FY2021 : Des arbitrages budgétaires contestés au niveau de la Navy
Observatoire de la dissuasion n°73
Emmanuelle Maitre,
mars 2020
L’administration américaine a publié en février 2020 les dernières propositions budgétaires qui seront défendues au Congrès cet été sous le premier mandat de Donald Trump. Au niveau de la Marine, les propositions ont suscité de fortes réactions, dans la mesure où pour la première fois, le Département entérine le fait que la priorité donnée au programme de renouvellement des SNLE Ohio conduit au report de programmes d’acquisition de bâtiments de surface.
Décrit comme priorité au plus haut niveau, le programme Columbia continue de bénéficier d’un soutien financier notable, au niveau du Pentagone et du Congrès. Ainsi, le Congrès a ajouté 8 millions de dollars au budget proposé l’année dernière, qui doivent permettre d’avancer les travaux de R&D sur les matériaux utilisés pour la propulsion du sous-marin. Par ailleurs, le Pentagone augmente ses demandes pour l’année fiscale 2021, avec un montant R&D de 317 millions de dollars (+3.6 millions par rapport aux prévisions de l’année dernière).Department of Defense, Fiscal Year 2021 Budget Estimates, Navy, Justification Book, Research and Development, volume 2, Navy, février 2020. Concernant le budget d’acquisition, le Columbia prend une ampleur conséquente avec un budget de 4 milliards de dollars pour FY2021.Department of Defense, Fiscal Year 2021 Budget Estimates, Navy, Justification Book, Shipbuilding and Conversion, Navy, février 2020. Le budget d’acquisition a été revu à la hausse au regard des prévisions précédentes, ce qui traduit un choix d’allouer un maximum de contrats en 2020, dans le sillage de la construction du navire de tête qui est toujours prévue pour débuter en octobre. L’augmentation du budget traduit donc à la fois une volonté de respecter le calendrier prévu, et des décisions liées au processus d’acquisition (passation de contrats pluriannuels permettant d’effectuer des commandes sur la durée, mesures de réduction des risques, en particulier au niveau des systèmes d’armes stratégiques qui voient leur budget progresser pour limiter les risques d’obsolescence ou de retards dans l’optique de réaliser des économies dans l’ensemble du programme). Le budget d’acquisition du Columbia va logiquement continuer de progresser avec un pic prévu en FY2025 autour de 6 milliards de dollars.
En corollaire, le programme de modernisation des Trident II (D5) est également en phase d’acquisition, avec des modifications importantes sur la ventilation du budget par rapport à l’année dernière, mais un volume total très proche des anticipations (1.173 millions pour FY2021).Ibidem. Parmi les postes qui évoluent, à noter des réductions sur le budget des tirs d’essais et sur l’intégration des têtes (réalisée en avance de phase), mais des augmentations sur les équipements permettant le transport des missiles, ou encore sur le remplacement de composants énergétiques liés à la propulsion des systèmes. Le programme a récemment connu un développement majeur avec l’attribution d’un nouveau contrat à Lockheed Martin d’une valeur de 473,8 millions de dollars.US Department of Defense, Contracts For Jan. 31, 2020, Navy.
La particularité des propositions budgétaires de FY2021 tient à l’accroissement de la part de la composante nucléaire dans le budget global de la Navy, qui est dû bien sûr à l’augmentation du coût des programmes en eux-mêmes. Mais cette augmentation est également liée au fait que le Secrétaire à la Défense Mark Esper souhaite renoncer à l’idée de mettre les coûts liés au Columbia dans une enveloppe budgétaire à part.Mark Esper, « Esper backs a bigger Navy fleet, but moves to cut shipbuilding by 20 percent », Defense News, 10 février 2020. En 2014, le Congrès avait créé le National Sea-Based Deterrence Fund, afin de limiter l’impact du programme sur le budget « Shipbuilding Construction » de la Navy. L’argument utilisé était qu’en tant que priorité nationale d’envergure exceptionnelle, le coût du programme Columbia devait être partagé entre les différents services. Le Pentagone estime désormais que la facture appartient à la Navy.Mark Esper, « Clearly the Columbia is a big bill, but it’s a big bill we have to pay. That’s the Navy’s bill. The Air Force has a bill called bombers and ground-based strategic deterrent, so that’s a bill they have to pay. » Cela se traduit en conséquence par des coupes dans d’autres programmes. Ainsi, 20% des navires anticipés ont été supprimés pour 2021, ce qui revient à l’abandon d’un SNA Virginia et d’une frégate FFG(X). Un mémo interne avait fait écho du potentiel report de la construction d’un destroyer Arleigh Burke, mais ce navire figure finalement dans la liste des commandes. Plusieurs navires se trouvent de leur côté retiré du service en avance de phase, et notamment plusieurs navires de combat en zone littorale.
Ce recalibrage a été accueilli froidement au Capitole, où les législateurs avaient essayé de réfléchir depuis 2014 aux moyens de préserver le budget de construction navale de la Navy tout en finançant le Columbia. Ainsi, le sénateur Roger Wicker (R‑MS) a introduit une proposition de loi visant à restaurer les niveaux d’acquisition initialement prévus pour un ensemble de bâtiments de surfaces et de sous-marins. Le texte imposerait également au Pentagone l’utilisation du National Sea-based Deterrence Fund (NSDF).« Wicker Introduces SHIPS Implementation Act, Press Releases », wicker.senate.gov, 6 février 2020. À la Chambre des Représentants, le Président de la Commission des forces armées Mike Thornberry a également exprimé son souhait de voir le NSDF utilisé pour préserver les autres projets de construction navale.Megan Eckstein, « Thornberry Uneasy With Pentagon Shipbuilding Plan, Supports Fully Funding Nuclear Triad », USNI News, 12 février 2020. Ses collègues Joe Courtney (D‑CT) et Rob Wittman (R‑VA) ont écrit au Secrétaire à la Défense pour signaler leur inquiétude devant ces réductions budgétaires.Committee on Armed Forces<, «Letter from Representatives Joe Courtney and Rob Wittman to Secretary Esper », 12 février 2020.
A terme, le programme Columbia devrait représenter 38-40% du budget de la Navy.
FY2021 : Des arbitrages budgétaires contestés au niveau de la Navy
Bulletin n°73, février 2020