Adoption d’un Traité d’interdiction des Armes nucléaires (2/2)
Observatoire de la dissuasion n°45
Emmanuelle Maitre,
juillet 2017
Comme attendu par l’ensemble des observateurs, le Traité d’interdiction des armes nucléaires a été adopté le 7 juillet 2017UN Treaty on the Prohibition of Nuclear Weapons (full text), ICAN Website, 7 juillet 2017.. Conclu dans un contexte de crise, seulement trois jours après l’essai d’un ICBM par la Corée du Nord, cet instrument a reçu une couverture médiatique particulière et a été perçu par certains comme urgent pour signaler l’inacceptabilité du comportement de Pyongyang et par d’autres comme complètement inepte pour prendre en compte cette menace.
122 Etats ont signé ce nouvel instrument de droit international, après une nouvelle session de négociations de trois semaines faisant suite à celle de mars. La règle du consensus n’ayant pas été adoptée, les Pays-Bas ont voté contre le texte et Singapour s’est abstenu. Pour rappel, la Présidente costaricaine de la conférence Elayne Whyte Gómez avait fait circuler en juin une première version du Traité, sur laquelle les Etats participant aux négociations étaient appelés à faire des remarques et commentaires. Alors que la session de mars avait adopté un fonctionnement assez classique aux Nations Unies, chaque Etat signalant ses préférences, la rencontre estivale a été marquée par un climat studieux avec une volonté partagée par une grande majorité de négociateurs d’aboutir à un traité solide à l’issue de la session.
Néanmoins, les cinq premières journées consacrées à l’étude article par article en plénière de la version initiale ont démontré l’existence de divergences et la nécessité de changer de méthode. La Présidente a donc constitué quatre groupes de travail pour étudier respectivement l’Article 1 (contenu de l’interdiction), les Articles 2 à 5 (garanties et possibilité d’adhésion pour les Etats nucléaires), les Articles 6 à 8 (assistance aux victimes et conséquences environnementales) et le reste du traité (réunions des Etats membres et relations du Traité aux autres conventions existantes en particulier).
Cette stratégie a permis d’accélérer sensiblement le processus, une volonté politique des ONG et Etats parties, qui ne souhaitaient pas demander l’extension du mandat de négociation à l’Assemblée Générale des Nations Unies à l’automne, et ce d’autant moins avec l’élection d’un Président hostile à l’organisation aux Etats-Unis.
Comme le laissait suggérer la version provisoire de juin et les négociations de mars, le Traité adopté contient un préambule dense qui explicite les raisons conduisant à une interdiction des armes nucléaires et rappelle entre autres les accords existants en matière nucléaire, dont bien sûr le TNP. Son caractère « fourre-tout » reflète les préférences particulières de grand nombre d’Etats. Dans l’optique de ne pas nuire au déroulement des négociations, la Présidente a préféré laissé enfler ces propos introductifs dont le seul élément ayant soulevé des difficultés est le considérant selon lequel « any use of nuclear weapons would be contrary to the rules of international law applicable in armed conflict, in particular the principles and rules of international humanitarian law », une affirmation allant au-delà de la décision de la CIJ de 1996 et ayant notamment été contestée par les Pays-Bas.
En son premier article, le texte interdit l’utilisation, la menace d’utilisation, le développement, la production, la fabrication, l’essai, l’acquisition, la possession, le stockage, le transfert, le stationnement, l’installation d’armes nucléaires ou encore l’aide à ces activités prohibées. Après un long débat, il a été décidé d’abandonner l’interdiction du transit ou transport d’armes nucléaires, un point très délicat à vérifier et qui n’est pas mentionné par exemple dans les accords créant les zones exemptes d’armes de destruction massive. En revanche, l’interdiction des essais a été préservée, avec une interprétation extensive faite par plusieurs membres de la conférence souhaitant y inclure la simulation. De même, la menace d’utilisation d’armes nucléaires fait partie du texte bien que certains Etats jugeaient que cela était déjà couvert par la Charte des Nations UniesSharon Squassoni, « A controversial ban and the long game to delegitimize nuclear weapons », The Bulletin of the Atomic Scientist, 10 juillet 2017..
Deux mécanismes cohabitent pour le fonctionnement du Traité. Pour les actuels Etats non dotés, il les oblige à maintenir les accords de garantie conclus au moment de la ratification avec l’AIEA. S’ils n’en ont pas, ils doivent adopter à tout le moins des accords de garantie généralisés (INFCIRC/153). La Suisse et la Suède se sont exprimés pendant les négociations pour viser plus haut en la matière et mentionner la nécessité de conclure des protocoles additionnels, mais l’opposition farouche d’Etats comme le Brésil ont convaincu la Présidente d’utiliser les accords de garanties comme référence universelleAlicia Sanders-Zakre, « Nuclear Weapons Ban Treaty Adopted », Arms Control Today, 11 juillet 2017.. XXX
Pour les autres, il existe trois possibilités de rejoindre le traité. Ils peuvent éliminer eux-mêmes leurs arsenaux et ratifier le texte. Ils peuvent exprimer la volonté de rejoindre le traité et le faire pendant la destruction de leurs armes, avec l’aide d’une « autorité internationale compétente » non-spécifiée, ou d’un autre Etat. Ce-faisant, ils n’ont pas l’obligation d’accepter des garanties avant l’élimination de leurs armes, une faille évidente de la version finaleJeffrey Lewis, « Safeguards Challenges in the Nuclear Weapons Ban », Arms Control Wonk, 10 juillet 2017.. Cette voie d’accès quelque peu énigmatique devrait logiquement être clarifiée par la conférence des Etats parties si le cas venait à se produire. Enfin, les Etats sur le territoire desquels des armes sont stationnées peuvent aussi ratifier le Traité dans des conditions devant être reprécisées. Après de longs débats sur la question des vérifications, les négociateurs ont décidé de proposer des procédures dès cette convention sans toutefois entrer dans des détails jugés inutiles à ce stade.
L’article 6 qui évoque l’assistance aux victimes et les réparations environnementales reflète la pression des ONG pour qui il était essentiel que le Traité ne soit pas une mesure de désarmement traditionnelle mais une véritable avancée en termes de droit humanitaire. Il leur donne également la possibilité de s’atteler à du travail concret dès l’entrée en vigueur du Traité.
Enfin, l’article 18 est le dernier ayant soulevé de réelles controverses, car il évoque les liens entre ce Traité et les autres accords internationaux liés aux armes nucléaires. Ainsi, la Suisse et la Suède se sont opposées à la formulation adoptée qui prévoit que « the Treaty shall not prejudice obligations undertaken by States Parties with regard to existing international agreements, to which they are party, where those obligations are consistent with the Treaty ». La dernière partie de la phrase a été perçue par ces deux pays comme subordonnant le TNP à ce nouveau Traité, et donc l’affaiblissant potentiellement.
Enfin, le texte prévoit des réunions biannuelles des Etats membres pour évoquer les conditions de mises en œuvre et des conférences d’examen tous les six ans.
Le traité sera ouvert à signature le 20 septembre et requerra la ratification de 50 Etats pour entrer en vigueur, une étape qui devrait être franchie dans les deux prochaines années. En effet, le processus pourrait nécessiter un examen approfondi par certains Etats notamment en raison d’accords préexistants signés avec les Etats-Unis (îles Marshall par exemple) ou de débats au Parlement (les Etats ayant le plus de réserves étant la Suède et la Suisse)Andrea Berger, Gaukhar Mukhatzhanova et Beatrice Fihn « Banning the Bomb III: Subsection A », Arms Control Wonk, 27 juillet 2017..
Peu après l’adoption du Traité, la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont publié un texte indiquant qu’ils ne comptaient pas rejoindre le Traité, un geste interprété comme la volonté de marquer clairement et dès le début que cet instrument n’est pas accepté par l’ensemble de la communauté internationale et ne pourra donc pas être considéré comme du droit coutumier.
Adoption d’un Traité d’interdiction des Armes nucléaires (2/2)
Bulletin n°45, été 2017