La prudence plus que l’optimisme devrait prévaloir dans la péninsule coréenne

Les montagnes russes. C’est très certainement ce à quoi pensent les observateurs de la péninsule coréenne eu égard aux récents événements : des insultes et menaces ont de nouveau été échangées avant l’annonce par le Président Trump de l’annulation du sommet prévu avec Kim Jong-un, suivies ensuite d’un échange d’amabilités, d’un second sommet express entre les dirigeants coréens à Panmunjom et de l’annonce qu’au sommet bilatéral du 12 juin portant principalement sur la question nucléaire pourrait suivre un sommet trilatéral permettant d’avancer sur la question d’un régime de paix dans la péninsule.

Si la communauté internationale devrait se réjouir de la poursuite des négociations entre Washington et Pyongyang, et si le régime nord-coréen (RPDC) semble aller dans la bonne direction après une année 2017 marquée par un essai nucléaire et plus de vingt essais balistiques, le chemin est encore long avant d'atteindre notre objectif commun : la dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible du régime. Un optimisme prudent devrait donc dominer, qui doit être entretenu pour trois raisons principales : les nombreux précédents historiques d’accords non respectés, la radicalisation du régime nord-coréen concernant ses programmes nucléaire et balistique, et l’offensive diplomatique actuelle de Pyongyang.

De nombreux précédents d’accords non respectés

Février 2007

Un « Plan d'action » est adopté dans le cadre des 6PT afin de mettre en œuvre la Déclaration conjointe du 19 septembre 2005.

Suite à la fermeture des installations nucléaires à Yongbyon, Pyongyang doit fournir une déclaration complète de tous ses programmes nucléaires et mettre hors services toutes ses installations nucléaires en échange de 950 000 tonnes de fuel lourd. En plus de cette aide énergétique, les Etats-Unis acceptent de commencer le processus de retrait de Pyongyang de leur liste des Etats soutenant le terrorisme et de suspendre la mise en œuvre de la Loi sur le commerce avec l'ennemi.

Mars 2007

Le Directeur général de l'AIEA, Mohamed ElBaradei, se rend en Corée du Nord et rencontre notamment le chef du Département général de l'énergie atomique. La Corée du Nord est invitée à redevenir membre de l'AIEA et le rôle de surveillance et de vérification que jouerait l’AIEA est abordé.

Juillet 2007

L'AIEA confirme la fermeture des installations nucléaires à Yongbyon.

Septembre 2007

Une équipe d'experts chinois, russes et américains examine les installations nucléaires à Yongbyon afin de déterminer les mesures nécessaires pour les mettre hors service.

Octobre 2007

Les 6PT débouchent sur une déclaration commune dans laquelle la Corée du Nord accepte de fournir une « déclaration complète et correcte de tous ses programmes nucléaires - y compris des éclaircissements sur la question de l'uranium » et de mettre hors service ses installations nucléaires à Yongbyon. Le pays accepte également de ne pas transférer de matières ou de technologies nucléaires à l'étranger.

Octobre 2007

A l’issue du second sommet intercoréen, les deux pays conviennent de « collaborer étroitement pour mettre fin aux hostilités militaires, atténuer les tensions et garantir la paix dans la péninsule coréenne », et reconnaissent la nécessité de « mettre fin au régime d'armistice actuel et de construire un régime de paix permanent ».

Novembre 2007

Une équipe d'experts américains commence le processus de mise hors service des installations nucléaires à Yongbyon, un processus qui doit être terminé avant le 31 décembre.

Rappel des négociations menées en 2007

« La RPDC a accepté de mettre hors service toutes ses installations nucléaires d'ici la fin de l'année, dans un geste que l'administration américaine a salué comme une victoire diplomatique qui pourrait servir de modèle pour traiter avec l'Iran qui défie les efforts américains pour maîtriser ses ambitions nucléaires ». Ce constat établi dans un article du New York Times du 3 octobre 2007 semble aujourd’hui bien ironique.

Il y a onze ans, quelques mois après le premier essai nucléaire nord-coréen du 9 octobre 2006, et malgré les accords non respectés par la Corée du Nord de 1992 avec la Corée du Sud, de 1994 avec les Etats-Unis ou encore de 2005 dans le cadre des Pourparlers à six (6PT), l’optimisme était de rigueur dans la péninsule. Ces longs mois de stabilité relative et partielle ont ensuite cédé place à une poursuite des programmes nucléaire et balistique nord-coréens. Cette alternance historique entre périodes de fortes tensions et périodes de négociations diplomatiques devrait nous conduire non à un pessimisme constant mais à un optimisme prudent.

Rappelons que les négociations s’étaient poursuivies, avec plus de difficulté et notamment à Singapour, au cours de l’année 2008, sans parvenir à un accord technique portant sur le démantèlement des capacités nord-coréennes. A l’inverse, l’année 2009 avait été marquée par le lancement spatial nord-coréen (Taepodong-2) du 5 avril 2009 puis par le second essai nucléaire du 25 mai 2009. Les mêmes problèmes perdurent aujourd’hui dans le cadre des négociations avec la Corée du Nord, notamment la question clé de la définition de ce qu’est la dénucléarisation, même si notre définition est clairement celle d’une dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible du régime, ou encore sur la nature des opérations de vérification et de surveillance des installations nord-coréennes. La crise nucléaire se poursuit depuis et a atteint un nouveau pic du fait de l’accroissement sans précédent des capacités nucléaires et balistiques du pays.

Une radicalisation nucléaire du régime nord-coréen

Comme souligné dans le bulletin d’octobre 2017, la RPDC a radicalisé sa position sur les armes nucléaires et les missiles balistiques depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un fin 2011. Premièrement, la RPDC a institutionnalisé la possession d’armes nucléaires, modifiant sa Constitution en 2012 afin de présenter le pays comme un « Etat doté d’armes nucléaires », avant d’adopter une stratégie nationale en mars 2013 visant à simultanément construire l’économie et les forces armées nucléaires, la ligne Byungjin.

Deuxièmement, le dirigeant a présenté dès 2013 les quatre priorités techniques à suivre dans le cadre du programme nucléaire : améliorer la miniaturisation, alléger, diversifier et accroître la précision des armes. Selon la propagande nord-coréenne, ces objectifs ont tous été atteints au cours des quatre essais nucléaires réalisés entre 2013 et 2017, le dernier ayant officiellement permis de développer une arme thermonucléaire multifonctionnelle qui pourrait équiper un ICBM.

Troisièmement, l’année dernière seulement, la RPDC a testé plus de vingt fois des missiles balistiques soit plus que durant le règne de Kim Jong-il entre 1994 et 2011. Le nombre de zones de lancement est passé de deux sous Kim Jong-il à plus de quinze sous Kim Jong-un, des essais simultanés ou de nuit ont été réalisés. Depuis 2017, et suite aux essais de missiles à portée intermédiaire (Hwasong-12) et intercontinentale (Hwasong-14 et 15), ce ne sont plus seulement les intérêts américains dans la région qui sont potentiellement menacés mais bel et bien l’ensemble du territoire américain, que ce soit dans le Pacifique ou sur le continent.

Quatrièmement, le dernier essai balistique de novembre 2017 a conduit le dirigeant nord-coréen à annoncer que son régime avait « réalisé la grande cause historique de l'achèvement des forces nucléaires de l'Etat », ouvrant la voie à l’offensive diplomatique actuelle mais surtout s’intégrant parfaitement dans la stratégie de survie du régime, tant dans sa dimension externe qu’interne.

La dimension externe fait référence à la sécurité du régime contre une potentielle intervention étrangère. Les capacités nucléaires nord-coréennes permettent de compléter une dissuasion conventionnelle déjà existante qui consiste à tenir la mégalopole de Séoul, plus de 20 millions d’habitants, otage des capacités conventionnelles, chimiques et bactériologiques du régime. Cependant, cette dimension externe n’est pas suffisante pour comprendre l’accélération des programmes nord-coréens et les dernières annonces.

La dimension interne, encore plus importante, concerne la sécurité du régime face aux menaces domestiques. Les armes nucléaires sont en effet des armes profondément politiques qui constituent une source de légitimité inégalée pour le régime. Premièrement, elles consolident le système héréditaire puisqu'elles sont présentées comme héritées par Kim Jong-un de son père et de son grand-père. Deuxièmement, elles accroissent son autorité en le présentant comme le protecteur de la nation coréenne. Troisièmement, elles légitiment les sacrifices de la population, étant l'un des rares succès dont le régime nord-coréen peut se vanter. Quatrièmement, elles renforcent la cohésion interne et stimulent le moral national en présentant le pays comme une grande puissance scientifique et militaire malgré les sanctions internationales. Cinquièmement, et non des moindres, elles matérialisent l'idéologie du Juche qui prétend garantir l'indépendance de la Corée, une clé de la légitimité nationaliste de la RPDC.

Cette dimension interne rend leur abandon encore plus difficile puisque ces armes ne sont plus possédées par le régime, mais font désormais partie de son identité. Les abandonner à court terme reviendrait à remettre en cause la rationalité des anciens dirigeants et à affaiblir la légitimité du jeune dirigeant.

Une offensive diplomatique servant les intérêts du régime

Si l’atténuation des tensions dans la péninsule est évidemment un aspect positif, il convient de ne pas se tromper sur les motivations de la Corée du Nord qui s’est lancée depuis le 1er janvier 2018 dans une énième offensive diplomatique. Cette offensive ne remet en rien en cause la stratégie de survie du régime précédemment mentionnée et s’intègre à l’inverse parfaitement en elle.

Premièrement, les concessions largement médiatisées par la RPDC ne sont que partielles et réversibles. Elles ne remettent en aucun cas en cause les programmes nucléaire et balistique pour l’instant, les essais nucléaires et balistiques pouvant reprendre à tout moment. Ce qui est présenté comme le « démantèlement » du site d’essai nucléaire de Punggye-ri n’est que la destruction des tunnels d’accès à une installation souterraine qui demeure largement intacte, et seule la signature du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires couplée à une inspection par des experts internationaux permettrait de garantir le démantèlement du site. Deuxièmement, la RPDC a déjà maximisé ses gains politiques en interne, en témoigne l’annonce politique, bien plus que technique, qu’elle avait « achevé ses forces nucléaires d’Etat ». Le régime peut donc se permettre de suspendre sa campagne d’essais sans se compromettre et créer des oppositions en interne.

Troisièmement, en poursuivant les négociations, la RPDC garantit une stabilisation partielle et temporaire de la péninsule coréenne, réduisant le risque d’une intervention préventive américaine ou d’une escalade militaire. Quatrièmement, ces mêmes négociations permettent au régime d’améliorer ses relations avec deux voisins clés, la Corée du Sud et la Chine, et potentiellement d’initier une coopération en matière de construction d'infrastructures telle qu’évoquée par le Président Moon Jae-in, une telle coopération ne violant pas les résolutions du CSONU. Cinquièmement, en suspendant ses essais tout en négociant, la RPDC évite justement l’adoption de nouvelles sanctions économiques - toute résolution du CSONU associée à des sanctions serait certainement bloquée par la Chine et la Russie sans provocation préalable de la Corée du Nord – tout en ayant le temps d’adapter son économie aux sanctions existantes comme le Discours du 1er janvier 2018 de Kim Jong-un l’indique clairement.

La RPDC ne semble donc pas entrer dans ces négociations avec les Etats-Unis en position de faiblesse mais bel et bien en position de force, misant peut-être sur la nécessité pour le Président Trump d’obtenir un accord politique, plus que technique, à court terme dans un contexte marqué par le retrait de son pays du JCPOA. Les déclarations nord-coréennes jugées « hostiles et pleines de colère » dans la lettre du président Trump apparaissent ainsi comme non seulement modérées mais avec un objectif clair : diviser au sein de la Maison Blanche et promouvoir la ligne Pompeo au détriment de la ligne Bolton.

Pour simplifier, la ligne du secrétaire d'Etat Mike Pompeo, en charge des négociations et ayant déjà rencontré le dirigeant nord-coréen à deux reprises, consisterait en un accord initial permettant des concessions réciproques afin de négocier in fine mais dans la durée un accord final, étape par étape, permettant la dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible du régime. A l’inverse, la ligne du conseiller à la sécurité nationale John Bolton, consisterait en une ligne maximaliste, visant à obtenir à court terme le démantèlement complet des capacités nucléaires, balistiques, chimiques et bactériologiques associé à une amélioration de la situation des droits de l’homme dans le pays, et d’évoquer ensuite les concessions potentielles que les Etats-Unis pourraient offrir au régime nord-coréen. Cette ligne Bolton est inacceptable pour Pyongyang et apparaît comme vouée à l’échec.

Les récentes critiques nord-coréennes ont ainsi visé directement John Bolton et le vice-Président Mike Pence qui évoquaient le modèle libyen et surtout le sort du régime nord-coréen si un accord n’était pas trouvé, sans jamais attaquer directement le Président Trump ou le Secrétaire d’Etat Pompeo. A l’inverse, la réponse à la lettre présidentielle mêle ouverture et flatterie, soulignant que la « formule » Trump pourrait permettre d’atteindre un accord. La même position a été réaffirmée au cours du dernier sommet intercoréen.

Si la date d’un sommet demeure incertaine, la RPDC et peut être encore d’avantage le Président Trump ont besoin d’obtenir un accord initial. Le risque est cependant celui d’un accord politique afin de démontrer que le dirigeant américain est capable d’obtenir un « deal » complet qui pourrait porter sur les dimensions nucléaires, balistiques à longue portée et de stabilité régionale, plus qu’un accord technique de fond permettant d’atteindre une dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible du régime. Dans ce scénario, le risque serait de dévier d’un accord de dénucléarisation à un accord de facto de réduction et de contrôle des armements, sans prendre en compte la dimension balistique à courte et moyenne portée. Une conséquence serait ainsi de transférer les tensions entre Washington et Pyongyang à des tensions entre Washington et Tokyo, poussant le Japon à se questionner quant à la dissuasion élargie américaine et contribuant encore un peu plus à son isolement dans la région, un objectif longtemps recherché par Pékin.

La prudence plus que l’optimisme devrait donc prévaloir et pour paraphraser Kim Jong-un qui annonçait lors du premier sommet intercoréen avec le président Moon Jae-in que nous ne devrions pas « répéter l'histoire malheureuse des promesses non tenues », il faudrait en effet veiller à ce que toutes les parties, en particulier la RPDC, tiennent cette fois leurs promesses.

 

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La prudence plus que l’optimisme devrait prévaloir dans la péninsule coréenne

Antoine Bondaz

Bulletin n°54, mai 2018



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