Corée du Nord : vers une doctrine d’escalade asymétrique ?

Observatoire de la dissuasion n°50
janvier 2018

Pour les chercheurs de l’Asan Institute for Policy Studies Choi Kang et Kim Gibum, les nombreuses analyses et réflexions publiées sur la crise nucléaire nord-coréenne occultent un aspect : les considérations doctrinales. En effet, certaines restent centrées sur l’objectif ultime de dénucléarisation de la péninsule, alors que d’autres nient la possibilité d’une stratégie de première frappe qui aboutirait en réponse à l’anéantissement du régime. Deux publications récentes ont cherché à combler cette lacune, et, se basant toutes deux sur la typologie de Vipin NarangTypologie qui propose trois doctrines possibles pour les puissances moyennes : la riposte assurée, l’escalade asymétrique ou une posture catalytique visant à provoquer l’intervention d’un acteur tiers.

Vipin Narang, Nuclear Strategy in the Modern Era, Princeton University Press, 2014.
, se sont positionnées sur l’éventuelle adoption d’une doctrine d’« escalade asymétrique ».

Le premier article, « A Thought on North Korea’s Nuclear Doctrine »Choi Kang et Kim Gibum, « A Thought on North Korea’s Nuclear Doctrine », The Korean Journal of Defense Analysis, Vol. 29, No. 4, décembre 2017, p. 495-511, commence par recenser les acquisitions technologiques nord-coréennes récentes et estimer ses arsenaux nucléaire et balistique. Il évoque ensuite les aspects doctrinaux et s’appuient notamment sur une déclaration de Kim Jung-un de mars 2016 qui évoque la possibilité de conduire des frappes nucléaires préemptives. Les auteurs s’interrogent sur la réalité d’un tel concept, relevant clairement de la rhétorique politique mais difficile à traduire opérationnellement au vu des capacités déployées à ce jour.

Pour autant, les auteurs notent plusieurs indices qui pourraient soutenir la thèse d’une adoption par le régime d’une doctrine d’escalade asymétrique, comme la diversification des armes et la miniaturisation des têtes pouvant permettre de disposer d’armes de champ de bataille. De fait, une telle stratégie pourrait être bénéfique pour un régime qui est clairement en position d’infériorité conventionnelle et ne dispose pas encore de capacités de représailles assurées.

D’autres caractéristiques laissent pourtant penser que le régime privilégie cette dernière stratégie, et notamment les efforts conduits pour disposer d’une seconde frappe invulnérable, les réticences à déléguer des ordres de tir et développer des infrastructures de commandement très complexes et les difficultés à disposer d’armes très précises. Une stratégie réaliste pourrait être de se cantonner à des cibles de contre-valeur avec un arsenal de quelques armes et ICBM dans l’optique d’une dissuasion limitée.

Entre ces deux modèles, les auteurs estiment que Pyongyang se dirige vers la doctrine d’escalade asymétrique, de par ses développements capacitaires et ses discours. Ils le déplorent, car à leurs yeux, cette stratégie de dissuasion pourrait revêtir des aspects offensifs et présenter des risques en matière de contrôle de l’escalade. Pour autant, l’arsenal ne correspond pas à l’application parfaite d’une telle stratégie, et la doctrine en vigueur demeure selon eux un mélange entre les deux modèles, avec un accent mis sur l’acquisition d’une seconde frappe assurée, l’augmentation du volume de l’arsenal et des ressources y étant consacré, et enfin, un pouvoir absolu à la tête de l’Etat permettant d’envisager la délégation des ordres de tir.

Le second article, publié par l’ECFR, s’intéresse également à la montée en puissance d’une doctrine d’escalade asymétriqueLéonie Allard, Mathieu Duchâtel et François Godement, « Pre-empting defeat: In search of North Korea’s nuclear doctrine », Policy Brief, ECFR, 22 novembre 2017.. Les auteurs de l’étude ont examiné avec attention les sources nord-coréennes en s’intéressant notamment aux évolutions depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jung-un. En préliminaire, ils notent l’importance de voir le régime comme un acteur rationnel mettant en œuvre un programme cohérent en fonction d’une évaluation du risque calculée. Ainsi, ils dénoncent le traitement médiatique occidental des déclarations publiées par KNCA et Rodong Shinmun dépeintes comme insensées, et remarquent que les articles ont gagné en précision et se sont diversifiés depuis 2008. Malgré l’absence de doctrine officielle publique, certains éléments sont régulièrement communiqués, comme la vocation défensive de l’arsenal censé empêcher une frappe de décapitation.

La Loi pour le renforcement du statut de puissance nucléaire de la République Démocratique Populaire de Corée a eu pour objectif en 2013 d’officialiser en droit interne le statut nucléaire du pays et formalise certains principes doctrinaux. En particulier, elle indique que l’arsenal nucléaire nord-coréen pourrait être utilisé en représailles d’une attaque de toute nature, et aurait alors pour objectif de la « dissuader et repousser ». Les Etats non-dotés ne sont normalement pas ciblés, sauf s’ils attaquent Pyongyang « en complot avec un Etat nucléaire hostile ».

Les auteurs estiment que la communication nord-coréenne insiste de plus en plus sur les options de frappe préemptive, une stratégie déjà évoquée dans les années 2000 mais désormais régulièrement mentionnée, par exemple dans un scénario fictif publié en 2016. Cette évolution leur parait également inquiétante. En effet, dotée d’une capacité de renseignements limitée, la Corée du Nord pourrait se méprendre entre un exercice allié et la préparation d’une attaque, et ainsi se lancer dans une escalade incontrôlée.

D’autres constations peuvent être réalisées à l’étude des informations publiées par Pyongyang. Ainsi, les cibles évoquées incluent notamment les bases américaines dans la région, mais également des centres urbains en Corée du Sud, Japon et Etats-Unis. Si la distinction entre armes tactiques et stratégiques est occasionnellement réalisée, elle reste très vague dans les termes employés, tout comme celle entre dissuasion par interdiction et dissuasion par punition. Ils ne trouvent en revanche pas de mention de « coercition nucléaire », même si certaines initiatives (naufrage du Cheonan) semblent montrer son existence.

D’autres évolutions sont notées depuis la prise de pouvoir de Kim Jung-un. Tout d’abord, le statut nucléaire du pays est clairement affirmé et n’est plus considéré comme négociable. Le sort de la Lybie et de l’Irak est souvent évoqué pour justifier cette politique. Le leader nord-coréen réclame la reconnaissance internationale de ce statut, à mesure qu’il ordonne l’accélération du programme. Au niveau sémantique, les termes « bombes H, miniaturisation et diversification » sont ceux qui ont connu le plus fort développement dans la littérature récente.

Pour les des auteurs, la stratégie d’escalade asymétrique nord-coréenne est encore imparfaite en raison d’un manque de transparence et d’une chaîne de commandement trop centralisée. Par ailleurs, le régime cherche aussi à améliorer la capacité de survie de ses armes, par crainte d’une première frappe de décapitation. Néanmoins, si la crédibilité technique fait défaut, la détermination est clairement affichée. Ils concluent que les choix doctrinaux retenus par la Corée du Nord restent largement influencés par ses développements technologiques.

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Corée du Nord : vers une doctrine d’escalade asymétrique ?

Choi Kang, Kim Gibum

Bulletin n°50, janvier 2018



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