Armes hypersoniques et stabilité stratégique

Observatoire de la dissuasion n°115
janvier 2024

Dans ce rapport du CSBAEvan Montgomery et Toshi Yoshihara, « Speeding Toward Instability? Hypersonic Weapons and the Risks of Nuclear Use », CSBA, 1er mai 2023., les auteurs s’interrogent sur les conséquences pour la stabilité stratégique du développement d’armes hypersoniques en Chine, en Russie et aux Etats-Unis. Les auteurs cherchent en particulier à identifier quels scénarios impliquant ce types d’armes seraient plus propices à l’escalade, et quelles sont les implications pour la politique américaine. Selon leur analyse, les causes d’instabilité provoquées par les armes hypersoniques ne sont pas nécessairement évidentes.

Plusieurs défis sont généralement associés aux armes hypersoniques en matière de stabilité stratégique. Tout d’abord, les vecteurs hypersoniques pouvant emporter des armes nucléaires ou conventionnelles sont accusés de pouvoir introduire une confusion sur la nature de la tête. Deuxièmement, la portée et la manœuvrabilité des armes hypersoniques empêchent de prédire les cibles, ce qui pourrait conduire le pays visé à adopter les hypothèses les plus pessimistes sur les conséquences d’une attaque. Troisièmement, en raison de la vitesse, de l’altitude et de la trajectoire des armes hypersoniques, les États pourraient n’être avertis de l’imminence d’une frappe que peu de temps avant l’impact, ce qui les obligerait à réagir rapidement et sous pression.

Pour les auteurs, ces craintes souvent trouvées dans l’analyse sont exagérées. En effet, la Chine par exemple dispose déjà d’une variété de capacités de frappe à double capacité qui pourraient créer la confusion sur la nature d’une attaque. Les États disposant d’arsenaux et d’architectures de commandement et de contrôle résilients pourraient choisir d’attendre et de confirmer la nature de l’attaque avant de riposter, plutôt que d’adopter une posture de lancement sur alerte. En d’autres termes, l’ambiguïté de la charge utile et de la cible ne seraient pas des facteurs significatifs d’augmentation des risques d’escalade.

Classiquement, un autre facteur est mentionné concernant les risques d’escalade liés à l’utilisation d’armes hypersoniques, à savoir la possibilité de détruire l’arsenal nucléaire d’un adversaire à l’aide de capacités conventionnelles. Ce risque est notamment pointé dans le contexte chinois, en raison de l’arsenal nucléaire historiquement limité de Beijing. Trois risques spécifiques sont généralement retenus dans l’analyse :

  • Les Etats-Unis pourraient envisager d’utiliser des armes hypersoniques conventionnelles pour détruire les forces nucléaires stratégiques chinoises, ce qui augmenterait le risque que la Chine opte pour une utilisation nucléaire rapidement dans un conflit, avant que son arsenal ne soit sérieusement atteint.
  • L’utilisation par la Chine d’armes hypersoniques conventionnelles pourrait mettre en péril les forces conventionnelles des États-Unis, ce qui augmenterait le risque que les États-Unis optent pour l’utilisation d’armes nucléaires afin de défendre leurs forces restantes, de protéger leurs alliés et de faire échec à un assaut chinois.
  • La possession par la Chine d’armes nucléaires hypersoniques pourrait constituer une menace pour les États-Unis, dans la mesure où ces armes pourraient être employées pour mener des frappes contre des cibles C2, ce qui réduirait la capacité de réaction des forces stratégiques américaines et les rendrait vulnérables à des attaques ultérieures.

Pour autant, les auteurs apportent des nuances sur ces risques également. Premièrement, du fait de l’augmentation majeure de l’arsenal chinois, la menace d’une destruction précoce dans un conflit de la capacité de riposte nucléaire semble peu crédible, et pour les auteurs, Beijing doit avoir davantage confiance dans la capacité de survie de son arsenal. Dans ce contexte, la peur d’une escalade non-souhaitée liée à une frappe américaine conventionnelle sur des systèmes à double capacité chinois devrait diminuer. En réaction, les Etats-Unis pourraient se sentir moins contraints dans leur choix de cibles dans le cadre d’un conflit conventionnel, et donc avoir moins de pression à escalader via l’usage d’armes nucléaires. Enfin, malgré cette progression de l’arsenal chinois, il semble encore bien insuffisant pour envisager une frappe en premier décapitant les forces nucléaires américaines.

En revanche, d’autres risques pourraient être plus significatifs. Ainsi, le développement de capacités nucléaires de théâtre couplées à des vecteurs hypersoniques pourrait accroître la tentation de recourir à des menaces nucléaires précocement dans un conflit pour dissuader les Etats-Unis d’intervenir en soutien de ses alliés en Asie. Par ailleurs, les auteurs du rapport reconnaissent pleinement les conséquences importantes pouvant découler de l’utilisation d’armes hypersoniques conventionnelles sur le champ de bataille et dans le renforcement de la bulle A2/AD chinoise.

Le rapport tire plusieurs conclusions de cette étude. Tout d’abord, il estime que les craintes d’escalades involontaires ne doivent pas trop restreindre les développements de technologies hypersoniques aux Etats-Unis. A ce sujet, les propos chinois concernant la vulnérabilité de leur arsenal stratégique ne devraient pas être pris trop au sérieux et ne pas induire de retenue excessive américaine en matière de ciblage. Enfin, en matière de dissuasion élargie, la crainte de découplage devrait s’accroître du fait du développement de capacités de théâtre chinoises et conduire les alliés américains à réclamer davantage de garanties de la part de Washington.

 

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Armes hypersoniques et stabilité stratégique

Bulletin n°115, décembre 2023



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