Dissuasion nucléaire française : que retenir du rapport Pintat / Lorgeoux ?

Un groupe de travail du Sénat a produit en mai 2017 un volumineux rapport d’information consacré à « la modernisation de la dissuasion nucléaire française ».Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées par le groupe de travail « La modernisation de la dissuasion nucléaire », par MM. Xavier Pintat, Jeanny Lorgeoux, co-présidents, MM. André Trillard, Pascal Allizard et M. Claude Haut, Sénateurs, n° 560, Sénat, Session ordinaire de 2016-2017, 23 mai 2017.

Ce rapport s’inscrit dans une lignée bien établie de rapports parlementaires très favorables à la dissuasion, et visant essentiellement à la bonne information de la représentation nationale et de l’opinion publique. Il fait notamment suite à l’excellent rapport d’information « Boulaud/Pintat » de juillet 2012.

Riches en informations techniques, économiques et budgétaires – et très précieux à ce titre – ils sont en revanche souvent assez pauvres en idées et, sur ce plan, ne contribuent guère au débat politique et doctrinal.

Les propositions concrètes de ce rapport se limitent à l’accélération de la livraison des MRTT Phénix et à l’étude de l’acquisition d’un ou deux exemplaires supplémentaires.

Les données budgétaires mentionnées sont appelées à faire référence dans un débat public dont on connaît la sensibilité : selon le rapport, le budget de la dissuasion passera à « environ 5,5 à 6 milliards » à l’horizon 2025. Le rapport précise très utilement – donnée souvent inconnue ou omise des commentateurs – qu’il s’agit d’euros constants en valeur 2017.

La longue partie descriptive de l’environnement stratégique contient nombre de banalités discutables (un monde « plus conflictuel », « plus imprévisible »…), ainsi que quelques erreurs factuelles ou analytiques :

  • Le document consultatif de 1999 est présenté comme document de référence sur la doctrine indienne, alors qu’il n’engageait pas la responsabilité du gouvernement et que c’est désormais le texte officiel de 2003 qui fait foi.
  • Les doctrines américaine et russe sont présentées, sans aucune démonstration, comme comprenant des options « d’emploi » (et non de « dissuasion »), à l’inverse, selon le document, de la France.
  • La description de la doctrine britannique ne tient pas compte de son évolution en 2010 (langage sur les garanties négatives de sécurité).
  • Le programme chinois est, de manière surprenante, décrit comme allant « à vive allure ».

Les données relatives aux stocks d’armes mondiaux sont exclusivement celles du SIPRI, alors que l’on aurait pu attendre, dans un rapport aussi complet, une analyse un peu plus fouillée.

La présentation de la politique nucléaire française reprend tous les canons de « l’exemplarité » supposée de notre pays, qui n’a « jamais participé à la course aux armements ». Il est sans doute quelque peu regrettable que la représentation nationale reprenne ainsi le langage traditionnel sans aucune distance critique ou effort d’analyse.

En revanche, il est notable que le rapport donne la parole – et il faut s’en féliciter pour la crédibilité du débat – à certains mouvements antinucléaires, et ait à cœur de discuter leurs arguments. Il souligne même la pertinence de certains d’entre eux (ex. : question des risques de dérapages budgétaires sur certains programmes).

La présentation des forces est riche d’éléments factuel utiles au débat public, y compris sur des questions sensibles, rarement mentionnés.

Quelques exemples :

  • notion de contrat de postureLe rapport précise utilement que la FANu n’y est pas soumise.,
  • nombre de SNA mobilisés par la dissuasion (« jusqu’à deux »),
  • pourcentage des crédits consacrés à la dissuasion par le Service d’Infrastructure de la Défense (environ 15% en moyenne annuelle),
  • effectifs de la GSAN,
  • durée de vie de quelques éléments-clés de la dissuasion : 35-40 ans pour les coques de SNLE et cuves des réacteurs, 20 ans pour les armes, 15 ans pour les systèmes de combat, 10-15 ans pour les missiles,
  • précisions sur le calendrier de renouvellement des moyens de la dissuasion (ex. : SNLE : réalisation 2020, ASA du premier SN3G 2033, homogénéité du parc 2048, RSA du 4ème SN3G à la fin des années 2080).

Le rapport précise utilement que la suffisance est « un ensemble de capacités et non un chiffre ». Assez détaillé sur les questions industrielles, il décrit à juste titre l’enjeu du lissage des plans de charge et des flux budgétaires.

Au bilan, donc, ce rapport parlementaire sur la dissuasion, comme la plupart de ses prédécesseurs, confirme l’importance des missions d’information de la représentation nationale sur ces sujets.

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Dissuasion nucléaire française : que retenir du rapport Pintat / Lorgeoux ?

Bruno Tertrais

Bulletin n°45, été 2017



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