Corée du Nord : récentes avancées des programmes nucléaire et balistique

En janvier 2021, Kim Jong Un a rappelé son objectif de moderniser les forces nucléaires nord-coréennes« Application of Safeguards in the Democratic People’s Republic of Korea », GOV/2021/40-GC(65)/22, AIEA, 27 août 2021.. C’est donc assez logiquement que les multiples sites qui font partie du programme nucléaire ont connu un essor de leur activité au cours des derniers mois.

L’Agence internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) n’ayant plus d’observateur sur le terrain depuis les années 2000Ibid., ces activités récentes ont été suivies par l’analyse d’imagerie satellite. Elles figurent notamment dans les rapports récents présentés par l’AIEA, mais également par le Groupe d’experts créé en application de la résolution 1874Rapport émanant du Groupe d’experts créé en application de la résolution 1874, S/2021/211, Conseil de sécurité des Nations Unies, 4 mars 2021.. Ce rapport évoque en particulier les travaux mis en œuvre sur plusieurs sites (Yongbyon, Punggye-ri, Pyongsan) suite aux dommages causés par le passage d’un typhon à l’été 2020. Ces activités sont également suivies par des chercheurs indépendants à partir de sources ouvertes.

Complexe nucléaire de Yongbyon :

• Usine d’enrichissement : en raison de l’observation de panaches de vapeur au-dessus de l’usine, le Groupe d’experts considère cette installation en fonctionnement, une analyse partagée par certains États. L’AIEA est plus dubitative, tout en reconnaissant la présence de mouvements à proximité de l’usine. L’équipe du MIIS a noté en septembre 2021 l’agrandissement de l’usine en cours, qui permettrait selon ses calculs d’augmenter la production de 25%Jeffrey Lewis, « Yongbyon Enrichment Plant », Arms Control Wonk, 16 septembre 2021..
• Réacteur à eau légère en construction : depuis août 2020, les rapports indiquent la poursuite des travaux de construction, notamment la construction d’une digue sur la rivière Kuyong, et la création d’un réservoir d’eau douceFrank Pabian, Jenny Town, Jack Liu, op. cit.. Cependant, aucun signe de fonctionnement du réacteur n'a été observé, bien qu'il y ait eu des indications d’essais électriques. Le rapport de l’ONU ne signale pas d’essais du système de refroidissement, mais celui de l’AIEA estime que trois ont été conduits sur la dernière période (fin 2020, puis en mars et en avril 2021)AIEA, op. cit..
• Centrale nucléaire expérimentale de Yongbyon / Réacteur 5 MWe : construit dans les années 1980, les travaux ont été abandonnés en 1994 suivant l’accord de la Corée du Nord avec l’AIEAVeronika Bedenko, « ONN Monitoring Report: New Activity at Abandoned 50 MWe Reactor at Yongbyon », One Earth One Future, 9 juillet 2021.. Dans leur dernier rapport respectif, le groupe d’experts et l'AIEA déclarent qu’aucune activité n’a été observée sur le site mais qu’il apparaît comme entretenu. Depuis juillet 2021, des indications pour l’opération du réacteur ont cependant été observées, comme le rejet d'eau de refroidissement. Selon Jeffrey Lewis, sur 11 images prises en juillet et août 2021, toutes sauf une montrent le rejet d’eau de refroidissement dans la rivière adjacente au site. La plus récente observation date du 25 aoûtFrank Pabian, Jenny Town, Jack Liu, « North Korea’s Yongbyon Nuclear Complex: More Evidence the 5 MWe Reactor Appears to Have Restarted », 38^th North, 30 août 2021.. Il en déduit que le réacteur a été opéré plus ou moins constamment cet étéJeffrey Lewis, Twitter, 31 août 2021..
• Laboratoires de radiochimie : cette usine, en charge du retraitement du plutonium, aurait été en service pendant environ 5 mois (de février à juillet 2021) selon l’AIEAAIEA, op. cit., une durée plus longue que lors des années précédentes. Cette période correspondrait au temps nécessaire pour achever le retraitement du combustible irradié par le cœur du réacteur 5 MWe lors d’un cycle d’irradiation, selon une information fournie par la Corée du Nord à l’AIEA en 1992Ibid. .

Autres sites nucléaires :

• Mine et usine de Pyongsan : ces deux sites continuent d’être en activité d’après des observations indépendantesJoseph Bermudez, Victor Cha et Dana Kim, « Recent Activity at the Pyongsan Uranium Concentrate Plant (Nam-chon Chemical Complex) and January Industrial Mine », Beyond Parallel, CSIS, 26 mars 2021. ;
• Complexe de Kangson : le rapport fait état de la surveillance du site, soupçonné d’abriter une usine d’enrichissement, mais ne confirme pas cette information.

Sites liés au programme balistique

Au-delà des sites nucléaires, les sites liés aux vecteurs ont également connu des développements ces derniers temps. Le rapport du groupe d’experts note en particulier :

• La rénovation de l’usine de TEL de Kusong ;
• L’amélioration des voies de communication de l’usine automobile dite du 16 mars, en charge de l’assemblage du Hwasong-15 ;
• L’activité constante sur le chantier naval de Sinpo-Sud, potentiellement en lien avec le programme de SLBM ;
• Les travaux d’infrastructure sur les bases de Yusang-ri, Kal-gol et Hoejung-ri.

Des observateurs issus de la société civile se sont penchés plus spécifiquement sur certains sites, avec des analyses d’images. Ainsi, sur la base de missiles de Yusang-ri, qui pourrait abriter les ICBM

Hwasong‑13, Hwasong‑14 et Hwasong‑15, l'imagerie satellite haute résolution datée de juin 2021 montre que des activités de construction mineures se sont poursuiviesMatthew Frank, « Continued construction at Yusang-ni missile base », One Earth One Future, 26 juillet 2021.. Le site comprend principalement deux installations souterraines présumées, une structure de transmission durcie, une structure de commandement et une piste de formation pour les conducteurs d’engins. Ces travaux incluent un certain nombre de développements visibles dans la zone du quartier général de la base, les zones de logement et du soutien, et près de la piste de formationIbid..

Sur l’usine de missile de Chamjin (ou Usine des machines de Thae-sung), la comparaison d’une image satellitaire du 7 avril 2021 avec une image plus récente du 21 juillet révèle des progrès dans la construction de six structures entre les deux bâtiments principaux de l’usine. La fonction de ces structures reste indéterminée. L'usine de missiles consiste en un banc d'essai de moteur vertical et un complexe principal, connu pour produire des missiles de type SCUD et Hwasong‑7 (Rodong)Xu Tianran, « New constructions at the Chamjin Missile Factory », One Earth One Future, 26 juillet 2021..

Enfin, le site de lancement de satellite de Tonghae a également connu des développements récents. Ce site de lancement, le plus ancien du pays, a été utilisé par la Corée du Nord pour ses premiers lancements de fusées spatiales et à longue portée en 1998, 2006 et 2009. Un projet d'expansion a été lancé en 2011 mais est resté inachevéXu Tianran, « New construction at the Tonghae Satellite Launching Ground », One Earth One Future, 14 juillet 2021.. Cependant, des images satellite récentes semblent indiquer que des nouvelles constructions ont eu lieu en mars 2021. Le chantier est composé principalement de huit structures, chacune d'entre elles couvrant une surface de 30 mètres sur 10 mètres. Ces bâtiments pourraient abriter des activités support au site de lancementIbid..

En dehors de ces développements, le rapport des Nations Unies souligne toujours les efforts nord-coréens pour obtenir des matières ou technologies pouvant servir ses programmes nucléaire et balistique. Il note les violations continuent des sanctions et appelle à davantage d’efforts des États dans ce domaine. De manière évidente, la reprise de l’activité du réacteur de Yongbyon témoigne de la volonté nord-coréenne de produire plus de plutonium et de tritium. Le réacteur ne représente plus le seul moyen pour le pays d’acquérir ces matériaux, mais reste néanmoins un centre de production importantAnkit Panda, « What the Restarting of North Korea’s Yongbyon Reactor Means », Carnegie Endowment, 02 septembre 2021.. À l’inverse, l’extension de l’usine d’enrichissement pointe l’intérêt du régime pour accroître son volume d’UHE essentiel pour le fonctionnement de ses armes thermonucléairesJeffrey Lewis, « Yongbyon Enrichment Plant ».. Ces observations, tout comme le tir d’un missile de croisière à portée intermédiaire le 12 septembre, semblent confirmer la fin du cycle diplomatique conclu par l’échec du sommet de Hanoi, et la priorité maintenue par Pyongyang sur la consolidation de ses forces de dissuasionChung-in Moon, Bong-geun Jun, Jinkyung Baek, Naoko Aoki, « Responding to North Korea’s Reopening of the Yongbyon Reactor, APLN, 07 septembre 2021..

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