Israeli strategic deterrence doctrine and practice

Observatoire de la dissuasion n°80
novembre 2020

L’historien et ancien officiel israélien Shmuel Bar s’intéresse dans cet article au concept très large de dissuasion et sa mise en pratique par Israël. En particulier, il pointe les interactions entre dissuasion tactique et dissuasion stratégique, d’une part, et s’intéresse à l’évolution de la notion au cours des 50 ans d’existence de l’Etat d’Israël.

Pour ce qui concerne la dissuasion stratégique, l’auteur rappelle les fondements de la politique de David Ben Gourion, qui fonde la stratégie israélienne sur une division potentielle des adversaires, une capacité à engager tout conflit hors du territoire israélien et sur la capacité nucléaire « non-déclarée », une politique adoptée au gré des circonstances plutôt que calculée.

Alors qu’il distingue la doctrine de défense stratégique et une dissuasion plus « quotidienne », l’auteur montre la tendance pour Israël à renforcer l’une par la mise en action de l’autre. Plus précisément, les agressions de haute intensité sont dissuadées par une combinaison de forte mobilisation militaire, de préparation accrue, de supériorité technologique, de capacités de renseignement élevées et de menaces de représailles majeures et potentiellement humiliantes. Alors que les frontières entre agressions subconventionnelles, conventionnelles et non-conventionnelles peuvent être brouillées, cette dissuasion stratégique doit être, pour l’auteur, renforcée par l’utilisation de ces moyens lors d’opérations militaires sur le terrain. Selon cette analyse, le recours à la force n’est pas l’échec de la dissuasion, mais une manière d’y contribuer en rappelant et démontrant dans un conflit limité les capacités israéliennes. Cette interprétation est également expliquée par l’absence de profondeur stratégique en Israël : le pays ne pourrait se baser sur une stratégie de seconde frappe, il faut donc que la crédibilité de la dissuasion stratégique soit absolue. Des opérations « tactiques » sont donc pour l’auteur un moyen de crédibiliser cette capacité à répondre, y compris de manière disproportionnée.

L’auteur parcourt l’histoire d’Israël pour noter l’influence exercée par les différentes confrontations sur la stratégie du pays. En particulier, il pointe le développement d’une dissuasion « à la carte » (tailored deterrence), devant prendre en compte les conditions particulières de l’adversaire, y compris en termes culturels, politiques voire psychologiques. A ce titre, il insiste sur le rôle joué par les facteurs psychologiques, et en particulier les « campagnes entre deux guerres » visant à affaiblir les capacités adverses et à amplifier l’idée d’une supériorité israélienne en particulier dans le domaine du renseignement. Au travers ces exemples, il montre la création d’une doctrine de « dissuasion cumulée », déjà évoquée par Ben Gourion, et qui sous-tend qu’à force de victoires israéliennes, une forme de stabilité et de dissuasion peut s’installer parmi les acteurs régionaux. Néanmoins, l’absence de reconnaissance de la légitimité de l’Etat israélienne empêche cet équilibre d’acquérir un statut définitif et force Israël à « restaurer » la dissuasion à échéance régulière.

L’auteur explore également le rôle important, mais toujours incomplet, de facteurs additionnels à la dissuasion, tels que la défense (antimissile ou civile), qui permet de pratiquer une forme de dissuasion par interdiction mais n’empêche pas les attaques dont l’objectif est davantage symbolique que lié aux nombres de victimes, ou la capacité à bénéficier de la protection d’alliés, un facteur important mais qui ne peut supprimer la conviction israélienne que la nation ne doit compter que sur elle-même pour sa survie. Par ailleurs, l’auteur juge que les pressions internationales (y compris américaines) ont plutôt eu tendance ces dernières années à affaiblir la dissuasion tactique israélienne en imposant une certaine retenue, qui est également due au statut démocratique du pays.

L’évolution du paysage stratégique pose également la question de la dissuasion face à des adversaires de deuxième niveau, c’est-à-dire n’appartenant pas au périmètre immédiat, comme l’Iran, et pour lesquels les capacités de dissuasion tactique ne sont pas spécialement dimensionnées. La composante nucléaire israélienne peut jouer un rôle dans la dissuasion de ces acteurs étatiques, en particulier dans le cas d’une menace d’utilisation d’armes de destruction massives (cas de la Guerre en Irak de 1991). La pratique de la communication stratégique est dans ce cadre cruciale et a historiquement montré à la fois des succès mais également des limites en raison de la difficulté à transmettre un message clair à certains dirigeants adverses. En la matière, Shmuel Bar note les références voilées récentes de dirigeants israéliens à la capacité nucléaire mais pointe les particularités de la dissuasion stratégique du pays liées à l’incapacité d’absorber une première frappe. Cela justifie à ses yeux de faire passer des messages clairs sur le caractère disproportionné d’une réponse à toute attaque sur les intérêts vitaux israéliens, et en particulier sur l’utilisation d’ADM. Par ailleurs, l’auteur juge que même si elles ne sont pas fondées, les rumeurs sur la préparation de représailles massives (soi-disant plan Samson) ne peuvent qu’accroître la capacité de dissuasion.

Enfin, l’auteur note la difficulté d’adapter ce continuum de dissuasion au cas du terrorisme, en particulier du fait de la nécessité de se conformer au droit humanitaire et des relations distendues entre les groupes terroristes et leurs sponsors éventuels. L’émergence de la cyber-dissuasion lui semble plus facile à mettre en œuvre, même si la question de l’attribution des attaques peut poser des difficultés importantes.

En conclusion, Shmuel Bar juge que les efforts cumulés de mise en place de la dissuasion stratégique israélienne ont été couronnés de succès, alors que la dissuasion tactique des actes des organisations terroristes de faible intensité est plus complexe à mettre en œuvre. Les interactions des différentes couches de dissuasion doivent être étudiées avec soin et leurs influences respectives, plus ou moins bénéfiques selon les cas, lui inspirent plusieurs conclusions. Ainsi, il note le danger d’exposer des lignes rouges de manière trop timide ou ambiguë, les difficultés de la communication et de l’interprétation des signaux dissuasifs, le problème des biais idéologiques ou religieux qui déforment le calcul coût-avantage attendu, et la difficulté d’appliquer les mêmes pratiques dans le domaine de la dissuasion et de la coercition.

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Israeli strategic deterrence doctrine and practice

Par Shmuel Bar, Comparative Strategy, vol. 39, n°4, 2020

Bulletin n°80, octobre 2020



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