Élections fédérales en Allemagne : quel impact sur la mission nucléaire de l’OTAN ?
Observatoire de la dissuasion n°90
Eva Siegmann,
Emmanuelle Maitre,
septembre 2021
Les élections fédérales allemandes qui ont eu lieu le 26 septembre 2021 ont mis fin officiellement au mandat d’Angela Merkel, chancelière du pays depuis 2005Cet article reprend des analyses développées plus en détail par Eva Siegmann, « Les élections fédérales allemandes et le nucléaire : opportunité ou défi? », Note de la FRS n°32/2021, FRS, 21 septembre 2021.. Cette élection joue un rôle important dans les politiques allemandes de sécurité et de défense, non pas seulement du fait du changement de gouvernement mais aussi parce que le Bundestag nouvellement élu devra se prononcer sur plusieurs sujets en lien avec les questions militaires nucléaires, en particulier l’acquisition d’un nouvel avion à double capacité qui va de pair avec la poursuite du partage du nucléaire au sein de l’OTAN.
Cependant, la campagne des trois candidats arrivés en tête, Olaf Scholz du SPD (social-démocrate), Armin Laschet de la CDU/CSU (conservateur) et Annalena Baerbock des Verts, a relativement peu évoqué les affaires étrangères, et a fortiori le domaine de la sécurité et la défense. Néanmoins, cette question pourrait jouer un rôle dans la formation de la coalition, et la politique allemande en matière d’armes nucléaires pourrait également changer sensiblement par suite au changement de gouvernement.
Au soir des élections, il n’est pas possible de savoir quelle sera la coalition de gouvernement qui sera formée. Le SPD, arrivé en tête, et la CDU-CSU, seconde, sont tous les deux en position de prendre la tête d’une coalition. En revanche, ces deux partis ont exclu de travailler ensemble à nouveau dans le cadre d’une grande coalition. Les coalitions les plus probables sont donc celles du feu tricolore (SPD, FDP, Verts) ou Jamaïque (CDU-CSU, FDP, Verts). Il est donc intéressant de se pencher sur les positions exprimées par ces partis sur les questions stratégiques, et en particulier de réfléchir à la manière dont ces questions pourraient être prises en compte dans certains accords de coalition.
Pour ce qui est de la coalition « feu tricolore », il existe une unité relative entre ces trois partis sur l’objectif de renforcement des relations transatlantiques et sur l’objectif d’un monde sans armes nucléaires. Malgré des divergences d’approches, une telle coalition chercherait vraisemblablement à mettre davantage l’accent sur la maîtrise des armements multilatérale ; un positionnement beaucoup plus ambitieux de la part de l’Allemagne, avec par exemple la demande d’un statut d’observateur au sein du TIAN, est également possible, en fonction de l’état des négociations.
La coalition « Jamaïque » verrait sans doute des désaccords plus importants sur les questions stratégiques. Tant le FDP que la CDU/CSU soutiennent la politique de dissuasion nucléaire. Les Verts se positionnent plus clairement et formulent des étapes vers l’objectif d’un monde sans armes nucléaires. Néanmoins, la poursuite du partage du nucléaire au sein de l’OTAN est probable dans le cadre de cette coalition. Un compromis envisageable serait de combiner cela avec des efforts accrus en matière de désarmement, comme le demandent les Verts et le FDP.
Pour rappel, la position officielle de la CDU-CSU vis-à-vis de la dissuasion nucléaire est plus ou moins identique à celle de l’OTAN : tant que des États possèderont des armes nucléaires, l’Europe dépendra de la dissuasion nucléaire dans le cadre de l’OTAN, sous les auspices des États-Unis. Le stationnement d’armes nucléaires en Allemagne est présenté comme une bonne alternative pour parer au réarmement conventionnel russe, une dissuasion conventionnelle équivalente étant beaucoup plus coûteuse. Le parti conservateur met également l’accent sur la coopération transatlantique tout en indiquant que le pilier européen de l’OTAN doit être renforcé.
Le SPD a pris pendant la campagne une position plus critique envers le partage nucléaire. Dans son programme électoral officiel, le SPD exige une « discussion consciencieuse, objective et minutieuse sur le partage du nucléaire »SPD, « Aus Respekt vor deiner Zukunft—Das Zukunftsprogramm der SPD », 9 mai 2021, p. 63. avant la prise de décision finale sur le remplacement des Tornado. Il s’écarte donc du positionnement de la CDU/CSU, sans toutefois remettre en cause toute la logique de la dissuasion. De plus, le SPD appelle à la participation de l’Allemagne en tant qu’observateur à la Conférence des Parties au TIAN.
Les Verts ont longtemps revendiqué le retrait des armes nucléaires d’Allemagne, mais le parti a soutenu depuis plusieurs mois une version progressive du désarmement, appelant l’Allemagne à être observateur à la Conférence des Parties au TIAN et demandant à l’OTAN de renoncer à toute doctrine d’emploi en premier et de promouvoir davantage la réduction des arsenaux.
Pour ce qui est du FPD, le parti veut s’engager « sans réserve »FDP, « Nie gab es mehr zu tun. Wahlprogramm der Freien Demokraten », 7 juin 2021, p. 70. dans l’OTAN et se prononce en faveur de la doctrine de dissuasion (nucléaire) de l’Alliance, qu’il considère comme garante de la sécurité nationale. Le parti s’engage à renforcer la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE, avec la mutualisation des forces européennes dans le cadre d’une armée européenne comme objectif de long terme.
À noter que suite aux élections, la création d’une coalition de gauche, intégrant Die Linke, semble exclue. Le parti d’extrême-gauche s’était montré le plus radical pendant la campagne, rejetant le « concept dangereux de la dissuasion nucléaire »Die LINKE, « Zeit zu handeln! Für soziale Sicherheit, Frieden und Klimagerechtigkeit. Wahlprogramm zur Bundestagswahl 2021 », 20 juin 2021, p. 137. et exigeant le retrait de toutes les armes nucléaires d’Allemagne et la signature du TIAN.
Au soir des élections, des divergences profondes sur la place des armes nucléaires dans la politique de défense et de sécurité persistentOliver Meier, « Why Germany won’t build its own nuclear weapons and remains skeptical of a Eurodeterrent », Bulletin of the Atomic Scientists, vol. 76, n° 2, 3 mars 2020, p. 78., notamment sur la question du stationnement d’armes nucléaires sur le territoire allemand. Pour autant, cette question ne devrait pas être centrale dans les négociations sur un accord de coalition, et on peut donc penser que les positions allemandes sur les questions stratégiques devraient être marquées par la continuité, même si des inflexions restent possibles.
Élections fédérales en Allemagne : quel impact sur la mission nucléaire de l’OTAN ?
Eva Siegmann, Emmanuelle Maitre
Bulletin n°90, août 2021