proliferation and Disarmament Initiative (NPDI) a également évoqué la question lors de la Conférence d’examen« Consequences of the exercise of the right of withdrawal contained in article X », Working paper submitted by the members of the Non-Proliferation and Disarmament Initiative (Australia, Canada, Chile, Germany, Japan, Mexico, the Netherlands, Nigeria, the Philippines, Poland, Türkiye and the United Arab Emirates), NPT/CONF.2020/WP.58, 3 juin 2022.. Le sujet n’a pas été au cœur des débats d’une conférence largement marquée par les répercussions de la guerre en Ukraine sur l’ordre nucléaire mondial. Le document final, finalement rejeté du fait de l’opposition russe, intégrait un rappel de l’article X, indiquait ne pas chercher à « limiter, restreindre ou ébranler ce droit » tout en rappelant que le retrait ne modifie pas les obligations préalables concernant certains Etats parties et que les Etats parties peuvent envisager d’incorporer des clauses de démantèlement ou de retour des équipements développés en coopération en cas de retrait de l’Etat avec lequel ils coopèrentDraft Final Document Review of the operation of the Treaty, as provided for in its article VIII (3), taking into account the decisions and the resolutions adopted by the 1995 Review and Extension Conference, the Final Document of the 2000 Review Conference and the conclusions and recommendations for follow-on actions adopted by the 2010 Review Conference, NPT/CONF.2020/CRP.1, 22 août 2022.. Ces éléments de langage ont repris des paragraphes des précédents rapports finaux des conférences d’examen, notamment celui de 2015 (non adopté) mais en se montrant plus conservateurs, en particulier en comparaison du rapport de 2010, où l’objectif de certains Etats de réfléchir à la mise en œuvre de l’article X avait été noté2010 Review Conference of the Parties to the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons Final Document Volume I Part I Review of the operation of the Treaty, as provided for in its article VIII (3), taking into account the decisions and the resolution adopted by the 1995 Review and Extension Conference and the Final Document of the 2000 Review Conference, NPT/CONF.2010/50 (Vol. I), 2010..
Le débat ne parvient donc pas à avancer au niveau multilatéral en raison de l’absence de pression de certains Etats dotés (Russie et Chine), des réserves fortes de certains groupes (Etats non alignés) et de l’opposition claire de certains Etats (en particulier l’Iran)Christopher Ford, op. cit.. Ainsi, l’Iran a récemment signalé qu’il « n’accepterait jamais aucune proposition qui mettrait en cause, poserait des contraintes ou des conditions au droit souverain des Etats parties de se retirer du Traité ». La délégation iranienne a par ailleurs rappelé que « l’article X est complètement clair et dénué d’ambiguïté » et qu’il « s’agit d’un élément intégral du compromis ayant conduit à la conclusion du TNP ». Elle a noté que selon les termes de l’article, la « détermination de l’existence d’événements extraordinaires est complètement laissée à la discrétion de l’Etat qui se retire » et a ensuite listé des circonstances pouvant justifier un retrait, en particulier « le non-respect des obligations de désarmement, la violation de l’obligation de faciliter les échanges de technologies nucléaires et les coopérations nucléaires civiles, les attaques militaires contre les installations nucléaires sous garanties d’un ENDAN, et l’application de sanctions unilatérales contre un ENDAN d’une manière qui empêche l’exercice d’un droit de cet Etat partie à développer les technologies nucléaires pour des usages pacifiques »Statement by the Delegation of the Islamic Republic of Iran on Other Provisions of the Treaty at the Third Session of the Preparatory Committee for the 2020 Review Conference of the Parties to the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons New York, 7 mai 2019..
Depuis 2003, en dehors des forums liés au TNP, la question a été mentionnée occasionnellement au CSNU. En 2009, la résolution 1887 du CSNU a modestement formalisé quelques dispositions soulignant le rôle du Conseil dans le cas d’une notification de retrait, sans parvenir à des préconisations concrètes pour éviter les retraits abusifsRésolution 1887, S/RES/1887 (2009), Conseil de sécurité des Nations unies, 24 septembre 2009. « Décide de traiter sans tarder toute notification de retrait du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires adressée par tout État, y compris les événements décrits dans la notification présentée par l’État conformément aux dispositions de l’article X du Traité, tout en prenant note des discussions en cours à l’occasion de l’examen du Traité en vue d’identifier des modalités par lesquelles les États parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires pourraient collectivement répondre à toute notification de retrait, et affirme que tout État demeure responsable au regard du droit international des violations du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires commises avant son retrait. ». Des discussions ont aussi lieu dans le cadre de la Conférence du Désarmement.
Des propositions ont également été faites dans la sphère académique, en particulier sur l’adoption préventive de résolutions du CSNU qui viendraient s’appliquer automatiquement en cas de retrait d’un Etat, visant à interrompre les coopérations nucléaires préalables de l’Etat en questionPierre Goldschmidt, « Dealing Preventively with NPT Withdrawal », Nonproliferation Policy Education Center, 23 janvier 2020..
Le droit de retrait aujourd’hui
Deux éléments rendent plus complexe la discussion sur le droit de retrait. Tout d’abord, les grands principes de droit international public incluent le fait qu’un Etat souverain peut toujours décider de mettre fin à un engagement international, en particulier si les circonstances ont changé ou en réponse à des violations par les autres Etats parties. Ces principes sont notamment reconnus par la Convention de Vienne sur le droit des Traités (article 62 sur le changement de circonstances et article 60 sur la violation)Article 60 : « Une violation substantielle d’un traité multilatéral par l’une des parties autorise : a) Les autres parties, agissant par accord unanime, à suspendre l’application du traité en totalité ou en partie ou à mettre fin à celui-ci » ; Article 62 : « Un changement fondamental de circonstances qui s’est produit par rapport à celles qui existaient au moment de la conclusion d’un traité et qui n’avait pas été prévu par les parties ne peut être invoqué comme motif pour mettre fin au traité ou pour s’en retirer, à moins que : a) L’existence de ces circonstances n’ait constitué une base essentielle du consentement des parties à être liées par le traité et que b) Ce changement n’ait pour effet de transformer radicalement la portée des obligations qui restent à exécuter en vertu du traité » (Convention de Vienne sur le droit des Traités, Recueil des Traités, vol. 1155, 1969).. Pour cette raison, l’Union soviétique a argué, au cours des négociations du TNP, qu’il était inutile de mentionner un droit de retrait spécifique dans le texte du TraitéJenny Nielse, John Simpson, « The NPT Withdrawal Clause and its Negotiating History », MCIS NPT Issue Review, juillet 2004.. Par ailleurs, plusieurs juristes ont estimé que le non-respect des exigences présentées à l’article X n’invalide pas la décision de retrait d’un Etat, qui reste un droit souverain. Les conditions listées à l’article X seraient donc une forme de procédure souhaitable ou de recommandation et non pas de condition sine qua non de reconnaissance du retraitMasahiko Asada, « Arms Control Law in Crisis – A Study of the North Korean Nuclear Issue », vol. 9, n° 3, Journal of Conflict and Security Law, hiver 2004 ; Frederic Kirgis, « North Korea’s Withdrawal from the Nuclear Nonproliferation Treaty », American Society of International Law: Insights, 24 janvier 2003..
Deuxièmement, le principe de réalité fait que même si un Etat se retire sans respecter les termes de l’article X, il est très difficile de ne pas reconnaître de facto son statut d’Etat non partie. Ainsi, aujourd’hui, bien que les diplomaties occidentales soient vigilantes à mentionner la Corée du Nord comme un Etat partie en rupture de ses obligations« DPRK/North Korea: Statement by the High Representative on behalf of the EU on the launch of an intercontinental ballistic missile », Press Release, Council of the EU, 19 novembre 2022., la résolution du CSNU 1874 a appelé Pyongyang « à rejoindre » le TNP, transmettant l’idée d’une rupture de faitRésolution 1874, S/RES/1874 (2009), Conseil de sécurité des Nations unies, 12 juin 2009..
Aujourd’hui, la crainte d’un retrait du TNP est particulièrement forte concernant l’IranMahsa Rouhi, « Will Iran Follow North Korea’s Path and Ditch the NPT? », Foreign Policy, 16 mars 2020.. Les efforts diplomatiques pour faire revivre le JCPOA, accord conclu en 2015 pour encadrer les capacités nucléaires iraniennes, semblent voués à l’échecKelsey Davenport, « Explainer: Can the Iran Deal Be Resuscitated? », The Iran Primer, United States Institute of Peace, 11 janvier 2023.. En réalité, Téhéran a depuis plusieurs années fait miroiter la menace d’un retrait du TNPGeorge Bunn, John B. Rhinelander, « NPT Withdrawal: Time for the Security Council to Step In », Arms Control Today, mai 2005.. Cette possibilité a été à nouveau mentionnée comme une option en janvier 2023Mehran Shamsuddin, « NPT withdrawal; Iran’s new option », Tehran Times, 22 janvier 2023.. Contrairement à la situation qui prévalait au début de la crise nucléaire iranienne, il a été noté qu’il pourrait être défendable pour l’Iran de se retirer officiellement du TNP, avec la possibilité d’utiliser plusieurs facteurs d’évolution de son environnement stratégique pour justifier le retraitChristopher Evans, op. cit.. En particulier, le retrait américain du JCPOA en 2018 et la réimposition unilatérale de sanctions alors que l’Iran respectait à l’époque les termes de l’accord pourrait être utilisés comme facteurs justificatifs, tout comme les tensions fortes entre Téhéran et Washington depuis 2019, marquées par des affrontements indirects, des assassinats, ou des attaques sur des bases ou des équipements navalsIbid.. Naturellement, certains Etats, et en particulier les Etats-Unis, jugeraient vraisemblablement ces circonstances comme insuffisantes pour justifier la mise en œuvre de l’article XAdam Scheinman, « What if Iran leaves the NPT? », Bulletin of the Atomic Scientists, 8 juin 2018..
Mais l’Iran n’est désormais plus la seule source de préoccupation concernant le TNP. Alors que le président sud-coréen a récemment indiqué que l’acquisition d’armes nucléaires par Séoul était envisageable « si [les menaces nord-coréennes] deviennent plus sérieuses »Jeongmin Kim, « Yoon says Seoul could rapidly acquire nukes if North Korean threats increase », NK News, 12 janvier 2023., une formulation nuancée quelques jours plus tardRajeswari Pillai Rajagopalan, « Is South Korea Considering Nuclear Weapons? », The Diplomat, 23 janvier 2023., la question de la manière dont la Corée du Sud pourrait exercer son droit de retrait du TNP a acquis une acuité particulière. En effet, certains analystes ont argumenté qu’alors que le retrait de Pyongyang du TNP était illégal, celui de Séoul serait « légal et justifié », l’article X du TNP « étant spécialement écrit pour les circonstances auxquelles la Corée du Sud fait aujourd’hui face »Jennifer Lind, Daryl Press, « Should South Korea build its own nuclear bomb? », The Washington Post, 7 octobre 2021.. D’autres observateurs ont en revanche pointé les difficultés politiques d’une telle manœuvre, notamment pour des pays comme la Corée du Sud ou le Japon, et soulignent en particulier la fenêtre de vulnérabilité créée par la période de préavis de trois moisLauren Sukin, « How International Law Could Help Preserve Nonproliferation in East Asia », Just Security, 1er décembre 2021..
Conclusion
Dans ce contexte, l’annonce d’un retrait du TNP par un de ses Etats parties, que ce soit l’Iran ou la Corée du Sud, devrait conduire à plusieurs lectures. Au niveau juridique, on peut imaginer que les deux pays pourraient justifier les « événements exceptionnels » les conduisant à revoir leur participation, et pourraient suivre la procédure indiquée dans l’article X. L’acceptation de cette justification par la communauté internationale serait ensuite avant tout une question politique, au niveau tant du CSNU que des principaux Etats parties au TNP. Au niveau stratégique, le CSNU disposerait du délai de trois mois pour réagir avant l’effectivité du retrait, mais il est facile d’imaginer une absence de consensus sur la marche à suivre dans cette enceinte, comme en 2003 concernant la Corée du Nord. Au niveau technique, l’avenir des installations nucléaires civiles, qui étaient au préalable soumises au contrôle de l’AIEA, poserait question, mais il n’existe pas à ce jour de mécanisme multilatéral permettant de s’assurer que ces capacités ne pourraient pas être utilisées par les Etats concernés pour des usages militaires. Dans ce contexte, les efforts pour dissuader les Etats de recourir à l’article X, en exposant clairement les conséquences d’un tel retrait, en particulier émanant d’Etats proches ou affinitaires, restent sans doute l’outil le plus efficace pour s’assurer du choix des ENDAN de continuer de faire partie du TNP. Ces efforts pour « dissuader » d’un retrait semblent en particulier essentiels pour ne pas voir s’écrouler le principe même de la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, qui serait anéanti si tous les Etats constatant une forte détérioration de leur environnement stratégique renonçaient à leur statut d’ENDANStephen Herzog, Lauren Sukin, « The Dueling Nuclear Nightmares Behind the South Korean President’s Alarming Comments », Commentary, Carnegie Endowment for International Peace, 25 janvier 2023 ; Siegfried Hecker, « The Disastrous Downsides of South Korea Building Nuclear Weapons », 38th North, 20 janvier 2023..