Escale d’un SNLE américain en Corée du Sud : quel signalement ?
Observatoire de la dissuasion n°113
Emmanuelle Maitre,
Alda Anindea,
octobre 2023
L’escale de l’USS Kentucky (SSBN 737) à Busan, en Corée du Sud, le 18 juillet 2023, a attiré l’attention des médias, car c’est la première fois qu’un sous-marin lanceur d’engins (SNLE) américain s’arrête en Corée du Sud depuis quarante ansOh Jeong-hun, « (LEAD) Campbell » : « Un sous-marin nucléaire stratégique américain est à Busan» », Yonhap, 18 juillet 2023..
Les SNLE sont réputés être la composante invulnérable des forces nucléaires, en raison de leur capacité à se diluer dans l’océan et à pouvoir riposter, sans être détectés, à tout moment et en tout lieu du globe. En conséquence, leurs opérations sont réputées pour leur discrétion. Pourtant, pendant la Guerre froide, les SNLE américains étaient connus pour effectuer régulièrement des escales dans des ports étrangers. À partir des années 1960, et dans l’optique de pouvoir menacer en permanence le territoire soviétique, la Marine américaine a constitué un réseau de bases permettant de patrouiller loin du territoire continental américain. Ainsi, un escadron de SNLE était basé à Holy Loch, en Ecosse, d’autres patrouillaient la Méditerranée depuis Rota, en Espagne, et enfin le Pacifique depuis Guam. Un réseau de bases additionnelles, situées dans les Caraïbes, l’océan Indien ou le Pacifique (Hawaii) était utilisé pour allonger la portée des patrouilles sans augmenter leur durée ou prendre en compte des problèmes opérationnels.
En plus de ces bases avancées, les SNLE ont conduit durant toute la Guerre froide, des escales nombreuses dans des ports alliés. En 1962, suite au retrait de Turquie des missiles Jupiter, le SNLE USS John Marshall a fait escale à Izmir pour témoigner au gouvernement turc de l’engagement américain à le défendre avec son arsenal stratégique. Entre 1976 et 1981, les États-Unis ont fait escale près de 35 fois au port de Chinhae, en Corée du Sud, là encore pour traduire le soutien américain à son allié sud-coréen dans un contexte troublé sur la péninsuleHans Kristensen, « When the Boomers Went to South Korea », Federation of American Scientists, 10 avril 2011.. Parallèlement, des dizaines de SNLE ont fait escale sur cette période dans des ports européens ou à Halifax (Canada), pour des raisons technico-opérationnelles, mais également dans l’objectif de motiver les équipages impliqués en rompant la monotonie des patrouilles.
Escales de SNLE américains, 1962-2000, hors États-Unis continentaux, et déploiements outre-mer. Crédits : FRS
La pratique des escales a considérablement diminué après la Guerre froide et a été interrompue en 2000, pour des raisons stratégiques, mais aussi de sécuritéMichael Melia, « For the first time since 9/11, US Navy nuclear-armed subs make port calls », The Christian Science Monitor, 21 décembre 2015.. Ces escales sont redevenues plus fréquentes depuis 2015. La dernière escale à Busan en juillet 2023 a été largement décrite comme un moyen d’incarner l’engagement continu des États-Unis en faveur de la sécurité et de la stabilité en Asie du Nord-EstBrad Lendon, Yoonjung Seo, and Gawon Bae, « Nuclear capable US submarine makes first port call in South Korea in four decades », CNN, 18 July 2023.. Cet arrêt public visait également à démontrer la détermination des États-Unis à défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Corée du Sud face à son principal adversaire, la Corée du Nord. Quelques mois plus tôt, dans le cadre de l’alliance entre les deux nations, les États-Unis et la Corée du Sud avaient réaffirmé dans la déclaration conjointe de Washington l’engagement américain en faveur de la sécurité de Séoul et avait mentionné une escale prévue en Corée du Sud« Submarine visit strengthens ROK U.S. alliance », Indo-Pacific Defense Forum, 28 July 2023.. Comme l’a confirmé le président sud-coréen, Yoon Suk Yeol, premier chef d’État étranger à visiter un SNLE américain, les États-Unis poursuivront le déploiement régulier de leurs SNLE en Corée du Sud en réponse aux programmes nucléaires et balistiques nord-coréensPresident Yoon makes historic tour of US missile-armed submarine, Office of the President, Republic of Korea, 21 juillet 2023..
Escales de SNLE américains depuis 2015, hors États-Unis continentaux. Crédits : FRS
En plus de Busan, des SNLE américains ont été publiquement annoncés à Faslane (Royaume-Uni), Gibraltar ou encore en patrouille dans la mer d’ArabieCourtney Kube and Chantal Da Silva, « U.S. makes unusual disclosure of ballistic missile submarine’s presence in Persian Gulf », NBC News, 20 October 2022.. Plusieurs objectifs expliquent cette augmentation des escales après un abandon de cette pratique pendant près de vingt ans. Dans un contexte de menaces croissantes de la part de leurs principaux adversaires, la Russie, la Chine et la Corée du Nord, les États-Unis sont déterminés à continuer à faire escale dans des ports étrangers pour montrer leur volonté de protéger leurs alliés des menaces potentielles et les rassurer sur la crédibilité et la responsabilité des États-Unis. Les escales représentent également une démonstration symbolique de puissance et offrent une visibilité quant à la présence mondiale de la force des SNLE et leur capacité à frapper depuis toutes les directions. Enfin, le facteur humain et lié au moral de l’équipage a été mis en avantMichael Melia, op. cit.. Ces bénéfices humains, politiques et diplomatiques semblent perçus par Washington comme compensant les éventuels inconvénients liés aux escales (indisponibilité d’un sous-marin, exposition à la collecte de renseignements, vulnérabilité accrue à proximité des ports…)Masashi Murano, « What are the appropriate SSBN forward deployment options? », Hudson, 5 May 2023..
Escale d’un SNLE américain en Corée du Sud : quel signalement ?
Emmanuelle Maitre, Alda Anindea
Bulletin n°113, octobre 2023