Tensions géopolitiques et blocages procéduraux au comité préparatoire
Observatoire de la dissuasion n°122
Emmanuelle Maitre,
septembre 2024
Du 22 juillet au 4 août 2024 s’est tenu à Genève le second comité préparatoire (PrepCom) à la conférence d’examen (RevCon) du TNP qui se tiendra en 2026. Les éléments de tensions observés lors de cette réunion sont connus et reflètent les fractures qui divisent la communauté du TNP depuis plusieurs années : guerre en Ukraine, tensions au Moyen-Orient, crises de prolifération, légitimité des doctrines de dissuasion, manque de progrès en matière de désarmement, contestation de la dissuasion élargie, utilisation de la propulsion nucléaire et de l’énergie nucléaire de manière large. Au terme de quinze jours de débats houleux sous la direction du Président du PrepCom kazakhstanais Akan Rakhmetullin, plusieurs points forts peuvent être mis en avant.
Tout d’abord, au niveau de la procédure, l’adoption du rapport produit par la Présidence a été impossible, mais contrairement à l’année précédente, Akan Rakhmetullin a pu introduire son compte-rendu des débats comme document de travail intégré au rapport procédural du PrepComChair’s Summary, NPT/CONF.2026/PC.II/WP.44, 2 août 2024., à la condition de satisfaire la demande russe d’insérer une note de bas de page spécifiant à nouveau que le compte-rendu ne reflète pas la position des délégations et ne doit pas servir de base de travail à la future RevCon. Il convient de noter que sur le fond et sur la forme, ce compte-rendu a fait l’objet de nombreuses critiques. En particulier, le groupe des non-alignés (NAM) ont peu apprécié que le Président s’appuie sur une version modifiée de son document suite à des consultations avec des groupes d’États effectuées la veille, un jour férié. Pour beaucoup d’États, le texte ainsi modifié était beaucoup trop conciliant avec les positions des États dotés et ne reflète pas leurs positions sur le désarmement, voire représente un recul par rapport aux engagements déjà pris. De manière inhabituelle, ce document est rédigé en présentant les différents points de vue des États, y compris leur opposition sur certains points, et ne cherche pas à représenter un consensus.
D’un point de vue géopolitique, si l’invasion russe de l’Ukraine a continué de faire débat et de recueillir des condamnations, le conflit à Gaza a également suscité des débats animés, avec un élargissement du nombre de délégations réclamant l’adhésion par Israël au TNP et condamnant les opérations israéliennes à Gaza. Si des discussions ont pu avoir lieu sur l’opportunité d’évoquer ce sujet dans le cadre du TNP, les États-Unis ont utilisé leur droit de réponse pour faire valoir qu’ils avaient, à l’instar du gouvernement de Tel-Aviv, condamné les propos individuels de certains politiciens israéliens concernant l’utilisation de l’arme nucléaire.
La critique de la dissuasion élargie continue de s’imposer comme un thème prédominant, avec une opposition forte d’une grande partie des non-alignés aux dispositifs de partage nucléaire, et une contestation d’un groupe de plus de cinquante États du placement d’armes nucléaires russes au Bélarus. Les États de l’OTAN ont insisté, dans leurs déclarations et en utilisant leur droit de réponse, sur la licéité du dispositif otanien, alors que Minsk a estimé que le déploiement d’armes nucléaires russes sur son territoire est une réponse protective vis-à-vis des menaces de l’OTAN et ne menace pas d’autres pays. La Russie a insisté sur l’équivalence entre les deux pratiques, alors que certains pays européens ont estimé qu’il n’était pas possible de les comparer étant donné que le partage nucléaire de l’OTAN pré-date la signature du TNP.
Les désaccords autour du désarmement ne sont pas nouveaux, mais on observe néanmoins la volonté des États membres du TIAN de critiquer la dissuasion nucléaire en tant que telle, ce qui peut faire écho aux efforts en cours dans le cadre du TIAN pour rédiger un rapport contestant la dissuasion comme doctrine de sécurité. Si la France a mis en avant le concept de responsabilité pour les États dotés, les critiques ont été vives à ce sujet, le concept continuant d’être perçu comme un « oxymore » par un certain nombre de délégations. À l’inverse, la proposition chinoise de généraliser à d’autres États sa posture de non-emploi en premier a reçu un soutien fort (NAM, Etats d’Asie du Sud-Est). Enfin, si les efforts du P3 pour pousser la discussion sur la réduction des risques stratégiques continuent d’être critiqués par quelques délégations, comme l’Afrique du Sud, cette initiative est plutôt soutenue par la communauté du TNP au sens large, comme en témoigne une déclaration conjointe sur le sujet effectuée par des États au profil très différents comme le P3, mais aussi des États parties au TIAN comme le Mexique ou encore le BrésilReducing the risk of nuclear conflict, Joint Statement, PrepCom, 2 août 2024.. À noter sur les aspects désarmement la volonté des États parties du TIAN de souligner la complémentarité entre les deux traités mais également la mise en valeur au sein des débats de thèmes plutôt nouveaux issus du TIAN, notamment sous l’impulsion de la présidence kazakhstanaise, comme l’assistance aux victimes des essais ou les conséquences environnementales des détonations nucléaires.
En matière de prolifération, et sans surprise, le PrepCom a permis de constater le choix russe de non seulement s’abstenir de critiquer les programmes proliférants nord-coréen et iranien mais également de dénoncer une forme d’acharnement sur Pyongyang alors que les États-Unis et la Corée du Sud « nuisent », selon Moscou, aux efforts des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies de dénucléariser la péninsule coréenne en envisageant des opérations de planification nucléaire conjointes. Plusieurs États européens et affinitaires ont déploré la dissolution du panel d’experts sur la Corée du Nord et ont condamné les transferts d’armes entre Pyongyang et Moscou. Ces États, rejoints par plusieurs États du Moyen-Orient, se sont également inquiétés des activités iraniennes en manière de prolifération, point qui a été peu abordé dans l’ensemble par le comité malgré les évolutions du programme.
La propulsion nucléaire a continué de faire l’objet de désaccords, avec une défense notamment construite par le Brésil et l’Australie, et une incursion de la France dans le débat, Paris s’engageant à faire en sorte que les plus hautes normes de prolifération soient respectées et que l’AIEA puisse assurer le contrôle des matières nucléaires concernées par les programmes de coopération internationale dans le domaine de la propulsion. Le sujet reste contentieux, tout comme celui des usages pacifiques, sur lequel la question de la centrale de Zaporijja continue d’être un point de blocage. La France a présenté et soutenu cinq papiers sur le sujet et a continué de promouvoir son action en particulier pour les applications non énergétiques du nucléaire, avec l’organisation d’un side-event sur l’utilisation de l’irradiation pour la protection du patrimoine culturel.
Enfin, comme l’année dernière, la question de la transparence a occupé une place majeure. Ainsi, sous l’impulsion de la Nouvelle-Zélande, de l’Irlande et de la Suisse, un groupe de 38 États ont fait une déclaration commune dans laquelle ils suggèrent de faire de la transparence un sujet prioritaire lors du prochain PrepCom et ont remis en avant leurs propositions de consacrer le troisième PrepCom du cycle d’examen à l’analyse des rapports nationaux des États dotés, permettant en particulier des échanges interactifs entre États sur les rapportsJoint Statement on behalf of a Group of States NPT Transparency & Accountability, 2nd August 2024.. Le groupe NPDIAllemagne, Australie, Canada, Chili, Emirats Arabes Unis, Japon, Mexique, Nigeria, Pays-Bas, Philippines, Pologne, Türkiye. et l’Union européenne ont de leur côté proposé des documents de travail sur le sujet de la transparence, le premier incluant comme depuis 2015 une matrice de rapport standardiséEnhancing transparency for nuclear disarmament, non-proliferation and strengthening accountability in the review process for the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons, NPT/CONF.2026/PC.II/WP.32, 2 juillet 2024. et le second s’appuyant sur ses recommandations bâties en 2023 pour le groupe de réflexion sur l’amélioration du cycle d’examenEnhancing transparency and accountability in the implementation of Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons obligations and commitments Working paper submitted by the European Union, NPT/CONF.2026/PC.II/WP.6, 24 mai 2024.. De son côté, l’Autriche, en plus de soutenir les propositions susmentionnées, a suggéré l’établissement d’un processus indépendant d’examen des rapports et de la mise en œuvre par les EDAN de leurs obligations liées au TNP, par exemple par une institution indépendante comme l’UNIDIR ou l’AIEA ou selon des mécanismes de peer review.
Les États dotés ont répondu différemment à ces appels à la transparence, la France indiquant par exemple être « en faveur de créer un dialogue interactif, approfondi et structuré sur les rapports nationaux des États dotés et non-dotés », à l’instar des États-Unis et du Royaume-Uni. La Russie, en revanche, s’est montrée très fermée, repoussant les propositions comme créant de nouvelles obligations pour les EDAN et « convertissant le processus d’examen du TNP en un outil de contrôle et de coercition ». La Chine a également rejeté les propositions d’accroître le rôle donné à la transparence dans le processus. Ce thème mobilise pour autant, y compris la société civile. Ainsi, l’organisation britannique BASIC (British American Security Information Council) a annoncé le lancement de deux projets connexes, dont un Index de la transparence en matière nucléaire (NUTRI), financé par le Canada et les Pays-Bas. Cet index devrait permettre d’évaluer la transparence des EDAN grâce à des indicateurs comparatifs, sur le modèle du Nuclear Security Index mis en place par l’ONG américaine NTI. En parallèle, BASIC va créer le NPT Monitor, s’inspirant d’initiatives similaires associées à d’autres traités de non-prolifération et de désarmement (TIAN, Conventions d’Oslo et d’Ottawa…) et vise à évaluer la mise en œuvre des obligations liées au TNP par ses États membres.
Comme l’année dernière, les efforts pour améliorer le processus d’examen se heurtent donc à des blocages, ce qui a conduit le Canada à défendre l’abandon du consensus pour certains éléments de procédures, une proposition qui a recueilli une opposition vive de la part de la Russie. L’Union européenne a rappelé son idée de créer une équipe de soutien à la Présidence des conférences d’examen, alors que la plupart des États ont approuvé la suggestion d’une nomination précoce des États composant le bureau du cycle d’examen suivant pour permettre une meilleure coordination.
Le prochain PrepCom se tiendra du 28 avril au 5 mai 2025 à New York sous la présidence ghanéenne, quelques semaines après la troisième réunion des États parties au TIAN.
Tensions géopolitiques et blocages procéduraux au comité préparatoire
Bulletin n°122, Été 2024