20e anniversaire du HCoC : bilan et perspectives
Observatoire de la dissuasion n°98
Emmanuelle Maitre,
juin 2022
Le 1er juin 2022, un événement organisé avec le soutien de l’Union Européenne, des Pays-Bas et de la France, mis en œuvre par la FRS, a marqué le vingtième anniversaire du Code de Conduite de la Haye contre la prolifération des missiles balistiques. Adopté en 2002, le Code de conduite de La Haye (HCoC) est un instrument politiquement contraignant visant à limiter la prolifération des vecteurs d’armes de destruction massive (ADM). Composé d’un ensemble de mesures de transparence et de confiance, le HCoC est le seul instrument multilatéral qui se concentre sur les vecteurs d’ADMKolja Brockmann, « Controlling ballistic missile proliferation. Assessing complementarity between the HCoC, MTCR and UNSCR 1540 », Research Papers, FRS, n°7, juin 2020..
En souscrivant au HCoC, les États s’engagent à respecter un ensemble de traités des Nations unies et de conventions internationales sur la sécurité spatiale, à produire une déclaration annuelle concernant leurs capacités en matière de missiles balistiques et à fournir des notifications préalables à tout lancement de missile ou d’engin spatial. Les documents sont téléchargés sur une plateforme en ligne dédiée, gérée par l’Autriche, qui fait office de contact central immédiat du HCoC (secrétariat exécutif). Si le Code demande aux États signataires de faire preuve d’une « retenue maximale » dans le développement de leurs capacités balistiques, il ne leur interdit ni de posséder des missiles balistiques ni de mener des activités de lancement dans l’espace. En contrepartie, l’adhésion au HCoC permet aux États d’avoir accès aux informations partagées par les autres États signataires et d’afficher leur engagement politique en faveur de la non-prolifération et du désarmement.
Avec 93 Etats souscripteurs à sa création en 2002, le HCoC s’est considérablement développé, comptant aujourd’hui 143 membres. Parmi les signataires récents, on trouve des Etats possédant des capacités balistiques, comme l’Inde qui a rejoint le Code en juin 2016, mais aussi des Etats qui n’en possèdent pas comme Saint-Vincent-et-les-Grenadines qui a signé en janvier 2020. Le Code est donc resté un instrument dynamique au cours des deux dernières décennies, avec une augmentation constante du nombre de signataires. En termes de mise en œuvre, le Code a connu des évolutions positives. Par exemple, l’envoi de notifications préalables au lancement (PLN) pour les essais de missiles à longue portée ainsi que pour les lanceurs de satellites (SLV) s’est généralisé au cours des dernières décennies, malgré des obstacles tels que l’existence d’accords bilatéraux préexistants entre certaines grandes puissances comme les États-Unis et la Russie.
Grâce aux efforts des présidences successifs, de l’Autriche et de l’Union Européenne (UE) à travers un programme important de soutien au Code confié à la FRSVoir le site nonproliferation.eu/hcoc pour toutes les activités liées à ce programme., la mise en œuvre du Code s’est améliorée au fil des ans. Ainsi, le site web protégé du HCoC a considérablement facilité l’accès des membres aux ressources et leur permet de remplir leurs déclarations annuelles ainsi que leurs PLN en ligneVoir www.hcoc.at. De plus, la 4ème réunion annuelle des Etats membres, qui a eu lieu en 2004, a vu l’introduction du nil form, un formulaire de déclaration annuelle simplifié créé afin de faciliter la remise des déclarations par les Etats n’ayant aucune capacité balistique ou spatiale. Ces changements ont permis une augmentation visible du nombre de déclarations annuelles remises chaque année, notamment de la part des Etats sans capacité balistique. Ainsi, le taux de remise n’était que d’environ un tiers en 2005 mais est passé à plus de deux tiers quelques années plus tard. Pour les Etats disposant de lanceurs spatiaux ou de missiles balistiques, le taux de mise en œuvre est désormais parfaitement satisfaisant. En outre, en 2021, grâce au soutien de l’UE, le site web du Code a été rénové et amélioré, et la plateforme mise à niveau, ce qui le rend beaucoup plus accessible et facile à utiliser. Enfin, l’accent mis par le Code sur la transparence a été illustré par un certain nombre de visites organisées par les États membres dans certains de leurs centres spatiaux et sites de lancement, conformément à l’article 4.a.iii du Code. La Norvège a ainsi ouvert les portes de son site d’Andøya en 2004, le Japon du Centre spatial de Tanegashima en 2005, et la France du Centre spatial de Kourou en Guyane en 2011.
Outre certaines améliorations pratiques évidentes telles que le formulaire simplifié, les réunions annuelles régulières du Code ont offert à ses membres, depuis sa création, une occasion rare de se réunir chaque année pour exprimer leurs préoccupations en matière de prolifération balistique et fournir un forum pour discuter des questions sous-jacentes. Par exemple, lors des 12ème et 14ème réunions annuelles, les États membres ont souligné leurs préoccupations concernant l’accélération du programme de missiles de la Corée du Nord et l’augmentation du nombre d’essais de missiles balistiques. Ils ont également noté des tendances inquiétantes en matière de prolifération au Moyen-Orient, en Asie du Nord-Est et, plus largement, en Asie du Sud. Lors de leur 17ème réunion, ils ont salué la décision de Pyongyang d’arrêter les tirs balistiques.
Malgré ses éléments positifs, le Code sera confronté à l’avenir à des défis rendant nécessaires certaines adaptations. La première série de défis concerne les tendances en matière de prolifération des missilesEmmanuelle Maitre et Lauriane Héau, « Current Trends in Ballistic Missile Proliferation », HCoC Issue Brief, FRS, septembre 2020.. En effet, certains programmes de missiles capables d’emporter des ADM sont toujours en cours, y compris longue portée, en particulier au Moyen-Orient. Depuis le début de l’année 2021, la Corée du Nord a considérablement accéléré son programme de missiles et son programme nucléaire, en dépit des condamnations de la communauté internationale. Si ces développements restent préoccupants, il convient de noter que, par rapport à 2002, moins de pays développent actuellement des armes balistiques pour transporter des ADM. Mais un enjeu important est de savoir comment faire face à la dissémination des missiles conventionnels et à leur emploi croissant sur le champ de bataille. Cette utilisation croissante pour des frappes militaires a été constatée dans les conflits entre la Russie et l’Ukraine (2022) ou l’Arménie et l’Azerbaïdjan (2019). Par ailleurs, dans le cadre de guerres régionales et civiles, des acteurs non étatiques ont également accès et utilisent des technologies balistiques, suscitant des inquiétudes autour des réseaux illicites de prolifération. C’est le cas des Houthis, une milice armée ayant conduit des centaines de frappes balistiques au Yémen et en Arabie saoudite selon les autorités saoudiennes, dont plusieurs dizaines confirmées par les Nations Unies. Le rôle du Code pour juguler ces tendances est à ce jour ambigu.
Deuxièmement, si les efforts internationaux visant à freiner l’acquisition de missiles balistiques, associés à des efforts accrus de contrôle aux exportations et de contre-prolifération, a effectivement entraîné une baisse des transferts de missiles capables d’emporter des ADM, cette baisse générale a incité les pays à développer leurs propres capacités nationales pour produire leurs arsenaux.
Le HCoC est également confronté à des défis technologiques. Ainsi, le Code établit un lien clair entre les ADM et les missiles balistiques, mais d’autres vecteurs potentiels ne sont pas pris en compte malgré leur potentiel caractère déstabilisateur. C’est le cas, par exemple, des missiles de croisière, des véhicules aériens de combat sans pilote (UCAV) ainsi que de certains types de planeurs hypersoniques. Ces différents cas illustrent un besoin important pour le Code de réfléchir à son domaine d’application et de s’adapter aux dynamiques actuelles dans le domaine de l’armement.
Enfin, des obstacles politiques peuvent entrer en jeu. Certains États dotés d’importantes capacités balistiques et de programmes actifs, comme la Chine, le Pakistan et l’Iran, ont exprimé une réticence persistante à rejoindre le Code. Les blocages à l’échelle régionale, notamment au Moyen-Orient, freinent également les efforts d’universalisation du Code.
La portée du HCoC reste limitée et sa contribution à la réduction de la prolifération des missiles balistiques sur ces vingt dernières années est difficile à évaluer. Cependant, depuis 2002, il a eu un effet non-négligeable sur la promotion d’un environnement international plus sûr en facilitant la transparence et le partage d’informations. Il a créé un forum unique dans lequel les États membres sont libres d’exprimer leurs préoccupations et de discuter de leurs intentions, une opportunité d’autant plus importante que les normes juridiquement contraignantes de maîtrise des armements et de non-prolifération semblent actuellement dans l’impasse. Cette mesure de confiance semble donc d’autant plus importante que le nombre d’Etats acquérant des missiles progresse et que les évolutions dans le domaine spatial pourraient démocratiser l’accès aux technologies de lancementEmmanuelle Maitre et Sophie Moreau-Brillatz, « The HCoC and Space », Research Papers, n°9, FRS, mars 2022..
20e anniversaire du HCoC : bilan et perspectives
Bulletin n°98, mai 2022