Système de bombardement orbital fractionné (FOBS) : une nouvelle capacité chi-noise ?
Observatoire de la dissuasion n°91
Emmanuelle Maitre,
novembre 2021
Le 16 octobre 2021, le Financial Times a annoncé que la Chine avait effectué un essai de système de bombardement orbital fractionné (connu sous l’acronyme anglais FOBS) en août dernier. Cet essai aurait, selon les sources américaines citées dans l’article, impliqué l’utilisation d’un lanceur Longue Marche 2C pour mettre sur orbite un planeur hypersonique capable d’emporter des armes nucléaires. Le vol aurait opéré une révolution partielle autour de la Terre sur une orbite basse avant d’être désorbité et d’atterrir à 32 km de la cibleDemetri Sevastopulo et Kathrin Hille, « China tests new space capability with hypersonic missile », Financial Times, 16 octobre 2021.. Ce lancement, qui aurait eu lieu le 27 juillet 2021, serait le 78e lancement de la fusée Longue Marche, un lancement qui justement n’a pas été annoncé publiquement par la Chine, contrairement aux 77e et 79e intervenus respectivement le 19 juillet et le 24 août 2021. Un deuxième essai du système aurait pu avoir lieu le 13 août 2021, mais les journalistes ne spécifient pas quel engin aurait été employé pour ce second essaiDemetri Sevastopulo, « China conducted two hypersonic weapons tests this summer », Financial Times, 20 octobre 2021..
Les autorités chinoises ont démenti tout essai d’armements, indiquant que le vol en question est celui d’une navette spatiale réutilisableForeign Ministry Spokesperson Zhao Lijian's Regular Press Conference on October 18, 2021, Ministère des Affaires Etrangères, RPC, 18 octobre 2021.. Malgré ces démentis, de nombreux analystes se sont intéressés à la technologie des FOBS suite à cette annonce et ont cherché à comprendre quelles seraient les motivations chinoises à développer ce type de système.
Tout d’abord, il convient de noter que si la Chine venait à déployer des lanceurs couplés à des FOBS, elle emboîterait le pas à l’Union soviétique, qui avait conçu un système analogue dans les années 1960. Cherchant à échapper aux radars d’alerte avancée déployés par les États-Unis, Moscou avait utilisé des lanceurs lourds RS-36/SS-9 permettant de placer des armes nucléaires en orbite basse. 18 missiles de ce type avaient été déployés dans la région de Tiouratam (proche du cosmodrome de Baïkonour) à partir d’août 1969. Les deux premiers étages de ces missiles, testés dès décembre 1965, étaient utilisés pour le placement en orbite. Le dernier étage contenait une tête séparable d’une masse de 3 tonnes et d’une puissance explosive de l’ordre de 3 mégatonnes. Le système était conçu pour voler du nord au sud, traversant l’Antarctique avant de retomber sur les États-Unis en esquivant les systèmes de détections radars. Le système est devenu obsolète pour deux raisons principales : les États-Unis ont revu leur système d’alerte avancée, permettant une détection planétaire par satellite. Mais ils ont aussi renoncé à la mise en œuvre du système de défense antimissile Safeguard, qui était perçu comme particulièrement menaçant pour l’aptitude à la survie des forces russesLes accords SALT, Traduction française, Politique étrangère, vol. 44, n°3, 1979. « Chaque partie s’engage à ne pas procéder à la mise au point, aux essais ou au déploiement […] des systèmes destinés à placer en orbite terrestre des armes nucléaires ou toute sorte d’armes de destruction massive, y compris les fusées sub-orbitales ». Le Traité Salt II, non-ratifié mais néanmoins appliqué, a donc entraîné la désactivation des RS-36 utilisés dans ce système, un engagement effectivement commencé en 1982 et achevé en 1984Braxton Brick Eisel, « The FOBS of War », Air Force Magazine, 1er juin 2005..
Deux observations intéressantes peuvent être faites sur les choix soviétiques de l’époque. Tout d’abord, le nom du programme en lui-même, et l’accent mis sur l’« orbite fragmentée », répondaient à la volonté de signaler la compatibilité du système avec le Traité de l’Espace, adopté en 1967 et qui interdit le placement d’armes nucléaires en orbite terrestre. L’Union soviétique, soutenue par les États-Unis, avait, non sans soulever des critiques, indiqué que les FOBS ne plaçaient pas les armes en orbite puisque la révolution autour du globe n’était pas achevée. Quoi qu’il arrive, et d’un point de vue légal, le texte n’était pas non plus violé dans la mesure où les essais réalisés n’impliquaient pas l’utilisation de véritable tête nucléaireTaunton Paine, « Bombs in orbit? Verification and violation under the Outer Space Treaty », The Space Review, 19 mars 2018.. Alors que certains continuent de mettre en évidence les limites de cette interprétationJeffrey Lewis, Scott LaFoy et Aaron Stein, « A Fractional Orbital Bombardment System with a Hypersonic Glide Vehicle? », Arms Control Podcast, 18 octobre 2021., ce débat montre que l’introduction de ce système d’armes peut également être considérée sous l’angle du droit spatial et de la question de la militarisation de l’espace.
Deuxièmement, le choix soviétique est souvent présenté comme permettant de contourner une large partie de l’infrastructure d’alerte avancée déployée à l’époque, dans un contexte où les États-Unis présentaient des ambitions fortes dans le domaine de la défense antimissileMarco Langbroek, « A Chinese FOBS surprise (and other stuff of nightmares) [UPDATED] », SatTrackCam Leiden, 17 octobre 2021.. Une telle motivation pourrait justifier un intérêt de la Chine pour ce système, avec des infrastructures de défense américaines qui continuent d’être largement orientées vers le nord et présentent une moindre capacité de détection et d’interception sur le sud du globe (zones où le système pourrait être désorbité)Ankit Panda, Twitter, 18 octobre 2021..
Ce système présenterait donc certaines caractéristiques intéressantes et pourrait traduire une forme de protestation chinoise contre la politique américaine de défense antimissile et de réaction au refus de Washington de reconnaître la situation de vulnérabilité mutuelle entre les deux pays. Mais les FOBS ont des inconvénients, en particulier une difficulté à opérer précisément la réentrée dans l’atmosphère et l’énergie considérable requise pour placer le système en orbite, qui requiert des lanceurs lourds peu discrets et ayant une forte signature au lancementJeffrey Lewis, « China’s Orbital Bombardment System Is Big, Bad News—but Not a Breakthrough », Foreign Policy, 18 octobre 2021.. Certains notent donc qu’au-delà des considérations stratégiques, cet essai, s’il était confirmé, pourrait signaler le soutien accordé par Pékin à l’acquisition de nouvelles technologies, y compris pour des motivations domestiques ou bureaucratiquesGregory Kulacki et Jeffrey Lewis, « Understanding China's Antisatellite Test », The Nonproliferation Review, vol. 15, n°2, 2008.. D’autres notent encore que si des considérations techniques sont sans doute à l’origine de ce type de programme, avec des craintes notées sur les capacités d’interception futures américaines, ces développements sont principalement dus au climat de confrontation plus marqué entre Washington et Pékin, et une perception d’hostilité mutuelle à l’origine d’une course aux technologies d’armementsTong Zhao, Twitter, 18 octobre 2021..
D’autres sources journalistiques ont soutenu la piste d’un tir d’un ou deux FOBS à l’étéMichael Gordon, « China Tests Hypersonic Missile in Military Expansion », The Wall Street Journal, 20 octobre 2021 ; James Cameron, « What did China test in space, exactly, and why? », The Washington Post, 21 octobre 2021.. Au-delà de ces éléments par nature difficile à vérifier de manière indépendante, l’intérêt de Pékin pour ces technologies avait été suggéré par le secrétaire de l’US Air Force, Frank Kendall, en septembre 2021Greg Hadley, « Kendall: China Has Potential to Strike Earth from Space », Air Force Magazine, 20 septembre 2021.. Néanmoins, des questions peuvent rester en suspens, notamment sur les informations américaines conduisant à penser qu’il s’agirait d’un planeur capable d’emporter une arme nucléaireBrian Weeden, Twitter, 18 octobre 2021. et sur les conditions de désorbitation et d’atterrissage des enginsLaura Grego, Twitter, 17 octobre 2021.. En particulier, le lanceur utilisé pour le second essai ne semble pas identifié à ce stade. Dans tous les cas, ces événements pourraient montrer la proximité entre des projets d’apparence civils voire commerciaux et des développements militaires dérivésJoseph Trevithick, « China’s Claim That Its Fractional Orbital Bombardment System Was A Spaceplane Test Doesn’t Add Up (Updated) », The Drive, 18 octobre 2021., certains estimant possible que le véhicule testé soit un démonstrateur technologique pouvant avoir des applications mixtesJames Acton, « China’s Tests Are No Sputnik Moment », Quick Take, Carnegie Endowment for International Peace, 21 octobre 2021..
Système de bombardement orbital fractionné (FOBS) : une nouvelle capacité chi-noise ?
Bulletin n°91, octobre 2021