Une nouvelle arme "de faible puissance" : options et état du débat

Alors que la Nuclear Policy Review est attendue pour le début de l’année prochaine, les « fuites » et « commentaires » des personnalités y participant sont logiquement étudiées avec attention pour essayer d’anticiper ses grandes orientations. Ainsi, Politico a indiqué en septembre que l’introduction de nouvelles armes de faible puissance était sérieusement considérée par le panel, une information largement débattue par les spécialistes américains des questions de défense et de sécurité, mais également la communauté du désarmement. Selon un expert anonyme interrogé dans l’article, « this capability is very warranted » Bryan Bender, « Trump review leans toward proposing mini-nuke », Politico, 9 septembre 2017..

Si elle faisait état de ce besoin, la NPR reprendrait les arguments de divers études et papiers publiés récemment et qui suggèrent de s’engager dans cette voie, notamment le rapport du Defense Science Board, publié en décembre 2016 (voir Bulletin n°41, mars 2017)Defense Science Board, Seven Defense Priorities for the New Administration, AD1028950, décembre 2016., qui invitait à diversifier les options à disposition du Président en permettant des variations de puissance mais également d’effets.

Le projet ATOM, publié en 2015 par le CSIS, contenait également de telles recommandations (voir Bulletin n°22, juillet 2015)Clark Murdock, Samuel Brannen, Thomas Karako and Angela Weaver, eds., Project ATOM : A Competitive Strategies Approach to Defining U.S. Nuclear Strategy and Posture for 2025–2050, CSIS, mai 2015., avec la proposition émise par certains auteurs (participant à la NPR actuelle) de construire « a suite of low-yield, special-effects warheads (low collateral, enhanced radiation, earth penetration, electromagnetic pulse, and others as technology advances), including possibly a smaller, shorter-range cruise missile that could be delivered by F-35s ».

Constatant une asymétrie dans les moyens d’intensification d’un conflit avec la Russie, d’autres suggestions ont été émises, souvent en faveur de la réintroduction dans l’arsenal d’une version nucléaire du Tomahawk (TLAM-N)Amiral Sandy Winnefield et Dr James Miller, « Bring Back the Nuclear Tomahawks », Proceedings Magazine, mai 2017, vol. 143/5/1., missile de croisière naval dont le démantèlement a été achevé en 2013.

D’autres propositions pourraient inclure de modifier les têtes existantes et ajustées aux missiles balistiques pour permettre des puissances plus réduites pour l’ensemble de la gamme des vecteurs (les options de frappe limitée concernant jusqu’à maintenant davantage les bombes à gravité et les missiles de croisière). Cela pourrait s’effectuer en désactivant l’étage secondaire d’une bombe thermonucléaire. Cette option aurait l’avantage d’offrir de nouvelles options militaires sans introduire dans l’arsenal un nouveau vecteur ni une nouvelle arme en tant que telleC. Paul Robinson, « Pursuing a New Nuclear Weapons Policy for the 21st Century », Albuquerque, NM, Sandia National Laboratories, 2001. Elle pourrait notamment convenir aux SLBM Trident en permettant des frappes de quelques kilotonnes seulementAdam Mount, « The Case Against New Nuclear Weapons », Center for American Progress, 4 mai 2017..

Outre la volonté de permettre l’emport d’armes de faible puissance sur tous types de vecteurs, le souhait de disposer de nouveaux effets a été émis. Il s’agirait entre autres d’étudier l’opportunité de développer des armes à radiations renforcées, impulsions électromagnétiques, faibles radiations (« bombes propres ») ou encore à capacité de pénétration accrueProject Atom, op. cit..

Ces propositions ont été perçues avec intérêt au Congrès où de nombreux élus républicains semblent ouverts à l’idée de revenir sur la politique de l’administration sortante. Elles ont également reçu le soutien de figures militaires majeures, qui estiment que certaines options sont aujourd’hui inexistantes et que, confronté à une frappe nucléaire de faible puissance adverse, le Président américain pourrait être obligé de choisir entre une réponse conventionnelle insuffisante ou une riposte nucléaire non-proportionnée ne respectant pas les règles du droit de la guerreRemarks by General Paul Selva at the Mitchell Institute for Aerospace Studies, Strategic Deterrence Breakfast Serie, Washington DC, 3 août 2017. « If the only options we have now are to go with high-yield weapons that create a level of indiscriminate killing that the president can’t accept, we haven’t provided him with an option – or her with an option to respond to a nuclear attack. And I don’t think a conventional […] response to a nuclear attack would be sufficient to deter the kind of people that would contemplate a nuclear attack. ».

Deux autres arguments sont également régulièrement émis. Tout d’abord, la perception par l’adversaire (en particulier russe) de l’absence de riposte crédible à une frappe nucléaire localisée et limitée pourrait l’encourager à franchir le seuil nucléaire et à bénéficier de l’intensification du conflit. Enfin, il serait pleinement logique d’assortir des têtes moins puissantes aux SLBM et ICBM en service, puisque depuis des décennies, la précision accrue des vecteurs permet de réduire la puissance des têtes tout en obtenant les mêmes résultats militaires. Il ne s’agirait donc pas d’une volonté d’emploi « tactique » mais d’une évolution normale de l’arsenal stratégiqueDerek Williams et Adam Lowther, « Lower-Yield Weapons Will Raise, Not Lower, the Threshold for Nuclear Use », Defense One, 29 août 2017..

Les critiques envers ce projet sont pour autant nombreuses. Ainsi, pour certains, cela reviendrait à copier Vladimir Poutine et à considérer, de manière erronée, que pour dissuader de manière efficace, il faut un arsenal similaire à celui de l’adversaireVoir par exemple Andrew Weber, Politico, op. cit..

D’autres insistent sur le fait que l’arsenal américain est déjà extrêmement flexible et offre au Président de très nombreuses optionsHans Kristensen, « The Flawed Push For New Nuclear Weapons Capabilities », FAS, 29 juin 2017., comme rappelé par le commandant de Stratcom John Hyten, qui a estimé lors de plusieurs auditions au Congrès que l’arsenal lui convenait en l’état et qu’il disposait de toutes les options nécessairesGénéral John Hyten, Audition, U.S. House Armed Services Committee, Military Assessment of Nuclear Deterrence Requirements, 8 mars 2017. « I can tell you that our force structure now actually has a number of capabilities that provide the president of the United States a variety of options to respond to any num-bers of threats ». Général John Hyten, US Strategic Command, Military Reporters and Editors Association Conference - Keynote Speech, Arlington, 31 mars 2017. « I’ll just say that the plans that we have right now, one of the things that surprised me most when I took command on November 3 was the flexible options that are in all the plans today. And the reason I was surprised when I got to STRATCOM about the flexibility, is because the last time I executed or was involved in the execution of the nuclear plan was about 20 years ago and there was no flexibility in the plan. It was big, it was huge, it was massively destructive, and that’s all there. We now have conventional responses all the way up to the nuclear responses, and I think that’s a very healthy thing. ». Ainsi, les B61 encore en service, notamment stockées en Europe, pourraient être utilisées avec une puissance d’environ 300 tonnes. La tête W80, en service actuellement sur le missile de croisière air-sol AGM-86 ALCM, aurait deux options de puissance, 5 et 150 kilotonnesJeffrey Lewis, « Why Donald Trump wants his nukes to be smaller », Foreign Policy, 21 septembre 2017..

Cet argument est renforcé par l’introduction imminente de deux têtes nucléaires produites lors de programmes d’extension de la durée de vie. Tout d’abord, la B61-12 devrait pouvoir être utilisée avec une puissance de 300 tonnes, 1,5, 10 ou 50 kilotonnesKyle Mizokami, « Why the Pentagon's New Nukes Are Under Fire », Popular Mechanics, 12 janvier 2016.. La modification de sa structure (tailkit ou kit de queue) lui donnera une précision beaucoup plus grande, ce qui devrait permettre à l’arme, selon le Government Accountability Office, « to meet military requirements with a lower nuclear yield »Government Accountability Office, “Nuclear Weapons: NNSA Has a New Approach to Managing the B61-12 Life Extension, But a Constrained Schedule and Other Risks Remain,” GAO-16-218, Report to the Committee on Armed Services, U.S. Senate, February 2016.. Par ailleurs, ses capacités manœuvrantes et son système de guidage amélioré donneront la possibilité une capacité « standoff » modeste, permettant encore une fois d’envisager des usages diversifiésHans Kristensen et Robert Norris, « The B61 family of nuclear bombs », The Nuclear Notebook, Bulletin of the Atomic Scientist, vol. 70, n°3, 2014.. La W80-4 qui armera le LRSO, devrait également avoir des possibilités additionnelles pour exploser à des puissances réduitesStephen Young, « Just How New is the New, Nuclear-armed Cruise Missile? », All Things Nuclear, 13 janvier 2016..

Les détracteurs de telles options estiment qu’il s’agit de programmes superflus au point de vue stratégique soutenus pour des raisons économiques et notamment pour garantir l’activité des Laboratoires NationauxVoir par exemple Joe Ciricione, Politico, op. cit.. De telles justifications ne sont d’ailleurs pas exclues puisque des partisans de la création de nouvelles armes ont estimé que la construction, ne serait-ce que de prototypes, était nécessaire pour préserver les compétences des ingénieurs et scientifiques travaillant sur ces programmesJohn Harvey, Debate: U.S. Nuclear Weapon Modernization, CSIS, 29 juin 2017..

Ce développement de nouvelles armes de faible puissance, pouvant entrer sous le vocable généralement admis d’ « armes tactiques », est critiqué comme abaissant le seuil d’emploi des armes nucléaires et inadapté pour une puissance comme les Etats-Unis qui détient une supériorité conventionnelle avérée. Par ailleurs, la crainte qu’il nécessite ou justifie la reprise des essais souterrains est souvent mentionnée comme une raison supplémentaire de ne pas s’aventurer sur cette voie, qui pourrait offrir une excuse à la Russie, la Chine, l’Inde ou le Pakistan pour se livrer à de nouveaux essaisMichael Krepon, « The Folly of Tactical Nuclear Weapons », Defense One, 2 octobre 2017..

Le sujet a des implications stratégiques, politiques, budgétaires mais également légales aux Etats-Unis. En effet, la NPR de 2001 avait déjà fait référence à l’introduction de nouvelles options et de portées réduites. Mais l’administration Bush avait surtout fait référence à une capacité en particulier : le Robust Nuclear Earth Penetrator (RNEP), qui n’avait pas réussie à être soutenue au Congrès. Les débats avaient néanmoins eu pour conséquence d’abroger l’amendement Spratt-Furse, datant de 1994, qui interdisait toute activité de R&D sur des têtes de moins de cinq kilotonnes, tout en maintenant l’interdiction de produire ces têtesAdam Mount, op. cit.. Avec la NPR de 2010, la règle des « Three No’s » a été soutenue par l’administration, qui s’est engagée à ne pas produire de nouvelles têtes nucléaires, créer de nouvelles missions pour ces armes ou offrir aux armes existantes de nouvelles capabilitésNPR 2010, Department of Defense, avril 2010. « The United States will not develop new nuclear warheads. Life Extension Programs (LEPs) will use only nuclear components based on previously tested designs, and will not support new military missions or provide for new military capabilities ». Cette conduite a notamment été présentée comme un geste majeur des Etats-Unis dans le respect de ses obligations liées au TNP.

L’opportunité de disposer de nouvelles armes, au vu des possibilités étendues déjà présentes dans l’arsenal et qui vont s’accroître à l’issue du programme de modernisation, sera sans doute in fine déterminée par la capacité des membres de l’équipe en charge de la NPR à trouver des scénarios d’emploi crédibles, comme avait cherché à le faire – sans vraiment y parvenir - l’administration Bush pour les RNEP. Au-delà de la stratégie, l’acquisition de nouvelles capacités nécessitera en effet l’accord du Congrès. Lors d’exercices organisées par le Center for American Progress, fin 2016, aucune option d’emploi n’avait été trouvée avantageuse par les participantsAdam Mount, op. cit.

A noter que la question d’armes de faible puissance n’est qu’une des propositions qui pourraient faire son entrée dans la NPR de 2017-18 pour renforcer et diversifier l’arsenal américain, puisqu’il a déjà été proposé de procéder à de nouveaux déploiements avancés de composantes à capacité duale (notamment en Corée du Sud)John R. Harvey, Future Nuclear Posture of the United States, Testimony before the Senate Armed Services Subcommittee on Strategic Forces, January 26, 2016. D’autres ont suggéré de stationner à nouveau des bombardiers à capacité nucléaire sur les porte-avions américainsEvan Braden Montgomery, « America’s Nuclear-Deterrence Challenge in Asia », The Wall Street Journal, 7 juin 2016.. La possibilité de répondre à la violation russe du traité FNI par le redéploiement de missiles à portée intermédiaire en Europe a aussi été évoquéeJennifer Rubin, « Is Trump Giving Putin a Pass on a Missile Deployment? », The Washington Post, 9 mars 2017.. Enfin, la construction de missiles air-sol de faible portée, déployés sur les avions de l’OTAN, a également été recommandée par des voix conservatricesMatthew Kroenig, « Toward a More Flexible NATO Nuclear Posture: Developing a Response to a Russian Nuclear De-Escalation Strike », Atlantic Council, 2016 et Eric S. Edelman and Whitney Morgan McNamara, « U.S. Strategy for Maintaining a Europe Whole and Free », Center for Strategic and Budgetary Assessments, 2017..

L’introduction ou la réintroduction d’armes de faible puissance semble être un serpent de mer de la politique de dissuasion américaine, plus ou moins populaire en fonction des majorités en place et des orientations présidentielles. La conjonction politique actuelle semble favoriser leur retour dans la doctrine américaine, avec un Président s’étant à plusieurs reprises exprimé en faveur du développement qualitatif et quantitatif de l’arsenal. L’environnement stratégique (Russie, Corée du Nord) dégradé rend nécessaire pour certains experts du camp conservateur de mener à bien les projets ajournés lors des deux précédentes administrations, et pourrait les rendre plus recevable pour l’opinion publique et en particulier auprès des législateurs américains. Par ailleurs, l’administration Trump, moins préoccupée par l’objectif de donner des gages à la communauté des Etats non-dotés très exigeants en termes de désarmement, ne paraît pas faire de la question de la non-prolifération une priorité majeure, dans un climat de forte polarisation illustrée par l’adoption d’un Traité d’interdiction des armes nucléaires. Reste à savoir si les projets de nouvelles armes seront réalistes dans leur mise en place. Des doutes sont déjà émis sur le financement du programme de modernisation en cours. Même si le budget des forces nucléaires demeure une fraction du budget du Département de la Défense, obtenir des crédits supplémentaires dans ce cadre sera tâche malaisée pour l’administration.

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Une nouvelle arme "de faible puissance" : options et état du débat

Emmanuelle Maitre

Bulletin n°47, octobre 2017



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