France, Germany, and Nuclear Deterrence: Quarrels and Convergences during the Cold War and Beyond

Observatoire de la dissuasion n°100
septembre 2022

Dans un ouvrage historique fouillé en langue anglaise sur la question nucléaire dans les relations franco-allemandesNicolas Badalassi et Frédéric Gloriant (éditeurs), France, Germany, and Nuclear Deterrence: Quarrels and Convergences during the Cold War and Beyond, Berghahn Books, 2022, 364 p., des spécialistes cherchent à promouvoir une vision plus nuancée et plus complexe de ce sujet parfois caricaturé. Grâce à l’utilisation de sources déclassifiées, ils montrent un processus non-linéaire et souvent sous-jacent de convergence entre les deux pays concernant le rôle de la dissuasion pour la sécurité européenne, la maîtrise des armements et le désarmement.

Dans la première partie, des chercheurs allemands relativisent les velléités de la RFA de se doter de l’arme nucléaire dans les années 1950 et 1960. Ils estiment notamment que la vision selon laquelle Paris (mais aussi Washington) s’inquiétaient très sérieusement de l’acquisition de l’arme nucléaire par Bonn est exagérée et qu’en tout cas l’exemple français et l’éventuelle coopération américano-française sur le nucléaire n’étaient pas des arguments suffisant à convaincre la RFA d’Adenauer de développer un programme nucléaire national. Un historien français étudie la question à travers le prisme des écrits de Raymond Aron. Par ailleurs, au travers l’exemple de Willy Brandt, un autre auteur montre que le choix de rejoindre le TNP en tant qu’État non doté n’a pas été seulement imposé de l’extérieur mais reflétait l’identité de la nouvelle république telle que revendiquée par le chancelier tout comme ses intérêts dans le cadre de l’Ostpolitik.

Deuxièmement, l’ouvrage atténue la perception selon laquelle l’acquisition de la force de frappe a permis à la France d’assouvir une volonté de domination sur son voisin allemand, montrant au contraire que malgré cette relation asymétrique au niveau capacitaire, des efforts ont également été menés pour renforcer l’autonomie stratégique allemande. Ce fut le cas sous la quatrième République, où la constitution d’une capacité nucléaire nationale n’est pas incompatible dans les yeux des dirigeants français avec le renforcement du lien transatlantique et l’intégration européenne. Une analyse des réactions de De Gaulle et Adenauer à la crise de Berlin soutient également cette thèse.

Les auteurs ne nient pas l’existence d’un malaise historique entre la France et l’Allemagne sur la question nucléaire, nourri en particulier par des éléments précis comme la courte portée des missiles terrestres français Pluton ne pouvant qu’être utilisés sur le territoire allemand. Néanmoins, ils cherchent à mettre ces désaccords en perspective en montrant des tentatives de coopération, notamment pour contester l’ordre nucléaire bipolaire imposé par les deux superpuissances pendant la Guerre froide et pour défendre la perspective de réunification de l’Allemagne. Ainsi, pendant la Détente, les deux pays ont chacun à leur manière eu pour priorité le renforcement de la sécurité ouest-européenne, le dépassement de l’affrontement bipolaire et l’émergence d’une voix européenne plus influente dans le dialogue stratégique, même si la méthode préconisée, et notamment l’opportunité d’œuvrer à la réduction des armements, fut la source de désaccords entre les deux pays. Les efforts des deux parties, parfois alternatifs et non-coordonnés pour promouvoir une Europe de la Défense, ont également été à l’origine d’échanges poussés sur le rôle de la dissuasion française dans la défense de l’Europe, avec des perceptions allemandes plus ouvertes que généralement admises, notamment au début des années 1970 et au début des années 1980. La crise des Euromissiles offre un autre exemple de rapprochement, en particulier entre François Mitterrand et Helmut Kohl. Durant les dernières années de la Guerre froide, il est rapporté que la France en particulier a été plus ouverte aux intérêts stratégiques de Bonn sans toutefois parvenir à surmonter un certain nombre de désaccords sur des sujets précis, occasionnellement liés à des questions de politique interne, mais aussi sur le fond en lien concernant la stratégie militaire française en cas de conflit, la frilosité française à engager toute coopération pouvant écorner son autonomie mais aussi sur la question du désarmement et de la maîtrise des armements.

Malgré ces exemples d’intérêts partagés et de tentatives de rapprochement, l’ouvrage reconnaît donc l’incapacité pendant et après la Guerre froide à dépasser les blocages, en particulier liés à une incapacité à coordonner réellement les efforts diplomatiques, à des identités divergentes sur la question de l’arme nucléaire et sur le rôle du pays dans le système international et à une absence de vision commune sur la place de la dissuasion française pour la sécurité du continent européen.

Les convergences sont toutefois plus fortes depuis l’invasion de la Crimée, dans le cadre de l’OTAN et au-delà. Pour plusieurs auteurs, le contexte pousse au rapprochement, que ce soit le comportement de la Russie, le détachement américain illustré par la présidence Trump ou encore le fait que la France soit désormais la seule puissance nucléaire de l’Union européenne. Mais un point pourrait rester un obstacle à toute tentative de coopération poussée : l’Allemagne est intéressée par des coopérations dans le domaine du nucléaire si elle estime que cela peut lui donner de l’influence sur la stratégie menée. Tant que la France refuse toute démarche pouvant limiter les marges de manœuvre du Président de la République, les efforts communs risquent de mener à des déceptions et des frustrations. Néanmoins, grâce à cet ouvrage, les auteurs montrent l’intérêt de continuer le dialogue stratégique franco-allemand et illustrent que les deux pays ont régulièrement eu conscience de la proximité de leurs intérêts stratégiques. Les variations de perception et désaccords occasionnels ne doivent donc pas être considérés comme des facteurs empêchant une analyse commune des menaces pour la sécurité du continent européen et la recherche de solutions partagées.

 

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Bulletin n°100, août 2022



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