Sommaire du n°9 :
Les moyens de la dissuasion nucléaire française devront être renouvelés au cours des prochaines années. L’enjeu est d’assurer le maintien à niveau des capacités de dissuasion, donc leur crédibilité, sur la période 2030-2080. Pour la composante océanique de la dissuasion, des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération (SNLE-3G) devront être construits, et les missiles M51 modernisés. La pérennisation de ces moyens, dictée par l’évolution de la menace, s’inscrit dans un contexte dominé par les problématiques budgétaires.
Or, comme l’a rappelé l’Amiral Bernard Rogel, alors Chef d’état-major de la Marine, « Une dissuasion non crédible ne dissuade personne. Cette crédibilité passe par la recherche constante du plus haut niveau de performances et de l’indépendance nationale dans la conception technique, l’entretien et la mise en œuvre de l’outil de dissuasion »« L’excellence au service de la dissuasion », Cols bleus, n°3040, 3 juin 2015.. La dimension industrielle revêt donc ici une acuité toute particulière. C’est cette dimension que nous avons tenté d’éclairer, notamment par le biais d’une étude de l’impact économique de la filière industrielle soutenant la composante océanique de la dissuasion.
Un premier volet, centré sur les SNLE (activités du maître d’œuvre DCNS et de ses sous-traitants), a été publié en septembre 2016Un premier volet de l’étude a été publié en septembre 2016, Impact économique de la filière industrielle « Composante océanique de la Dissuasion ». Volet 1-SNLE. Le périmètre d’analyse porte uniquement sur les activités de DCNS. Le volet 1 est disponible en ligne sur le site de la FRS : www.frstrategie.org/DI.. Une synthèse des résultats a été présentée dans le cadre de Défense & Industries n°8, publié en octobre 2016. Le présent article porte sur le second volet de l’étude, lequel offre un périmètre d’analyse élargi, SNLE et Missiles stratégiques (hors têtes nucléaires), permettant ainsi de prendre en compte les activités de DCNS (maître d’œuvre d’ensemble et architecte d’ensemble du navire),
Airbus Safran Launchers (maître d’œuvre du système d’arme des missiles balistiques) et Areva TADCNS et AREVA TA sont cotraitants pour la conception et la réalisation des sous-marins nucléaires. (maître d’œuvre et fournisseur des réacteurs nucléaires), ainsi que de leurs sous-traitants.
Conception, production, mise en œuvre, et MCO des capacités de dissuasion : le choix de l’indépendance et de l’autonomie
La France a fait le choix de l’indépendance et de l’autonomie pour ses forces de dissuasion. SNLE et propulsion nucléaire, missiles et têtes nucléaires (dont l’approvisionnement de matières nucléaires), transmissions spécifiques et infrastructures associées, le pays ne dépend d’aucune puissance étrangère pour la conception, la production, la mise en œuvre, l’entretien, la modernisation et le démantèlement des différentes composantes de la Force océanique stratégique (FOST). Cette stratégie distingue la France du Royaume-Uni, en situation de dépendance vis-à-vis des Etats-Unis dans des domaines clés : missiles balistiques, têtes nucléaires, propulsion nucléaire et système de navigation.
Le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale de 2013« L’industrie de défense est une composante essentielle de l’autonomie stratégique de la France. […]. Elle seule peut garantir notre sécurité d’approvisionnement en équipements de souveraineté et en systèmes d’armes critiques, comme leur adaptation aux besoins opérationnels […] », in Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, Ministère de la Défense, Paris, 29.04.2013, 160 pages, p.124. et la LPM 2014-2019« D'ici à 2025, la pérennisation de la dissuasion nucléaire française sera conduite dans le respect du principe de stricte suffisance et le maintien des savoir-faire techniques et industriels sera assuré», in Loi n°2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, JORF n°0294 du 19 décembre 2013, rapport annexé. ont ainsi clairement réaffirmé l’importance de maintenir le potentiel scientifique, technologique et industriel qui permet à la France depuis presque cinq décennies de figurer dans le cercle restreint des Etats concepteurs, producteurs et opérateurs de SNLE et de missiles balistiques stratégiques (MSBS).
La France dans le cercle restreint des États producteurs et opérateurs de SNLE et de MSBS
Soulignons que tous les États disposant d’armes nucléaires ont exprimé le souhait de se doter d’une composante sous-marine. Si les États-Unis, la Russie, la France et le Royaume-Uni sont des États concepteurs, producteurs et opérateurs historiques de SNLE (premiers programmes lancés dès les années 1950 et 1960), ils ont été rejoints depuis, mais avec difficulté, par la Chine (années 1980), l’Inde développant également actuellement un programmePrézelin Bernard, Flotte de combat, Editions maritimes, édition 2012.. Toutefois, dans ce cercle restreint des États producteurs et opérateurs de SNLE et de MSBS, il convient de rappeler que seuls la France, les États-Unis, la Russie, et désormais la Chine, maîtrisent en toute indépendance la propulsion navale nucléaire.
- États-Unis. La majorité de l’arsenal stratégique américain est désormais déployée sur la composante océanique. Les États-Unis disposent de 14 SNLE, avec une présence accrue dans le Pacifique (8 unités contre 6 dans l’Atlantique). Chaque SNLE, de classe Ohio, est équipé de 24 missiles Trident II D5, armés de têtes W76-1 et de W88, optimisés pour les frappes de contre-force. Il est prévu de remplacer les Ohio par 12 classe Columbia dotés de 16 tubes, dont la première patrouille est attendue en 2031, le Trident II D5 demeurant le système d’arme dédié. Ce dernier a connu une importante phase de modernisation qui doit s'achever en 2017 (Trident II D5 LE) et qui sera poursuivie dans les décennies à venirEn parallèle, les têtes W76 et W88 et les corps de rentrée associés (MK4 et MK5) ont connu une longue phase de rénovation (achevée pour la W76) destinée à accroître la sûreté mais aussi à les adapter aux nouvelles menaces..
- La Russie a repris les patrouilles régulières de SNLE mais semble avoir du mal à revenir à la permanence à la mer. Le pays met au point, avec difficulté, un nouveau missile MSBS (Bulava ou SS-NX-32). Sa flotte est estimée à 11 SNLE opérationnels : 2 type Delta III, 6 type Delta IV et 3 SNLE de nouvelle génération type Boreï (sur 8 prévus). Les forces russes ont la particularité d’utiliser des MSBS à propulsion solide (SS-NX-32, déployés sur les Boreï) mais également des MSBS à propulsion liquide (SS-N-18 sur les Delta III et SS-N-23 sur les Delta IV), lesquels demeurent de remarquables outils de dissuasion. Alors que le SS-NX-32 reste peu fiable (nouvel échec d’un tir en novembre 2015), le SS-N-23 continue à être modernisé, la version Liner étant réputée pouvoir emporter jusqu’à 10 têtes MIRV.
- Le Royaume-Uni maintient un bâtiment à la mer en permanence et a pris la décision de principe de remplacer ses 4 SNLE type Vanguard. Cette décision a été confirmée le 18 juillet 2016 par un vote de la Chambre des communes. La conception et la construction des nouveaux bâtiments (programme Successor) associent étroitement les États-Unis. Les Britanniques réduiront cependant le nombre de tubes par SNLE (de 16 à 12), les missiles utilisés restant des Trident II D5 américains, qui seront amenés au standard D5 LELa tête W76 et le corps de rentrée seront également modifiés au standard W76-1/MK4A..
- La Chine, après avoir développé une première génération (Xia) de SNLE expérimentaux, est désormais en passe de se doter d’une véritable composante sous-marine reposant sur une nouvelle génération de bâtiments (Jin). Une incertitude demeure quant aux intentions exactes de Pékin en termes de permanence à la mer et d’emport d’armes nucléaires en temps de paix. Le statut opérationnel des missiles actuellement déployés, le JL-2, est également incertain, d’autant que sa portée limitée impose à la Chine de les lancer à partir de l’océan Pacifique si elle entend couvrir une part suffisante du territoire américain.
- L’Inde a pris de l’avance sur le Pakistan dans la mise sur pied d’une composante océanique même si celle-ci n'est pas encore réputée opérationnelle (1 SNLE type Arihant doté de missiles K-15 ; les 4 unités suivantes seront équipées de missiles K-4 de plus longue portée). L’Arihant et ses successeurs restent en développement.
La Corée du Nord tente de développer un porteur sous-marin, et procède de façon régulière depuis 2015 à des essais de lancement de missiles depuis la mer. Après plusieurs échecs, un premier essai réussi semble avoir été réalisé le 24 août 2016Trudeau Elizabeth, Daily Press Briefing, US Department of State, Washington DC, 24 août 2016.. Le vecteur, probablement de type KN-11, aurait franchi une distance de 500 km, cependant inférieure à la portée théorique du SS-N-6 dont il serait dérivé.
Israël, dont la capacité nucléaire est largement admise par les commentateurs, dispose de sous-marins Dolphin acquis auprès de l’Allemagne ; il est possible que ceux-ci soient armés de missiles de croisière dotés d’armes nucléaires.
Entre exigences de performances et contraintes liées au domaine dissuasion
La FOST doit être en mesure de réaliser sa mission dans la durée et de manière autonome, crédibilité opérationnelle et crédibilité technique sont donc intrinsèquement liées.
Pour les entreprises ayant des activités dans le domaine dissuasion, les contraintes sont fortes et multifacettes, le niveau d’exigence particulièrement élevé.
- Les systèmes et équipements embarqués sur un SNLE doivent offrir des performances d’exception, tout en répondant aux plus hautes exigences de fiabilité, de sécurité et de sûreté. Les technologies sont durcies pour supporter de nombreuses contraintes inhérentes à l’environnement sous-marin, et à la spécificité des opérations dans l’environnement spatial en particulier pour les missiles MSBS. Pour une entreprise, cela signifie être capable de se hisser au meilleur niveau mondial dans ses domaines d’expertise.
- Les commandes sont généralement limitées en volume (petites séries), leur tempo variable et discontinu (espacement dans le temps des programmes). Cette situation particulière signifie pour les entreprises d’être capables d’absorber les baisses et les pics de charge, tout en maintenant dans la durée des compétences spécifiques, rares et de haut niveau, afin d’assurer une continuité scientifique, technique et industrielle (capacité de conception, production, MCO et gestion des obsolescences).
- Les entreprises doivent également prendre en compte les contraintes liées à la protection du secret de défense. Une politique de sécurité garantissant la mise en œuvre du dispositif de protection des informations ou supports classifiés au sein de l’entreprise, ainsi que chez les sous-traitants, est une obligation.
- La nécessité de maîtriser en interne les domaines les plus stratégiques et sensibles façonne le modèle économique de l’entreprise, en imposant une localisation des activités sur le territoire national, et si sous-traitance il y a, en assurant un pilotage et un suivi rigoureux de la supply chain.
- L’assurance sur la qualité et la continuité de l’approvisionnement est ici un impératif. Elle impose pour les systèmes, équipements, et composants critiques, un approvisionnement en France, afin d’éviter toute situation de dépendance vis-à-vis de fournisseurs étrangers (européens, et a fortiori américains, avec les risques de contrôle export étranger liés, notamment ITAR).
- L’interdiction d’exporter ces mêmes systèmes et équipements critiques signifie l’absence d’un véritable marché en dehors des commandes étatiques nationales.
Spécificité et criticité des compétences
SNLE, chaufferie nucléaire embarquée et MSBS, les maîtres d’œuvre mobilisent chacun sur leur segment respectif des compétences et des infrastructures industrielles spécifiques et critiques, en matière de conception et de développement, d’assemblage et d’intégration, de qualification et de réalisation des essais, d’entretien, de démantèlement et de déconstruction.
Cette spécificité est notamment liée à l’environnement maritime et militaire d’emploi, au Système d’Armes Dissuasion (SAD), aux performances attendues, au nombre et à la taille des systèmes et composants à intégrer dans une plateforme mobile et de faible diamètre, à la gestion des milieux eau-air et la transition entre eux deux (sortie d’eau du missile), ainsi qu’aux exigences strictes de sûreté et de sécurité nucléaire.
Dans de nombreux domaines techniques (voir tableaux ci-après), les compétences sont considérées comme critiques. La criticité n’est pas ici une notion désincarnée. Elle est fonction d’un certain nombre de facteursDiez R., Sarton L., Transférer les compétences, comment éviter les pertes de compétences stratégiques, Eyrolles, 2012. Voir également Ermine Jean-louis, « Valoriser les connaissances critiques d’une entreprise », in Gestion Dynamique des Connaissances Industrielles, B. Eynard, M. Lombard, N. Matta et J. Renaud eds., collection IC2, Hermes Science publications, octobre 2004, pp 107-125.: forte spécificité technique, difficulté d’acquisition par une formation classique initiale ou continue, poids de l’expérience dans la maîtrise de la compétence (savoir théorique et pratique construit tout au long du parcours professionnel), rareté de cette maîtrise (nombre restreint de salariés dépositaires de la compétence et non disponibilité sur le marché de l’emploi) et importance stratégique (proximité avec le cœur de métier de l’entreprise).
Domaines techniques | Exemples de compétences impactées par les spécificités SNLE |
Architecture et maîtrise d'œuvre d'ensemble |
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Coque & Structures |
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Composante Embarquée du Système d'Arme Dissuasion (CESAD) |
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Système de Combat et Plateforme |
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Performances transverses |
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Domaines techniques | Exemples de compétences |
Architecture et Maîtrise d’œuvre chaufferie nucléaire |
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Conception système mécanique et électrique |
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Physique des réacteurs et des cœurs à plaques |
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Conception contrôle-commande |
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Fonctionnement général et sûreté nucléaire |
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Fabrication combustible |
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Domaines techniques | Exemples de compétences impactées par les spécificités MSBS |
Architecture système |
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Conception mécanique |
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Performances et logiciels |
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Ingénierie sol bord |
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Performances transverses |
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DCNS – AREVA TA – ASL : effectif total par site et degré de dépendance aux activités liées à la composante océanique de la dissuasion
Des emplois générés en France
Comme l’illustre la carte ci-dessus, si l’ensemble des sites DCNS est innervé par les activités Dissuasion/SNLE, cinq d’entre eux se caractérisent par un degré de dépendance plus marqué : Cherbourg, Brest, Nantes-Indret, Toulon-Ollioules, Ruelle et St Tropez. Les trois implantations principales d’AREVA TA, Saclay, Cadarache et Aix-en-Provence, sont toutes fortement dépendantes des activités liées à la composante océanique de la dissuasion. C’est également le cas pour les sites d’Airbus Safran Launchers localisés à St-Médard-en-Jalles, Le Haillan, Issac, Brest (Île Longue), Le Bouchet, et dans une moindre mesure, Les Mureaux et Toulouse.
Afin de mesurer l’impact économique (emplois générés) des activités de DCNS, AREVA TA et Airbus Safran Launchers liées à la composante océanique de la dissuasion, la méthode input-output a été mobilisée. Cette méthode nécessite de connaître le montant de ces activités (données fournies par les entreprises) et sa décomposition en termes de branches d’activité. L’exercice distingue deux types de période : les périodes hors programme de renouvellement, les périodes de renouvellement qui vont générer une activité supplémentaire.
Les emplois générés en France représentent l’addition des emplois directs, indirects et induits :
- Emplois directs : effectifs internes de DCNS, AREVA TA et Airbus Safran Launchers (production et hors production) liés à la composante océanique de la dissuasion.
- Emplois indirects : effectifs générés par les commandes de DCNS, AREVA TA et Airbus Safran Launchers au sein de la chaîne de fournisseurs et sous-traitants, du rang 1 au rang n.
- Emplois induits : effectifs générés par la consommation des seuls emplois indirects.
Ainsi, en période hors programme de renouvellement, nous pouvons considérer que l’activité liée à la composante océanique de la dissuasion de DCNS, AREVA TA et Airbus Safran Launchers génère environ 9 900 emplois directs et indirects par an.
En période de renouvellement, cette activité génère 13 000 emplois directs et indirects par an, sur une période de 20 ans.
Activité annuelle moyenne 2011-2015 : hors renouvellement | Activité annuelle moyenne lors des 20 années de renouvellement | |
Effectifs directs et indirects en France |
9 900 | 13 000 |
Effectifs induits en France |
2 800 | 4 300 |
Emplois directs, indirects et induits en France | 12 600 | 17 300 |
Impact territorial
Pour leur activité liée à la composante océanique de la dissuasion, les fournisseurs et sous-traitants (au rang 1) de DCNS, AREVA TA et Airbus Safran Launchers se répartissent sur l’ensemble du territoire national.
Si 90 départements sont concernés, 12 d’entre eux concentrent environ 70% des achats réalisés par les trois entreprises étudiées : Alpes-Maritimes (9%), Hauts-de-Seine (8,4%), Var (8%), Yvelines (7%), Paris (6,4%), Finistère (5,6%), Essonne (5%), Manche (4,9%), Loire-Atlantique (4,5%), Bouches-du-Rhône (4,4%), la Gironde (4,1%) et la Haute-Garonne (2,5%).
Une répartition sectorielle de ces commandes montre également que les principales branches d'activités concernées, « Fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques », « Fabrication de machines et équipements », « Fabrication de produits métalliques, à l'exception des machines et des équipements », « Activités d'architecture et d'ingénierie ; activités de contrôle et analyses techniques », sont aussi parmi les plus intensives en travail.
Fertilisation croisée
Dissuasion – Conventionnel
Les technologies et procédés industriels développés au profit de la composante océanique de la dissuasion ont largement bénéficié aux sous-marins nucléaires d’attaque type Rubis, puis type Barracuda, ainsi qu’aux sous-marins à propulsion « classique » type Agosta, puis Scorpène, et demain aux « Shortfin Barracuda » (contrat Australie). Métallurgie des coques, discrétion acoustique, informatique des systèmes de combat, propulsion, communications, ou encore systèmes de navigation, les technologies mises au point pour les SNLE NG type Le Triomphant ont nettement tiré vers le haut le niveau de performance des autres types de sous-marins, au premier rang desquels les futurs SNA type Barracuda. En termes de discrétion, sa signature acoustique est proche de celle des SNLE NG. Les installations sont désormais sur modules ou sur plots (procédés permis grâce à l’augmentation de la taille du sous-marin). Leur vitesse « silencieuse » est supérieure et les performances de détection sous-marine accrues« Le quatrième SNA du type Barracuda commandé », Mer et Marine, 30 septembre 2014, « Les deux derniers SNA du type Barracuda renommés », Mer et Marine, 23 mars 2015, et « Programme Barracuda : Mer en vue pour le Suffren », Cols Bleus, 9 Janvier 2014..
La chaufferie est dérivée du réacteur nucléaire K15 qui équipe les SNLE NG et porte-avions Charles-de-Gaulle, reprenant ainsi le concept de réacteur compact à architecture intégrée. Dans ce domaine, le programme Barracuda intègre les améliorations survenues ces dernières années et issues du retour d'expérience de conception réalisation exploitation : augmentation de l'énergie extractible des cœurs (permettant un allongement de la période d’activité opérationnelle entre rechargements), emploi d'uranium à taux d'enrichissement civil, rationalisation de l'interface homme/machine, et mise à niveau aux nouvelles exigences de la sûreté nucléaire et de la radioprotectionFribourg Charles, La technologie des réacteurs de propulsion navale, et Guillaud, Gauducheau, Les RPMP pour la propulsion navale, www.iaea.org/inis..
National – Export : crédibilité et effet d’attractivité
Les Etats clients désireux d'intégrer le cercle des pays producteurs et opérateurs de sous-marins cherchent à s’appuyer sur des partenaires étrangers à même de les aider à concrétiser leur ambition. Dans ce contexte, un positionnement de haut niveau en tant que maître d’œuvre de programme de SNLE renforce la crédibilité et la réputation de DCNS à l’international.
En véhiculant une image forte d’excellence scientifique et technique, il rencontre les aspirations des Etats acheteurs de disposer à terme d’un véritable système national d’innovation dans le domaine de la défense et de maîtres d’œuvre industriels capables de gérer un projet aussi complexe que celui de la conception et de la construction d’un sous-marin. Il y a là un effet d’attractivité qui bénéficie aux offres de DCNS sur le segment des sous-marins conventionnels, comme l’illustrent les nombreux succès à l’export en deux décennies, notamment au Chili, en Malaisie, en Inde, au Brésil, et plus récemment en Australie.
Défense – Civil
Les efforts de R&D liés à la création de la FOST ont concerné de nombreux domaines techniques. Il est ressorti de ces investissements intellectuels et matériels sur plusieurs décennies de nombreuses applications civiles, dont les plus emblématiques relèvent des secteurs suivants :
- Secteur médical. L’échographie dérive directement de la technique des sonars. Les techniques ultrasonores appliquées à la médecine ont été développées dans les années 1950 et ont commencé à être utilisées en routine vers le début des années 1970. Ces techniques dérivent de celles qui ont été mises au point pour le radar, le sonar sous-marin et le contrôle non destructif des matériauxTanter Mickael, « Imagerie échographique ultrarapide et élasticité. Vers une rhéologie temps réel du corps humain », LOA, ESPCI, http://www.phys.ens.fr/..
- Secteurs industriels. Les processus, compétences et outils nécessaires à la conception et à la réalisation de systèmes aussi complexes qu'un SNLE, une chaufferie nucléaire ou un missile balistique ont contribué à hisser l'industrie française au plus haut niveau dans le domaine de l'ingénierie de systèmes complexes.
- Secteur aéronautique. Depuis l’équipement des missiles et des sous-marins, plusieurs gammes de centrales inertielles gyrolasers ont été développées pour des applications civiles, en particulier dans le domaine aéronautique. Désormais au premier rang mondial sur ce segment, les équipes de Safran Electronics & Defense sont à l’origine du développement des centrales inertielles à cœur GRH, conçues pour des applications duales, notamment pour la marine marchande.
Les travaux réalisés sur le durcissement des composants électroniques trouveront des applications dans le civil pour la protection des composants contre l'ionisation sur les structures en composite.
- Secteur nucléaire civil. La propulsion nucléaire navale aura représenté la première véritable application de l'énergie nucléaire contrôlée. Par rapport à un réacteur à terre, un réacteur nucléaire embarqué sur SNLE doit répondre à des exigences beaucoup plus sévères. Les entreprises de la filière auront ainsi développé des compétences et des savoir-faire autour des équipements à haut niveau de sécurité qui bénéficient au secteur nucléaire civil (ingénierie et sûreté nucléaire) mais également aux marchés industriels non nucléaires (valorisation de technologies comme le contrôle-commande de sécurité et les outillages sécurisés, ingénierie de management de projets).
- Secteur spatial. Historiquement, le développement des technologies balistiques a soutenu le développement du secteur spatial. Pour prendre l’exemple de la propulsion, le développement des propulseurs d’appoint à poudre pour le lanceur Ariane 3, qui gagnent en puissance sur les versions Ariane 4 et 5, a conduit à créer une véritable synergie entre le programme spatial européen et le programme balistique. Par ailleurs, en termes d’expertise industrielle, chaque tir d’Ariane 5 représente un retour d’expérience pour le secteur balistique. Cette tendance se renforcera avec Ariane 6. L’ensemble du secteur de la propulsion bénéficie donc d’une intense fertilisation croisée, alors que l’importance de la demande du secteur spatial (propergol, enveloppes et structures) assure la pérennité de la filière dans la durée. Cet exemple est reproductible totalement ou partiellement à d’autres domaines tels que la séparation d’étage, le pilotage et la navigation, les protections thermiques ou encore la télémétrie, les logiciels ou la simulation.
Sur un plan plus général, il existe une synergie assumée entre les programmes balistiques et les programme spatiaux, appelée à se renforcer entre les programmes M51 et Ariane 6. En termes de conception, François Auque, alors Président d’Astrium précisait que le bureau d’étude développant Ariane et le M51 était le mêmeSophie Eustache, « Les Mureaux fêtent cent ans de conquête spatiale », L’Usine nouvelle, 21 septembre 2012. Il en va de même au niveau des systèmes de guidage, le développement des centrales inertielles d’Ariane 6 étant conçu par les équipes en charge du M51 au sein du groupe Safran. La création de la coentreprise Airbus Safran Launchers renforce ces synergies, favorisant l’exploitation d’outils industriels communs et l’évolution des personnels entre le secteur spatial et le domaine militaire.
Cette synergie permet également une rationalisation de l’outil industriel, stimulée par la compétition internationale dans le domaine spatial. L’impact sur le domaine balistique est sensible, une partie des compétences pouvant être maintenue par l’intermédiaire du secteur spatial, limitant ainsi l’impact des creux de production. Les nouveaux développements du M51, prévus pour s’adapter au contexte géopolitique, auront lieu environ tous les dix ans de façon incrémentale mais seront nécessairement de moindre ampleur que le développement d’un missile complet. Aussi la dualité avec les programmes du secteur spatial reste essentielle pour gérer les compétences dans la durée.
Une attention particulière doit donc être portée au maintien des compétences propres à la dissuasion, non reproductibles dans les secteurs civils (qu'il s'agisse de lanceurs, de réacteurs nucléaires ou de construction navale). Si la synergie existe, la spécificité demeure.
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