La Chine et le Traité d’interdiction des armes nucléaires

Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), voté par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies le 7 juillet dernier, a été très peu commenté dans les médias chinois, que ce soit à travers des entretiens avec des experts ou de simples dépêches de presse. Les quelques commentaires datent majoritairement de mars 2017 lors des premières négociations concernant le texte, et non du mois de juillet. Le 20 mars 2017, le ministère des Affaires étrangères chinois avait ainsi réagi par le biais de sa porte-parole Hua Chunying, seul commentaire officiel à Pékin sur ce qui n’était alors qu’un projet de texte. Ce commentaire faisait écho au discours du Secrétaire général Xi Jinping prononcé à Genève, en janvier 2017, première visite d’un chef d’État chinois aux institutions onusiennes en Suisse, dans lequel il présentait les armes nucléaires comme « une épée de Damoclès sur l'humanité » qui devraient « être complétement interdites et minutieusement détruites au fil du temps afin de rendre le monde exempt d'armes nucléaires »« Speech by President Xi Jinping at the United Nations Office at Geneva », Xinhua.net, 18 janvier 2017..

« La Chine défend constamment et propose activement (惯主张并积极倡导) une interdiction complète et définitive des armes nucléaires, ce qui est fondamentalement conforme aux objectifs des négociations sur le traité d'interdiction des armes nucléaires. La Chine estime également que la réalisation du désarmement, qui ne peut être faite du jour au lendemain, doit être poursuivie de manière graduelle et progressive, afin de préserver la stabilité stratégique mondiale et ne compromettre la sécurité d'aucun pays. Un processus pertinent doit être mis en œuvre dans le cadre du régime international actuel de désarmement et de non-prolifération.

La Chine s’engage à une communication fran­che et régulière avec les parties concernées sur les questions relatives aux négociations du traité. Après mûres réflexions, la Chine a décidé de ne pas participer à ce nouveau cycle de négociations. C'est un choix fait dans le but de maintenir le régime international actuel de contrôle des armements et de désarmement, et de faire avancer le désarmement nucléaire de manière graduelle et progressive. Cela démontre l'attitude responsable de la Chine envers le maintien de l'équilibre et de la stabilité stratégique mondiaux (全球战略平衡与稳定). Par conséquent, que nous nous présentions à la table des négociations ou non, la position de la Chine en faveur d'une interdiction totale et définitive et de la destruction totale des armes nucléaires n'a pas changé. La Chine aimerait rester en contact avec les parties concernées et faire des efforts conjoints pour la réalisation d'un monde dénucléarisé ».

Le thème de la stabilité stratégique, désormais récurrent dans les écrits chinois sur les questions nucléaires, est celui qui est le plus largement repris dans les commentaires sur le TIAN, suivi de la mise en avant de la bonne foi de la Chine présentée comme le pays le plus exemplaire parmi les cinq puissances nucléaires officielles, mais aussi du potentiel de dialogue voire de coopération avec les États signataires du TIAN qui ne sont jamais critiqués directement. Notons qu’aucun lien n’est fait, pas même indirectement, entre la signature du TIAN et la crise nucléaire nord-coréenne, les critiques se concentrant, comme d’habitude, sur les États-Unis.

Le premier argument utilisé, notamment par Wang Baofu, professeur à l’Université de défense nationale, est la répartition du stock actuel d’armes nucléaires. Les États-Unis et la Russie détenant 93% de l’arsenal mondial, ils devraient selon l’universitaire jouer un rôle tout particulier« Ouverture d'une session spéciale de l'ONU sur la négociation d'un Traité d'interdiction des armes nucléaires – les experts considèrent que ce n'est pas le bon moment », China National Radio (央广网), 28 mars 2017.. De plus, Wu Jun et Jiang Yimin de la China Academy of Engineering Physics (CAEP) rappellent que les cinq puissances nucléaires officielles se sont mis d’accord sur le principe directeur de : « une première réduction par les États-Unis et la Russie, puis l'adhésion des autres États dotés d'armes nucléaires aux négociations sur le désarmement nucléaire lorsque les conditions sont réunies ». Ainsi, le « désarmement nucléaire devrait être une responsabilité commune mais différenciée » (核裁军应是五核国肩头共同但有区别的责任)« La conférence sur le Traité d'interdiction des armes nucléaires crée un précédent mais il est difficile de changer l'histoire », Global Times (环球网), 29 mars 2017..

Une catégorisation entre pays est réalisée mais ne se base pas simplement sur la possession d’armes nucléaires. Luo Xiaoru différencie les « grandes puis­sances nucléaires » (核大国), les « puissances nucléaires limitées » (少量拥核国), les « pays non-nucléaires sous parapluie nucléaire » (“核保护伞”下的诸国) et les « pays non-nucléaires sans protection nucléaire » (无核保护各国)« Est-il possible d’aller du nucléaire vers la paix avec le traité d’interdiction des armes nucléaires ? », Junshi Wenzhai (军事文摘), juillet 2017.. Les deux grandes puissances nucléaires, Washington et Moscou, partagent une « opposition résolue » (坚决反对) au TIAN et sont critiquées pour mettre l’accent sur leurs armes nucléaires dans leur stratégie nationale comme le souligne Du Binwei, directeur du Centre théorique de l’Ecole du Parti à Wuhan« Il est trop tôt pour parler de discussion sur l’interdiction des armes nucléaires », Zhongguo Guofangbao (中国国防报), 24 mars 2017.. Cependant, les auteurs chinois précisent tous que la responsabilité américaine est plus grande puisque si la Russie développerait des armes nucléaires pour des raisons purement défensives, les États-Unis le feraient pour des raisons défensives et offensives.

Les États-Unis sont ainsi fortement critiqués pour être à la recherche d’une « sécurité absolue », un argument utilisé par Xi Jinping dans son discours à Genève, ce qui expliquerait le développement d’un système de défense antimissile qui remettrait en cause l’équilibre international et fragiliserait la stabilité stratégique. Les auteurs ne sont cependant pas d’accord sur la nature de l’évolution politique américaine depuis l’arrivée au pouvoir du Président Trump. Li Bin, chercheur au Carnegie Endowment for International Peace et professeur à l’Université Tsinghua, estime que les États-Unis n’ont jamais voulu traiter sérieusement du désarmement nucléaire, y compris sous le Président Obama et ce malgré son discours à Prague en 2009. L’administration Trump apparaîtrait ainsi comme simplement plus réaliste. À l’inverse et dans le même article, Guo Xiaobing, vice-directeur de l’Institut de contrôles des armements et de sécurité du China Institute of Contemporary International Relations (CICIR), estime que la politique de Trump est plus radicale et que les armes nucléaires sont revenues au cœur de la stratégie américaine, malgré une stratégie de pression des sociétés civiles et leur stratégie de contournement afin d’établir des nouvelles règles de droit international, comme le TIAN« Pourquoi les puissances nucléaires ont-elles ensemble interdit l'interdiction des armes nucléaires ? », Shanghai Morning Post (新闻晨报), 23 mars 2017..

Wu Jun et Jiang Yimin partagent cet argument, considérant que cette situation empêche toute adoption réaliste d’un traité international contraignant pour les puissances nucléaires. Les deux chercheurs affirment également que les négociations avaient un « talon d’Achille » (硬伤) : un objectif irréaliste de dénucléariser à court terme sans réel processus de dénucléarisation, sans se poser la question des technologies de vérification correspondantes en tant que garanties de ce processus, et en remettant en cause l’autorité même du mécanisme existant de négociations sur le désarmement qui repose sur le consensus, et non la majorité.

L’étude la plus poussée par un expert chinois a été publiée en anglais dans le cadre du « Asia Pacific Leadership Network on nuclear non-proliferation »« China and the Nuclear Weapons Prohibition Treaty », Asia Pacific Leadership Network for Nuclear Non-Proliferation and Disarmament (APLN), septembre 2017.. Zhao Tong, physicien de formation et chercheur au Carnegie-Tsinghua Center for Global Policy, et son étudiant Raymond Wang rappellent que la Chine a été la seule puissance nucléaire officielle à ne pas avoir voté contre le début des négociations sur le TIAN à l'Assemblée générale des Nations Unies, i.e. la résolution 71/258 du 23 décembre 2016. Leur analyse est intéressante car pourrait donner des éléments de stratégie au gouvernement chinois dans sa gestion future du TIAN et de ses signataires. Les auteurs considèrent que la Chine partage une grande partie de l'esprit du traité et même que certains principes coïncident avec les objectifs de la politique chinoise, à la fois domestique et internationale, permettant à la Chine de se rapprocher des États signataires à la différence des autres puissances nucléaires.

Tout d’abord, la Chine n’est pas directement impactée par le TIAN, à l’inverse des États-Unis qui doivent s’assurer que leurs alliés dans le cadre de leur dissuasion élargie coordonnent avec Washington leur position et surtout leur opposition au traité. Ainsi, la Chine peut s’abstenir de critiquer le TIAN sans pour autant aller à l’encontre de ses intérêts, tant qu’elle ne le signe pas. La question du transit des SNLE chinois dans des zones économiques exclusives disputées entre la Chine et certains pays d’Asie du Sud-est ayant signé le TIAN comme le Vietnam, les Philippines et la Malaisie est posée mais vite écartée. En effet, l’article 1, paragraphe G du TIAN « interdit d’autoriser l’implantation, l’installation ou le déploiement d’armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires sur son territoire ou en tout lieu placé sous sa juridiction ou son contrôle ». Or, les documents légaux pour les zones exemptes d’armes nucléaires indiquent que le terme « stationner » signifie « déployer, placer, implanter, installer, accumuler ou stocker »Traité créant une zone dénucléarisée en Asie du Sud-Est, Bangkok, 15 décembre 1995. ce qui n’interdit donc pas le transit.

Ensuite, la Chine pourrait utiliser le TIAN pour se différencier des autres puissances nucléaires, faire pression sur celles-ci, et se coordonner avec les États signataires. L’article 1, paragraphe D évoque par exemple l’interdiction de la menace d’emploi des armes nucléaires ce qui est présenté comme coïncidant selon eux avec la politique de non-emploi en premier de la Chine. Le paragraphe est cependant cité partiellement car il fait en réalité référence à « l’emploi ou à la menace d’emploi ». De plus, malgré sa doctrine affichée, la Chine menace bel et bien certains États, i.e. les États nucléaires ayant recours à l’arme nucléaire en premier. Cela étant, cette mention de l’interdiction de la menace d’emploi ayant été ajoutée par Cuba, l’Égypte, l’Iran et le Kazakhstan, les auteurs conseillent aux autorités chinoises de se rapprocher de ces pays et de co-soutenir un document de travail sur la doctrine de non-emploi en premier afin de faire pression sur les autres puissances nucléaires pour qu’elles adoptent le même élément de doctrine et afin de communiquer sur cette « supériorité morale » aux yeux de l’opinion chinoise.

Une deuxième recommandation est de jouer le rôle d’intermédiaire entre les puissances nucléaires et les États non signataires, tout en participant en tant qu’observateur au TIAN, comme il est possible de le faire dans le cadre du TNP. L’objectif est de faire circuler de la documentation chinoise et d’organiser des événements pour faciliter la coopération. Il est également recommandé d’utiliser pleinement l’article 7 mentionnant l’assistance technique et financière aux États et aux victimes d’essais nucléaires, dont le Kazakhstan et le Pakistan, dans un cadre multilatéral (Organisation de coopération de Shanghai) ou bilatéral (sous le label One Belt One Road). Les auteurs ne soulignent cependant pas qu’une telle initiative risquerait potentiellement de médiatiser les propres victimes des essais nucléaires chinois dans le Xinjiang.

Ainsi, si la majorité des articles permettent une critique directe des États-Unis et mettent en avant la « responsabilité » de la Chine, cette dernière analyse permet de se poser la question de la capacité de la Chine à utiliser le TIAN pour se différencier des autres puissances nucléaires et à se positionner en intermédiaire efficace entre États signataires et États non signataires, ce qui apparaît comme difficile aujourd’hui.

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La Chine et le Traité d’interdiction des armes nucléaires

Antoine Bondaz

Bulletin n°52, mars 2018



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