Sommaire du n°6 :
En décembre 2015, Manohar Parrikar, ministre indien de la Défense, a annoncé la publication, au cours du premier semestre 2016, d’une nouvelle Defence Procurement Policy (DPP). Réforme attendue depuis la prise de fonction du Premier ministre Narendra Modi, cette révision de la DPP marquera le deuxième temps fort de son ambitieux programme « Make in India » dans le domaine de la défense.
Initiée en 2002 par la publication d’un premier document déterminant la politique d’acquisition du ministère indien de la Défense (MoD), la DPP a depuis connu six révisionsDepuis la publication de sa première version en 2002, la DPP a été révisée à 6 reprises : 2003, 2005, 2006, 2008, 2011 et 2013.. Adoptée afin de simplifier, mais surtout clarifier des procédures particulièrement longues et complexes, la DPP a introduit un certain nombre de mesures portant notamment sur la mise en place des mécanismes de compensations (offset) et la création de cinq catégories de procédures d’acquisition visant à avantager les entreprises nationales.
Une BITD indienne principalement structurée autour de groupes publics de défense
Malgré une libéralisation du marché de la défense opérée en 2001, la BITD indienne se caractérise par un secteur public hégémonique qui a longtemps bénéficié d’une situation monopolistique sur un certain nombre de segments de marché (avions de combat, missiles, navires de surface, sous-marins, etc.).
Constituée de plus de 6 000 entreprises, dont près de 90 % de PME sous-traitantes, la BITD indienne reste cependant structurée autour d’un groupe historique de neuf entreprises publiques (DPSUs) et de 41 « Indian Ordnance Factories » (IOF). Rattachées au ministère indien de la Défense, sous la tutelle du Secrétariat à la Production de Défense dépendant du Département de la Production de Défense, les DPSUs et les IOF soutiennent environ 180 000 emplois directs et génèrent près de 90 % du chiffre d’affaires du secteur.
DPP 2013 ou la volonté de promouvoir l’industrie nationale
Représentant la sixième évolution du cadre réglementaire définissant les procédures d’acquisition, la DPP 2013 n’en constitue pourtant qu’une adaptation mineure« Defence Procurement Procedure 2013 (DPP) », Ministry of Defence, 2013.. Contrairement aux DPP publiées entre 2002 et 2011, qui ont essentiellement porté sur la mise en place d’une codification des procédures d’acquisition et sur l’introduction des offsets, la DPP 2013 a fait évoluer ce cadre réglementaire afin de favoriser davantage les acteurs indiens, et notamment ceux issus du secteur privé.
Important près de 70% de ses équipements militaires, le ministère de la Défense, à travers les propositions formulées par son « Categorization Committee »Organe prenant part au processus de décision des acquisitions d’équipements de défense., a institué une segmentation des procédures d’acquisition autour des cinq catégories suivantes :
Buy [Indian]
Promu par le gouvernement indien, ce mécanisme stipule que les systèmes doivent être acquis auprès de fournisseurs indiens. Afin de soutenir son industrie, l’Administration Singh avait également conditionné ces achats à l’intégration d’un minimum de 30% de contenu local (part calculée sur la base du coût global du programme).
Buy and Make [Indian]
À l’image de l’approche Buy [Indian], Buy and Make [Indian] fait de la nationalité indienne du maître d’œuvre un prérequis. Toutefois, celle-ci se veut moins rigide dans ses modalités d’exécution. En effet, le gouvernement accepte que le système comporte un minimum de 50% de composants locaux (part calculée sur la base du coût global du programme) ou un minimum de 30% de composants indiens au sein des équipements produits et/ou assemblés localement. Par ailleurs, Buy and Make [Indian] autorise que le maître d’œuvre indien soit partenaire d’une entreprise étrangère ou soit une coentreprise fondée avec un groupe étranger. Enfin, conscient des faiblesses de son industrie, le gouvernement permet également que les équipements soient produits localement sous licence par le maître d’œuvre indien du programme.
Make [Indian]
Introduite pour faciliter la participation du secteur privé, l’option Make [Indian] n’est applicable qu’aux entreprises indiennes. Celle-ci concerne l’achat de systèmes complexes dont la conception, le développement et la production sont effectués localement. En sus, ces systèmes doivent comporter un minimum de 30% de contenu indien au sein de leur prototype.
Buy and Make
Avant-dernière méthode d’acquisition, le principe de Buy and Make précise que le ministère de la Défense peut acquérir du matériel auprès d’une entreprise étrangère. Néanmoins, dans sa volonté d’accompagner le développement de sa BITD, le gouvernement a assorti cette démarche d’un transfert de technologies (ToT) ou l’octroi d’une licence de production vers un acteur industriel national.
Alors que les ToT sont supposés concerner 100% du système, le vendeur étranger doit, dans le cas d’une production sous licence, réaliser des offsets d’au moins 30% de la valeur du marché. Enfin, dans le cas où les équipements achetés possèderaient un minimum de 50% de composants indigènes, aucun offset ne serait applicable.
Buy [Global]
Pour sa part, Buy [Global] est la procédure qui, en théorie, devait être la moins exploitée par le ministère de la Défense. Correspondant à des acquisitions sur étagères, celle-ci n’est admise que pour des technologies et des équipements ne pouvant pas être développés et produits en Inde. Bien qu’autorisant les entreprises indiennes à se porter candidate, cette solution ne s’applique en réalité qu’aux fournisseurs étrangers.
Comme pour l’ensemble des marchés indiens remportés par des prestataires étrangers, des compensations d’un minimum de 30% de la valeur du contrat sont requises, voire au-delà lorsqu’il s’agit de programmes stratégiques.
Enfin, relevons qu’en marge de ce cadre, le gouvernement indien bénéficie d’une « sixième » voie : la « Fast Track Procedure ». Correspondant à un dispositif semblable à celui des acquisitions en urgence opérationnelle, la Fast Track Procedure vise à combler un besoin impérieux des forces armées indiennes dans des délais très courts.
Les 9 entreprises publiques de défense (DPSU):
- Aéronautique et missiles
- Hindustan Aeronautics Ltd (HAL)
- Bharat Dynamics Ltd (BDL)
- Terrestre
- Bharat Earth Movers Ltd (BEML)
- Naval
- Magazon Dock Ltd (MDL)
- Hindustan Shipyards Ltd (HSL)
- Garden Reach Shipbuilders & Engineers Ltd (GRSE)
- Goa Shipyards Ltd (GSL)
- Électronique de défense
- Bharat Electronics Ltd (BEL)
- Matériaux et alliages métalliques
- Mishra Dhatu Nigam Ltd (MIDHANI)
Au-delà de ces groupes publics de défense, les capacités de la BITD indienne reposent largement sur la Defence Research and Development Organization (DRDO). Responsable de la conception et du développement des systèmes d’armes, la DRDO dispose de capacités internes de production lui permettant de se positionner en tant que maître d’œuvre et intégrateur dans le cadre des programmes nationaux stratégiques.
DPP2016 : vers un renforcement du poids de l’industrie privée ?
Cinq ans après l’introduction des catégories présentées ci-dessus, et trois ans après la mise en place du système de hiérarchisation des procédures d'acquisition, un constat d'échec s'impose. En effet, seuls deux marchés ont depuis été notifiés dans le cadre d'une procédure Make, tandis que la grande majorité des systèmes stratégiques des forces indiennes a été achetée sur étagères (Buy Global). Ainsi, à l'image du programme MMRCA abandonné en 2015PANDIT Raja, « MMRCA deal: India to scrap $20 billion mega project for 126 Rafale fighter jets », Times of India, 14 avril 2015., les autorités indiennes ont été contraintes de revoir leurs ambitions à la baisse. Si la montée en puissance de la BITD nationale reste un objectif affiché, le MoD aura, au cours des derniers mois, multiplié les négociations dans le cadre d'accords stratégiques de type gouvernement à gouvernement (contrat Rafale, contrats Chinook et Apache, etc.).
Le ministre indien de la Défense ambitionne qu’à l’horizon 2027 70% des équipements des forces indiennes soient produits localementSHUKLA Ajai, « Ministry of defence targets 70% indigenisation by 2027 », Business Standard, 11 décembre 2015. À noter que la date de 2027 correspond à la fin du plan, classifié, de prospective technologique à 15 ans : Long-Term Integrated Perspective Plan (LTIPP). Une version de 45 pages, le Technology Perspective Capability Roadmap (TPCR), est toutefois accessible au grand public.. Bien qu’au cours des deux dernières années les politiques initiées par les autorités indiennes auront permis d’accroître la part des acquisitions de matériels produits en Inde, l’objectif fixé par M. Parrikar semble difficile à atteindre compte tenu de la structure actuelle de la BITD nationale. En effet, fin 2015, selon le ministère de la Défense, le taux d’importation des équipements de défense affichait toujours près de 60%.
En partie élu sur son programme « Make in India », le gouvernement Modi entend désormais lancer la
deuxième phase de son programme de réformes dans la défense, après avoir mis en œuvre, en 2015, celle sur les investissements directs étrangers (IDE) dans le secteurEn novembre 2015, le gouvernement a officiellement porté le seuil des IDE dans la défense à 49% contre 26% jusque-là. Voir : « Govt relaxes norms for FDI in defence sector », The Indian Express, 10 novembre 2015..
Si l’intégralité des modifications ne devrait pas être connue avant le mois d’avril 2016, Manohar Parrikar a commencé à lever le voile sur certaines d’entre elles. Prenant acte du relatif échec des apports des DPP 2011 et 2013, le gouvernement Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peule indien) du Premier ministre Modi présente son nouveau document comme un « Game changer ». Sans révolutionner les procédures existantes, la DPP 2016 devrait très certainement poursuivre les efforts de libéralisation initiés dès le début des années 2010 par l’ex-Premier ministre Manmohan Singh.
La Russie, un fournisseur historique aux parts de marché contestées
Partenaire stratégique et fournisseur historique, les positions acquises par la Russie durant la Guerre froide sont désormais remises en cause. Présent sur l’ensemble des segments de marché, avec un statut de leader dans l’aéronautique et le terrestre, ses parts de marché sont aujourd’hui fragilisées par la volonté des autorités indiennes de diversifier ses sources d’approvisionnement. Malgré cette politique, les équipements russes (et ex-soviétiques) représentent encore l’épine dorsale de l’appareil de défense indien :
- Avions de combat (Su-30MKI, MiG-21, MiG-27 et MiG-29K, etc.)
- Hélicoptères (Mi-17, Ka-28 et Ka-31, etc.)
- Navires de surface et sous-marins (SSK type 877EKM, SNA type Akula, Porte-avions type Vikramaditya, Destroyer type Talwar, etc.)
- Véhicules blindés (chars lourds T-90, IFV BMP-2, etc.)
- Missiles et systèmes d’artillerie (antichars Invar et Konkurs M, Smerch M, etc.)
Depuis le début des années 2000, la domination russe s’est peu à peu érodée au profit des industriels occidentaux, et notamment français, américains, israéliens et britanniques. Ainsi, depuis 2010, les États-Unis sont devenus le premier fournisseur des forces indiennes (~15 Mds$ entre 2000 et 2013), avec une activité très forte dans l’aéronautique (C-17, C-130J, AH-64D, P-8I). Bien que limité à certaines niches, le positionnement des acteurs occidentaux s’est fait sur des segments stratégiques :
- Sous-marins d’attaque conventionnel (Scorpène, France)
- Défense aérienne (Barak 1, Barak 8, radars d’alerte avancée, Israël)
- Drones (familles Heron et Searcher, Israël)
- Jets d’entraînement (Hawk AJT, Royaume-Uni)
L’assouplissement des sanctions en matière de corruption
Un assouplissement des sanctions en matière de corruption est ainsi envisagé, afin de permettre au ministère de la Défense de débloquer certaines situations. En partie engendrée par un processus d’acquisition long et complexe, la corruption constitue un problème structurel dans la défense. En raison des barrières à l’entrée informelles qui se sont développées au sein du ministère de la Défense, les nouveaux entrants et les groupes étrangers, peu familier de son fonctionnement, contrairement aux DPSUs et au partenaire historique russe, ont été de facto contraint de faire appel à des intermédiaire censés leur faciliter l’accès au marché indien.
Générateur de dysfonctionnements, ce système a ainsi provoqué la condamnation de nombreuses sociétés indiennes et étrangères au cours des vingt dernières années. Durement réprimées, celles-ci se sont souvent traduites par des bannissements de 10 ans prononcés à l’encontre de fournisseurs étrangers tels que l’allemand Rheinmetall ou encore le sud-africain DenelEn 2005, Denel a été reconnu coupable du versement de pots-de-vin dans le cadre de cinq marchés. En 2012, Rheinmetall a également été banni pour 10 ans suite à des allégations de corruption envers des officiels indiens..
Pénalisantes pour les groupes étrangers qui ont vu dans le marché indien un relais de croissance, ces sanctions ont également eu un effet contreproductif inattendu pour le MoD. Celles-ci ont ainsi provoqué d’importants retards dans la modernisation des forces armées indiennes (ex. interruption des négociations avec Denel concernant l’acquisition de canons de 155mm) ou des obstacles dans le MCO d’équipements stratégiques (ex. problème de maintenance constaté sur les sous-marins type U-209 indiens après le gel de sa coopération avec HDW à partir de 1990 en raison de soupçons de malversations). Des coopérations industrielles ont été interrompues, rendant particulièrement complexe la montée en compétence de la BITD nationale. Enfin, ces affaires de corruption ont entraîné le ralentissement, voire le blocage, de certains marchés portant sur des équipements clés pour les forces armées (ex. négociations toujours bloquées malgré la sélection en 2012 de l’italien WASS dans le cadre de l’acquisition de torpilles Black Shark censées équiper les sous-marins Scorpènes indiens). Ainsi, l’affaire des 12 hélicoptères AW101 VVIP (marché remporté par AgustaWestland en 2010, puis annulé en 2014 après trois ans d’une bataille juridique liée à une affaire de corruption de responsables du MoD) a provoqué une forte opposition au sein de la classe politique entre les partisans d’une exclusion de l’ensemble du conglomérat Finmeccanica et les tenants d’une ligne modérée privilégiant uniquement l’éviction de sa filiale hélicoptériste Agusta-Westland.
Handicapantes pour les forces armées (nécessité de moderniser des équipements vieillissants) et pour le développement de la BITD, ces situations ont contraint les autorités à revoir leur position, non sans certaines contradictionsAprès l’affaire AgustaWestland, le Central Bureau of Investigation (CBI), organe notamment en charge des enquêtes de corruption, avait recommandé l’exclusion partielle de Finmeccanica. Toutefois, malgré cette décision, le retrait de BAE Systems dans le cadre du programme d’acquisition de 13 canons navals de 127mm a de facto placé l’italien en unique candidat d’un marché qu’il était pourtant censé perdre…. Pour y remédier, le Premier ministre a ainsi envisagé un abandon du système de bannissement automatique.
Ne souhaitant pas s’aliéner la possibilité de coopérer avec certains groupes de défense afin de mettre en œuvre sa politique du Make in India, le gouvernement Modi semble avoir tranché en faveur d’une réponse graduée. Ainsi, le ministère de la Défense entend-il
désormais fonder son arsenal répressif autour de pénalités financières et d’interdictions, plus ou moins longues, d’accéder aux marchés publics.
Une politique anti-corruption qui s’est renforcée depuis les années 1980
Depuis le milieu des années 1980, les autorités indiennes ont considérablement renforcé leur politique anti-corruption. Ainsi, chaque année, le Central Bureau of Investigation (CBI), entité fédérale chargée d’enquêter sur les crimes et délits sensibles, identifie, en moyenne, une dizaine de cas de corruption dans le domaine de la défense.
Bien que la CBI ne communique pas de liste des entreprises indiennes et étrangères bannies, la presse a révélée plus d’une quinzaine de cas depuis 2010. Parmi les groupes étrangers récemment exclus du marché indien figure notamment :
- Rheinmetall Air Defense, filiale suisse du groupe allemand Rheinmetall
- Israel Military Industries, Israël (retirée de la liste en 2014)
- Corporation Defence, Russie
- ST Kinetics (filiale de ST Engineering), Singapour
- BBT Poland, Pologne
Enfin, relevons que Finmeccanica, en dépit de l’accusation ayant pesé sur sa filiale AgustaWestland, n’a été que partiellement banni par le gouvernement indien.
L’introduction de nouvelles catégories dans la DPP
Le ministre de la Défense a également révélé qu’un nouveau type d’acquisition devrait voir le jour : l’Indigenously Designed, Developped and Manufacture (IDDM).
Vouée à devenir la voie de référence (devant la catégorie Buy [Indian]), l’IDDM s’inscrit pleinement dans le cadre du « Make in India ». Pensée pour dynamiser le secteur privé et des ETI/PME de défense indiennes, l’IDDM ne conditionne plus l’indigénisation des équipements à la simple incorporation d’un minimum de 30% de contenu local. Mal définie, cette notion apparaissait floue aux yeux de nombreux industriels privés, dans la mesure où aucune nuance en termes de valeur ajoutée n’avait été précisée. Dès lors, le rôle des sociétés indiennes, à l’exception des entreprises publiques de défense et de quelques grands groupes privés, a essentiellement été limité à celui de fournisseur de composants et/ou de sous-ensembles « low-cost »SHUKLA Ajai, « Parrikar's proposed defence procurement policy breaks new ground », Business Standard, 13 janvier 2016..
Mettant dorénavant l’accent sur les étapes de conception et de développement, la catégorie IDDM semble offrir un cadre plus clair aux industriels nationaux. Elle entend également leur donner plus de visibilité afin de les inciter à accroître leurs investissements dans un secteur industriel de la défense où l’essentiel des dépenses de R&D est réalisé par la Defence Research & Development Organization (DRDO) rattachée au MoD. Enfin, outre ces améliorations, IDDM sera structurée autour de deux sous-sections qui accordent une prime évidente aux matériels conçus et développés localement :
- Lorsque les équipements ont été conçus et développés en Inde, seuls 40% de leur production devra être effectuée dans le pays.
- En cas d’équipements n’étant pas conçus et développés dans le pays, le maître d’œuvre du programme devra alors produire au moins 60% du système sur place.
Financement de la R&D et révision en profondeur de la catégorie Make [Indian] ?
Initialement créée pour faire émerger de nouveaux acteurs au sein de la BITD indienne, l’échec de la catégorie Make [Indian] n’aura pas permis aux entreprises privés de briser le monopole des groupes publics tels que HAL. Hormis quelques exceptions (importante contribution de Larsen & Toubro au programme de SNA Visakhapatnam, sélection de Tata dans le cadre du remplacement de la flotte d’Avro, notamment), seuls deux projets ont été attribués par le biais de cette procédure depuis son introduction. D’ici 2027, pour inverser la tendance, le gouvernement souhaite donc notifier entre 8 et 10 marchés de ce type par an.
Parmi les principales évolutions attendues dans Make [Indian], celle sur la nationalité des fournisseurs devrait montrer un léger assouplissement de la posture du gouvernement. Alors qu’initialement les sociétés devaient être exclusivement indiennes, cette mise à jour devrait autoriser des entreprises contrôlées minoritairement par des actionnaires étrangers de candidater à ce type de marché. Néanmoins, l’évolution majeure du processus Make [Indian] consistera en l’introduction de trois sous-catégories qui conditionneront le financement de la R&D par le gouvernementSINGH Vijay, « Defence Procurement Procedury 2016: The Prospective Game Changer ?? », Center for Land Warfare Studies (CLAWS), 20 janvier 2016. :
- Make 1 [Financement par le gouvernement]
Dans le cadre de Make 1, les autorités indiennes financeront jusqu’à 90% de la R&D d’un projet, dont 20% sous forme d’avances. En sus, le ministre de la Défense a annoncé que le gouvernement s’engagera à couvrir les 10% restants du prototype en cas de retard dans la publication des RfP. Enfin, une clause de préférence pour les ETI et PME devrait également être intégrée pour les programmes dont le coût est inférieur à 10 crores Rs1 Crore de roupies représente 10 000 000 de roupies. (~1,2 M€). - Make 2 [financement par l’industrie]
À l’inverse de Make 1, cette catégorie devrait s’appuyer sur un financement de la R&D par les industriels. Pour inciter les entreprises privées à se positionner sur ce type de marché, le gouvernement devrait annoncer le remboursement des frais engagés par la société sélectionnée dans le cas où un appel d’offres ne pourrait être publié dans les deux années suivant le développement du démonstrateur. - Make 3 [Financement par les ETI/PME]
La troisième et dernière catégorie est similaire à la précédente. Toutefois, Make 3 est strictement réservée aux ETI et aux PME indiennes. Par ailleurs, cette section ne devrait concerner que des projets n’excédant pas 3 crores Rs (~370 k€).
Enfin, d'après la Confédération des Industries Indiennes (CII), les catégories Buy [Indian] et Buy and Make [Indian] connaîtront également des ajustements« CII Welcomes Positive Amendments to Defence Procurement Procedure (DPP) », Confederation of Indian Industry, 13 janvier 2016.. Ainsi, Buy [Indian] verra son seuil de composants locaux passer de 30% à 40%, tandis que celui de Buy and Make [Indian] sera amené à 50%.
Une remise en question du monopole des groupes publics de défense qui s’annonce lente
Comme nous avons pu le voir, le gouvernement indien s’efforce à travers ces mesures à favoriser le développement de la BITD nationale. Cherchant notamment à encourager la montée en compétence du secteur privé, cette réforme doit être interprétée comme un message fort adressé aux grands conglomérats tels que Tata, Larsen & Toubro, Mahindra & Mahindra, ou encore Reliance. Au-delà de l’évolution de la DPP laisse transparaître la volonté d’accompagner l’émergence d’une véritable politique de R&D au sein des ETI et PME indiennes. Pour les autorités, cette politique doit en parallèle contribuer au développement d’un tissu intermédiaire d’entreprises (équipementiers et composantiers de taille critique), à ce jour inexistant, mais nécessaire à la consolidation de la BITD.
En effet, en dépit de ces annonces, ni le gouvernement, ni la CII n’ont jusqu’ici été en mesure de communiquer une définition précise des sociétés admissibles à ces financements. Par ailleurs, ce problème de périmètre ne semble pas uniquement concerner les ETI et les PME. Ainsi, l’actualisation de la catégorie Make, bien qu’a priori introduite pour le secteur privé, ne pourra être un succès que si son accès par les grands groupes publics de défense en est restreint ou étroitement contrôlé.
Enfin, même si les industriels privés ont montré une réelle appétence pour les marchés de défense, leur capacité d’investissement ne sera in fine déterminée que par les signaux envoyés par le gouvernement. Ainsi, malgré le choix de Tata (en partenariat avec Airbus) dans le cadre du programme visant le remplacement de la flotte d’Avro, la remise en cause du monopole des entreprises publiques, notamment dans l’aéronautique, paraît encore lointaine. En effet, la récente sélection, en décembre 2015, de HAL pour produire sous licence des hélicoptères utilitaires légers Kamov 226, au détriment du groupe privé Reliance, symbolise toute l’étendue des barrières à l’entrée auxquelles sont confrontés ces nouveaux entrants.