Discours de l’École de guerre : quelles réactions internationales ?

À l’étranger, le discours du 7 février 2020 est largement perçu comme une réaffirmation de la posture d’Emmanuel Macron en tant que leader pro-européen – posture qu’il revendique depuis son investiture en 2017. Depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron a appelé les Européens à assumer davantage de responsabilité quant à la sécurité européenne et s’est d’ailleurs engagé à accroître la contribution de la France à la sécurité de l’UE.Rym Momtaz, « Macron calls for European dialogue on French nuclear arms », https://www.politico.eu/article/emmanuel-macron-european-dialogue-french-nuclear-arms/Politico, 7 février 2020. De même, le Directeur du Centre d'études françaises de l'Institut de l'Europe de l’Académie des sciences de Russie, Iouri Roubinski, a déclaré dans les médias russes que le discours du président français illustre les ambitions du pays – ambitions longtemps revendiquées – pour le leadership dans l’Union européenne.Евгения Ищенко, Елизавета Комарова, «В интересах коллективной безопасности: почему Макрон выступает за возобновление диалога с Россией», RT, 8 février 2020. Iouri Roubinski rajoute que la France est devenue l’un des principaux pays d’Europe, notamment sur les plans politique et militaire : il s’agit du seul pays européen à posséder l’arme nucléaire et à disposer d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. L’European Council on Foreign Relations met également l’accent sur les ambitions pro-européennes en matière de défense et sur l’audace de la proposition du président Macron d’établir un dialogue stratégique sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans la sécurité européenne et d’intégrer les partenaires européens qui le souhaitent aux exercices militaires des forces de dissuasion françaises.Tara Varma, « The search for freedom of action: Macron’s speech on nuclear deterrence », European Council on Foreign Relations, 7 février 2020.

Tandis que certains soulignent l’audace de son discours, d’autres y voient un moyen d’attirer l’attention dans un monde caractérisé par une forte instabilité liée notamment aux tensions au sein de l’OTAN, au Brexit et aux différends entre Moscou et Washington. Le discours du 7 février intervient d’ailleurs quelques mois seulement après les vifs débats suscités par l’interview accordée à The Economist, le 21 octobre 2019, consacrée à la souveraineté de l’Europe, et dans laquelle le président français avait déclaré : « Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN ».« Emmanuel Macron in his own words (French) », The Economist, 7 novembre 2020. Que révèle alors le discours de Macron sur la stratégie de défense et de dissuasion nucléaire française ? Qu’est-ce qu’implique une « Europe de la défense » ?

Associated Press évoque l’aspect déstabilisateur des ambitions politiques évoquées dans le discours et s’inquiète qu’une défense européenne puisse accentuer les tensions déjà existantes au sein de l’OTAN.Thomas Adamson, « France seeks lead post-Brexit role in EU nuclear strategy », AP, 7 février 2020. Outre-Manche, les ambitions d’Emmanuel Macron sont très claires : bien plus qu’une réaffirmation de sa posture pro-européenne, le président français cherche à s’imposer comme un leader sur la scène européenne et comme le garant de la sécurité régionale dans une Europe post-Brexit fragilisée : « With Britain out of the picture [Macron] has spied an opportunity. But France is not going to be Europe’s nuclear shield […] Macron clearly hopes that other European countries are ready to welcome French nuclear weapons as guarantors of regional security ».Rebecca Johnson, « Macron’s post-Brexit nuclear ambitions are destined to fail », The Guardian, 10 février 2020. En effet, l’article de The Guardian rédigé par Rebecca Johnson, militante anti-nucléaire et membre d’ICAN, titre « Macron’s post-Brexit nuclear ambitions are destined to fail » et critique sévèrement les aspirations du président Macron.

Côté allemand, Ronja Kempin et Marco Overhaus, du SWP, saluent la volonté d’ouverture du président français, mais jugent que le dialogue stratégique qu’il appelle de ses vœux, ainsi que les éventuelles pistes de coopération, devraient être poursuivies dans le cadre de l’OTAN, afin d’éviter d’attiser les méfiances et tensions entre pays européens. Ils appellent classiquement la France à rejoindre le NPG.Ronja Kempin et Marco Overhaus, « Frankreichs nukleare Abschreckung im Dienst Europas – Eine deutsche Antwort », Kurz gesagt, SWP, 7 février 2020. Die Welt, Die Zeit et Der Spiegel ont relayé des articles factuels. FAZ a anticipé le discours en notant également qu’un dialogue stratégique existait déjà au sein des structures de l’OTAN. Le quotidien a également rappelé la publication d’un sondage selon lequel 40% des Allemands préféraient être protégés par des armes françaises et britanniques, contre 20% par des armes américaines. Enfin, les journalistes ont fait le lien avec le projet de chasseur-bombardier franco-allemand, qui devrait être le premier projet d’équipement commun utilisé pour la dissuasion.Michaela Wiegel et Thomas Gutschker, « Ein europäischer Atomschirm? », Die Frankfurter Allgemeine Zeitung, 6 février 2020. À la suite du discours, le journal de Francfort a également perçu un appel, notamment envers l’Allemagne, à revoir à la hausse son budget de la défense, dans l’optique de renforcer les capacités de défense européennes.Michaela Wiegel, « „Wir müssen europäische Sicherheitsinteressen definieren“ », Die Frankfurter Allgemeine Zeitung, 7 février 2020. Par ailleurs, sa correspondante à Paris a défendu le choix de garder un contrôle totalement français sur la dissuasion, malgré les propositions d’ouverture, seul gage de crédibilité du système. Elle a jugé utile l’appel à un dialogue stratégique renforcé, notamment dans un contexte de retour à la course aux armements.Michaela Wiegel, « Europa muss sich wappnen », Die Frankfurter Allgemeine Zeitung, 8 février 2020. Par ailleurs, le Handelsblatt a annoncé les grands thèmes évoqués par le discours, en reprenant l’argument selon lequel une dissuasion européanisée reste pour le moment irréaliste, et l’appel au dialogue du Président Macron est avant tout une proposition pour les partenaires européens de se voir « expliquer » la dissuasion française que de « contribuer » à la réflexion à ce sujet.Thomas Hanke, « Macron hält an atomarer Abrüstung fest – will aber allein über Atomwaffen entscheiden », Handelsblatt, 6 février 2020.

La presse allemande a également commenté les réponses officielles du côté de Berlin, exprimées notamment lors du Forum sur la sécurité de Munich. La ministre de la Défense allemande Annegret Kramp-Karrenbauer a estimé lors d’un passage à Paris qu’elle « acceptait certainement » l’invitation française à discuter, mais que cela ne se substituait aucunement à la participation allemande à la dissuasion élargie de l’OTAN, sur laquelle la ministre « ne voit aucune raison de procéder à des changements ».T. Wiegold, « Ja zum strategischen Nuklear-Dialog mit Frankreich. Jedenfalls grundsätzlich. », Augen Geradeaus, 21 février 2020. Le Président, Frank-Walter Steinmeier, a également appelé l’Allemagne à répondre positivement, mais en se mettant en position de contribuer à la réflexion stratégique.Frank-Walter Steinmeier, « Opening of the Munich Security Conference », Discours, Munich, 14 février 2020. Enfin, le ministre des Affaires étrangères Heiko Maas a tenu des propos similaires sans toutefois insister sur la nature « nucléaire » du dialogue.Heiko Maas, « Speech by Foreign Minister Heiko Maas at the 56th Munich Security Conference », Discours, Munich, 14 février 2020 : « we will also take up President Macron’s offer of a strategic dialogue on this issue. »

Sans surprise, un commentateur autrichien a considéré que la proposition du Président Français « n’est pas une bonne idée » et que la participation des Européens aux exercices français n’était que le premier pas visant à « habituer les citoyens européens à l’idée de posséder des armes nucléaires ».Fabien Sommavilla, « EU‑Atomwaffen? Nein danke, Monsieur le Président! », Der Standard, 7 février 2020.

Aux Pays-Bas et en Belgique, peu de commentaires ont été faits, mis à part le ministre des Affaires étrangères néerlandais qui a rappelé le rôle joué par l’OTAN pour garantir la paix sur le continent européen depuis 70 ans et a indiqué qu’il n’y avait aucun projet d’une participation financière néerlandaise à la dissuasion française.« Blok: 'Nederland betaalt niet mee aan Franse kernwapens' », BNR, 14 février 2020. Un ancien diplomate a insisté sur la vision européenne de la sécurité du Président Macron, comme « prolongement de la sécurité française », et de l’insistance donnée au couple nucléaire franco-britannique. Il a noté que malgré des réserves probables à La Haye, il pouvait être utile pour les Pays-Bas de participer à un dialogue, « sans préjugés ».Ed Kronenburg, « Een Franse paraplu? », Het Financieele Dagblad, 10 février 2020.

À Stockholm, le parti d’opposition « Les Modérés » a indiqué qu’il n’était pas pertinent pour la Suède de recevoir des garanties de sécurité françaises, mais que le pays devait participer à un dialogue sur la sécurité du continent.« Moderaterna efter Macrons utspel: ”Inte aktuellt för Sverige att ta emot säkerhetsgarantier” », SVT Nyheter, 10 février 2020. Le francophone Lars Wedin a publié un compte-rendu très détaillé du discours, qui pointe notamment la vision à périmètre et intégration variables de « l’Europe » telle que décrite dans l’allocution.Lars Wedin, « Så tänker Macron om Europa och kärnvapen », Friwäld, 15 février 2020. Si le discours a été peu commenté en Norvège, plusieurs articles factuels ont été publiés au Danemark. Par ailleurs, les propos du ministre des Affaires étrangères Jeppe Kofod, qui indique préférer se concentrer sur la manière de renforcer l’OTAN et sur la relation transatlantique, ont été relayés.« Kofod modsiger Macron: USA er meget engageret i Europa », Børsen, 15 février 2020.

En Lituanie, un journaliste a insisté sur le rôle politique des armes nucléaires françaises, et le caractère quasiment royal du discours. Dans un très long article, il a jugé que le Président français donne le choix aux Européens : se joindre à lui ou continuer de s’appuyer sur un partenaire américain peu fiable. Pour l’auteur, les propositions françaises sont cependant avant tout « rhétoriques », car la France n’a rien à offrir contrairement à l’OTAN, qui, notamment pour les Pays baltes, reste le réel pourvoyeur de sécurité.Vaidas Saldžiūnas, « Ką reiškia Macrono branduoliniai pasiūlymai Europai: ši ambicija gali įvaryti pleištą su JAV », Delfi, 7 février 2020.

En Pologne, plusieurs médias ont mentionné le discours de manière factuelle. Un commentateur a constaté que l’objectif du Président était sans doute la « grandeur de la France », mais que Varsovie devait essayer d’en retirer un avantage.Bartłomiej Radziejewski, « Macron gra bronią nuklearną. O co? », Nowa Konfederacja, 12 février 2020. Pour un autre observateur, la proposition française s’adresse avant tout à l’Allemagne, qui pour l’instant n’a pas répondu avec grand enthousiasme, préférant s’en tenir aux forums traditionnels de l’UE et de l’OTAN. Elle n’est pas tant novatrice par son contenu mais par le contexte dans lequel elle est formulée, tout comme le format envisagé.Justyna Gotkowska, « Europejska autonomia strategiczna czy europejski filar w NATO? Niemcy wobec inicjatyw Macrona », OSW, 21 février 2020. A l’inverse, Łukasz Kulesa, du PISM, estime que les propositions françaises nécessitent un dialogue bilatéral franco-polonais approfondi. Il a noté que le dialogue proposé ne serait intéressant que s’il allait au-delà d’un partage de la culture stratégique française, mais intégrait une discussion sur « le rôle de la dissuasion française dans des crises ou conflits potentiels liés aux activités russes ». Ce dialogue, et la participation aux exercices, devraient être envisagés de manière complémentaire à ce qui est fait à l’OTAN, et notamment pour ce qui est de la maîtrise des armements, prendre en considération les positions américaines pour éviter toute division de l’Alliance.Łukasz Kulesa, « Nuclear Deterrence in French Security Policy », Bulletin n°26, PISM, 18 février 2020.

À Budapest ou Bucarest, les commentaires ont été rares, se focalisant notamment sur les propositions françaises vis-à-vis de la Russie ou la modestie de l’arsenal nucléaire français au regard des autres puissances.Constantin Marius, « Planul nuclear al lui Emmanuel Macron pentru apărarea UE și refacerea legăturilor cu Rusia », PS News, 11 février 2020 et Pósa Tibor, « Haláleső », Magyar Nemzet, 22 février 2020.

Plusieurs publications ont relevé le discours du Président Macron en Italie. Certains notent qu’il s’agit avant tout d’un message de défiance vis-à-vis de Washington, message que Rome ne partage que peu, demeurant un allié très proche des États-Unis.Dario Prestigiacomo « Macron: "Le armi nucleari francesi una sicurezza per l'Ue », Europa Today, 7 février 2020. Dans le blog consacré aux questions de défense Analisi Difesa, les auteurs estiment que par ce discours, la France cherche à jouer un rôle prédominant en Europe, tout en partageant les « coûts d'un milliard de dollars de son arsenal nucléaire ».« Macron: Force de Frappe più piccola ma deterrente nucleare dell’Europa », Analisi Difesa, 9 février 2020. Pour le Corriere Della Sera, le Président essaie de réinsuffler une dynamique européenne autour de la défense, quelques jours après le Brexit.« L’offerta nucleare di Macron alla Ue », Corriere Della Sera, 20 février 2020.

En Espagne également, le discours a été commenté. Pour le correspondant espagnol de ABC Internacional, les innovations contenues dans le discours, sur l’ouverture éventuelle à des partenaires européens, sont « d’importance historique ».Juan Pedro Quiñonero, « Macron pone el arma nuclear de Francia «al servicio de la seguridad de Europa» », ABC Internacional, 7 février 2020. Pour le Real Instituto Elcano, le discours sur la dissuasion française est une nouvelle occasion pour le président français de s’imposer comme leader pro-européen et de défendre les intérêts de la France en promouvant une Europe forte et souveraine. L’auteur note également une méfiance grandissante à l’égard des États-Unis.Jesús A. Núñez Villaverde «Unión Europea y armas nucleares: Francia a la cabeza », Real Instituto Elcano, 10 février 2020. Dans El Pais, le discours est étudié finement, et il est noté que l’approche « européenne » de la dissuasion française est proposée de manière plus subtile que les précédentes tentatives, dans un contexte très particulier de tentatives de renforcer la souveraineté européenne.Marc Bassets, « Macron ofrece a la UE un diálogo estratégico sobre su fuerza nuclear », El Pais, 7 février 2020. 

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