Trilateral Arms Control ? Perspectives from Washington, Moscow, and Beijing
Observatoire de la dissuasion n°76
juin 2020
Trilateral Arms Control ? Perspectives from Washington, Moscow, and Beijing est un rapport de recherche de l’Institute for Peace Research and Security Policy (Université d’Hambourg) coordonné par Ulrich Kühn avec les contributions de David Santoro pour le point de vue américain concernant un potentiel cadre de maîtrise des armements trilatéral, d’Alexey Arbatov pour une perspective russe et de Tong Zhao pour un regard chinois.
Ulrich Kühn rappelle que très vite après le retrait des États-Unis du traité FNI en 2019, Donald Trump a déclaré qu’il voulait d’un nouvel accord de maîtrise de l’armement intégrant la Chine. Pour l’auteur, plusieurs raisons justifient en effet le besoin de trouver un nouveau format qui dépasserait le bilatéralisme américano-russe datant de la guerre froide. Tout d’abord, s’il est laissé libre cours à la compétition des moyens nucléaires et conventionnels, le risque de retour de la course aux armements sera très largement accru, surtout en Asie de l’est. De plus, en plus d’être un facteur de stabilité, Ulrich Kühn pense qu’un accord de maîtrise des armements trilatéral constituerait un signal fort démontrant que la maîtrise de l’armement a bien un avenir, ce qui pourrait donner un nouvel élan au TNP. Pour lui, si les conditions actuelles ne sont certes pas favorables, il ne reste pas moins indispensable de réfléchir, dès maintenant, aux potentiels objectifs et conditions d’un tel accord. Ulrich Kühn a ainsi demandé à trois auteurs de s’interroger sur le positionnement et les intérêts respectifs de leur pays. Ulrich Kühn explique que le but de ce rapport n’est pas d’arriver à un consensus sur cette question, mais d’identifier l’intérêt –ou non- d’un potentiel accord de maîtrise de des armements trilatéral.
Ulrich Kühn note un certain nombre de similitudes dans les propos des trois auteurs :
- Tous trois jugent que l’intégration de la Chine devrait commencer dès maintenant, même si dans un premier temps, cela pourrait se limiter à des mesures de confiance.
- Ils pensent aussi qu’il ne peut pas y avoir de stabilité stratégique si les trois États en question n’admettent pas le concept de vulnérabilité réciproque.
- Un accord de maîtrise de l’armement trilatéral devrait prendre en compte l’asymétrie des équilibres nucléaires bilatéraux entre ces trois États, sans conduire à légaliser une augmentation massive de l’arsenal chinois.
- Chacun des trois auteurs pense également qu’un futur accord trilatéral ou même un accord bilatéral américano-chinois ne peut être fondé sur la seule idée de limiter les capacités de la Chine. L’accord devrait au contraire trouver une formule de compromis réciproque.
Le point de vue des États-Unis
David Santoro relève que le gouvernement américain reste flou sur la manière dont il souhaite intégrer la Chine (souhaite-il intégrer la Chine au traité New Start ou à un nouveau traité ?). Il est clair, en revanche, que le gouvernement américain procède par une approche bilatérale avec la Chine dans le but ultime d’en arriver à des négociations trilatérales.
Dans ce cadre, David Santoro commence par analyser les relations bilatérales des trois États concernés, en y apportant une perspective historique. La relation bilatérale américano-russe est caractérisée par une relation symétrique de dissuasion qui se détériore de plus en plus et risque d’aboutir à une nouvelle course aux armements. La relation américano-chinoise, au contraire, est caractérisée par une relation asymétrique de dissuasion, les États-Unis dominant la Chine. Cette relation ne comporte aucune dimension de maîtrise des armements et comporte donc un risque évident de course aux armements. Dans ce contexte, il estime qu’un accord de maîtrise des armements trilatéral devrait être fondé sur un cadre asymétrique puisqu’un scénario où les États-Unis et la Russie diminueraient leurs capacités pour les ramener au niveau de celles de la Chine n’est pas envisageable, ni un scénario dans lequel la Chine serait encouragée à renforcer ses capacités jusqu’au niveau de celles des États-Unis et de la Russie. Au regard des points de frictions importants qui existent dans les relations stratégiques de ces trois États (défense antimissile balistique américaine, armes conventionnelles stratégiques dont les missiles hypersoniques, espace et cyberespace), l’auteur pense également qu’aucun accord ne sera possible à moins que les trois États concernés ne fassent preuve de flexibilité.
David Santoro estime que ce serait une erreur de vouloir attendre des « conditions favorables » pour réfléchir à un tel accord. L’histoire et l’idée même de la maîtrise des armements est la gestion et la limitation de la course aux armements, qui intervient justement dans des contextes de compétition accrue. Si la Chine ne témoigne pas d’un intérêt à rejoindre un tel accord pour le moment, cela pourrait évoluer en fonction des potentielles conditions d’un tel accord et donc de ce que la Chine pourrait espérer en obtenir. David Santoro pense qu’étant donné leur expérience, les États-Unis et la Russie devraient intégrer la Chine dans le cadre légal actuel de maîtrise des armements. Ils devraient donc commencer par prolonger le traité New Start tout en lançant un appel diplomatique en faveur de négociations trilatérales.
Le point de vue de la Russie
Alexey Arbatov explique que si depuis 2007 la Russie poussait pour que la maîtrise des armements bilatérale devienne multilatérale, sa position a changé récemment pour rejoindre celle des plus petits États dotés selon laquelle les États-Unis et la Russie doivent continuer à procéder sur un mode bilatéral puisqu’ils possèdent ensemble une part écrasante de l’arsenal nucléaire mondial. La Russie a, de plus, déclaré comprendre les raisons du refus de la Chine à être intégrée au cadre légal de maîtrise des armements. Comme l’a fait Santoro, Arbatov analyse ensuite les relations bilatérales des trois États concernés pour conclure que, prises ensemble, les relations stratégiques entre ces trois puissances sont asymétriques et manquent d’un socle commun ou encore d’un terrain d’entente en termes de parité et de stabilité stratégique. Son analyse des relations bilatérales ressemble à celle faite par Santoro mais il met plus particulièrement l’accent sur la relation croissante de coopération entre la Russie et la Chine. Il fait également une analyse intéressante de l’évolution des doctrines nucléaires des États-Unis et de la Russie où il explique que ces grandes puissances tendent de plus en plus vers l’acceptation d’un principe d’une guerre nucléaire limitée par l’usage d’armes nucléaires tactiques.
Arbatov fait également une évaluation de l’arsenal nucléaire chinois et il estime que les capacités chinoises ont probablement été sous-estimées par la communauté internationale. De plus, si l’arsenal chinois est aujourd’hui bien plus petit que celui des États-Unis et de la Russie, la Chine est actuellement le seul État ayant la capacité technique et financière de mettre en place un réel développement de son potentiel stratégique sur les dix à quinze années à venir. Ainsi, que la Chine intègre ou non le cadre légal de maîtrise des armements, il faudra prendre en compte ses capacités et son programme de développement dans les négociations à venir. L’auteur explique ensuite que pour que la Chine rejoigne la maîtrise des armements, il faut qu’elle ait la garantie d’y gagner quelque chose du point de vue stratégique et qu’elle soit également assurée que tout potentiel accord ne cherchera pas à légaliser son infériorité stratégique vis-à-vis des États-Unis et de la Russie. Comme le font les deux autres contributions de ce rapport, il explique qu’il ne faudrait pas mettre en place un système visant à égaliser les capacités nucléaires de ces trois États. Il envisage alors un compromis où chacun des États se verrait imposer des réductions tout en ayant la permission de développer ses forces par ailleurs, dans le but de se retrouver, en quelque sorte, à mi-chemin : la Chine aurait par exemple l’obligation de réduire ses systèmes de portée intermédiaire tout en ayant la possibilité de renforcer ses capacités stratégiques, et les États-Unis et la Russie auraient la possibilité inverse de réduire leurs capacités stratégiques pour renforcer leurs systèmes de portée intermédiaire.
En conclusion, Arbatov estime que pour l’instant, l’attention et les priorités doivent porter sur la préservation de la relation de maîtrise des armements bilatérale entre les États-Unis et la Russie, qui ne doit pas souffrir de la volonté d’y intégrer la Chine, puisque cela reste une question complexe qui n’aboutira pas dans un avenir proche. Les États-Unis et la Russie devraient donc se concentrer sur les questions importantes auxquelles ils font désormais face ensemble : suite à l’abandon du traité FNI, les deux puissances devraient chercher, au moins, à s’engager à ne pas déployer d’armes nucléaires à portée intermédiaire en Europe et à se mettre d’accord sur des mesures de transparence. Ils doivent également prolonger le traité New Start de cinq ans et commencer à discuter d’un traité de remplacement. Ce prochain traité devra absolument, selon l’auteur, prendre en compte la question des nouvelles technologies stratégiques conventionnelles et nucléaires. L’auteur pense en effet que seule une continuation de la relation bilatérale américano-russe à cet égard peut servir de fondation solide à une « trilatéralisation » de la maîtrise de l’armement.
Le point de vue de la Chine
Tong Zhao commence par expliquer que du point de vue du gouvernement chinois, il est incorrect de dire que la Chine devrait « rejoindre » la maîtrise des armements puisqu’elle y contribue en fait déjà, entre autres, par sa signature du TICE et ses efforts visant à promouvoir un engagement général de non-emploi en premier. Cela-dit, l’auteur explique qu’il y a plusieurs raisons pour lesquelles la Chine peut et devrait envisager d’approfondir sa participation à la maîtrise des armements.
Selon l’auteur, la Chine reconnaît généralement que la maîtrise des armements bilatérale américano-russe sert ses intérêts et améliore sa situation sécuritaire. Mais il pense qu’il devient de plus en plus urgent qu’elle reconnaisse également le lien entre la transparence et la prévisibilité de la modernisation de son programme nucléaire et le désir des États-Unis et de la Russie de continuer à limiter le développement de leurs arsenaux nucléaires. L’auteur analyse ensuite la dynamique stratégique des trois États et explique que cette dynamique gagnerait en stabilité si les intentions chinoises étaient dénuées de toute ambiguïté. S’il pense que la Chine peut prendre des mesures simples en ce sens (participation à des mesures de transparence par exemple), il juge également que la perception que les États-Unis se font de la Chine comme puissance révisionniste dépend peut-être de leur acceptation d’un équilibre stratégique de vulnérabilité réciproque. L’auteur pense que la compétition des moyens militaires conventionnels ne peut pas être exclue de la maitrise des armements. Il souligne également que la Chine à tout intérêt à limiter ses dépenses militaires étant donné l’essoufflement de sa croissance économique.
Zhao estime que si le « trilatéralisme » n’est pas la seule manière dont la Chine peut approfondir son investissement en matière de maîtrise de l’armement, il y a quand même plusieurs raisons politiques pour lesquelles une telle approche serait dans son intérêt : éviter une relation de maîtrise des armements bilatérale sino-américaine calquée sur l’ancienne rivalité américano-soviétique ; tabler sur le soutien de la Russie pour faire valoir des préoccupations communes comme la défense anti-missile américaine ; favoriser la montée en puissance du statut politique de la Chine qui négocierait avec les deux puissances nucléaires mondiales sur un pied d’égalité. En ce qui concerne la forme que pourrait prendre un tel accord, Zhao avance ensuite quatre propositions concrètes. La proposition la moins ambitieuse est de trouver un accord qui permettrait d’empêcher une course aux armements sur les missiles de portée intermédiaire en Asie-pacifique. La seconde option serait de mette en place un plafond concernant tous types de missiles à portée intermédiaire. La troisième option serait de trouver un cadre combinant les dispositions du traité FNI ainsi que celles du traité New Start. Enfin la quatrième proposition de Zhao, qui serait particulièrement attrayante pour la Chine, serait de trouver un accord incluant les systèmes de défense antimissile.
Dans les premières phases d’une maîtrise des armements trilatérale, ces quatre propositions ne pourraient que prendre la forme d’engagements politiques, étant donné le manque d’expérience et de confiance de la Chine en ce qui concerne les systèmes de vérification. À cet égard, l’auteur pense qu’il pourrait être intéressant d’inviter la Chine à observer les activités d’inspection américano-russes, afin que ces derniers puissent partager leur expérience dans ce domaine. Enfin, Tong Zhao pense également que des négociations trilatérales seraient l’occasion pour ces trois États d’échanger sur leurs doctrines, permettant potentiellement ainsi de favoriser l’apparition de compromis.
Trilateral Arms Control ? Perspectives from Washington, Moscow, and Beijing
Par Institute for Peace Research and Security Policy, par Ulrich Kühn, Alexey Arbatov, Da-vid Santoro et Tong Zhao
Bulletin n°76, mai 2020