Notes de la FRS

Équilibre entre les sexes et soft power : le cas du Japon

Publication générique pour un programme/observatoire n°00/2023
Renge Jibu
23 mars 2023 Version PDf

Renge Jibu est titulaire d’une licence en droit et d’un MBA de l’Université Hitotsubashi. Avant d’occuper son poste actuel, elle a travaillé comme journaliste économique pour Nikkei Business Publications et comme journaliste indépendante. Renge Jibu a été chercheuse invitée Fulbright à l’Université du Michigan. Son domaine de travail est l’analyse de la gouvernance d’entreprise, de l’élaboration des politiques et des médias sous l’angle de l’égalité entre les hommes et les femmes. Elle donne également des conférences, rédige des articles et consulte des entreprises et des organisations gouvernementales.

 

Question 1 : Le classement du Japon en matière d’équilibre entre les hommes et les femmes est plutôt bas, quels en sont les principaux facteurs ?

Il existe de nombreux facteurs interdépendants. L’un des principaux facteurs est le déséquilibre dans la répartition du travail de soins non rémunérés.

Si l’on considère la proportion de femmes dans la population active japonaise, on voit qu’elle est supérieure à 40 %. Dans les pays européens, le ratio est presque le même. Mais en ce qui concerne les postes de direction, la proportion de femmes est d’environ 15 %, ce qui est inférieur à d’autres pays développés tels que la France (35 %).

Dans cette situation, l’écart entre les hommes et les femmes au travail est lié à l’écart entre les hommes et les femmes à la maison. En ce qui concerne les statistiques sur le temps consacré aux soins aux enfants et aux tâches ménagères par les mères et les pères dont les enfants ont moins de 6 ans, le Japon, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, la Suède et la Norvège affichent des résultats presque identiques. Dans tous les pays, les mères consacrent plus de temps aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants que les pères. L’écart entre les hommes et les femmes à la maison est un problème universel. Au Japon, cependant, l’écart est beaucoup plus important que dans les autres pays. En général, dans les pays développés, les mères de jeunes enfants font presque deux fois plus de travail non rémunéré que les pères. Au Japon, en revanche, les mères font presque six fois plus de travail non rémunéré que les pères.

Comme tous les êtres humains ne disposent que de 24 heures par jour, les femmes qui passent beaucoup de temps à la maison ne peuvent pas passer beaucoup de temps au travail. C’est arithmétique. Ainsi, pour encourager plus de femmes au travail, nous devons encourager plus d’hommes à la maison. La clé réside dans la manière dont nous changeons nos normes et notre culture en matière de genre.

Selon une étude de l’UNICEF publiée en 2019, le gouvernement japonais offre les politiques de soutien à la garde d’enfants les plus généreuses pour les nouveaux pères par rapport aux pays membres de l’OCDE et de l’UEEkaterina Chzhen, Anna Gromada, Gwyther Rees, Are the world’s richest countries family friendly?, Policy in the OECD and EU, juin 2019.. Mais en réalité, le taux de prise de congé parental par les pères japonais n’est pas élevé. Cela n’est pas dû à l’absence de politique publique, mais à la culture du lieu de travail. De nombreux hommes japonais souhaiteraient prendre un congé parental, mais hésitent à exercer leurs droits par crainte d’enfreindre les normes de genre. Dans l’ensemble, l’évolution des normes de genre et la présence accrue des pères à la maison permettent aux mères d’assumer des responsabilités au travail, ce qui leur offre davantage de possibilités d’avancement.

Enfin, je voudrais souligner l’importance de la participation des dirigeants politiques au travail de soins, à titre d’exemple. L’Islande, par exemple, est le pays le plus égalitaire en matière de genre. Selon l’indice d’écart entre les sexes du Forum économique mondial, l’Islande a été classée numéro 1 au cours des treize dernières années. Le président islandais a pris un congé parental à cinq reprises. 40 % des membres du Cabinet islandais sont des femmes.



Question 2 : Quels ont été les éléments positifs et les limites de la politique de l’ancien Premier ministre Abe en faveur des femmes ?

La politique « Women Who Shine » de feu le Premier ministre Abe était une stratégie lancée en 2013 pour revitaliser l’économie japonaise. Il a donc prononcé un discours sur ce thème à Londres, à la City, et à New York, à la Bourse. C’était un moyen de communiquer avec les investisseurs internationaux. Cette mesure était nécessaire et judicieuse, car les investisseurs étrangers s’inquiétaient du déclin de la population et de la main-d’œuvre japonaises. Il était important de les rassurer en leur disant que le Japon allait compter davantage de femmes sur le marché du travail.

Les politiques du Premier ministre Abe ont eu pour effet d’augmenter le nombre de femmes occupant des postes de direction dans les entreprises. Par exemple, au cours de la période de dix ans allant de 2012 à 2022, le nombre de femmes membres de conseils d’administration a été multiplié par 5,8. Toutefois, la proportion de femmes occupant des postes de direction dans les entreprises japonaises reste inférieure à celle en vigueur dans d’autres pays.

La politique des « Women Who Shine » étant axée sur les questions économiques, les droits humains et les questions de genre ont parfois eu tendance à être laissés de côté. Pour parvenir à une véritable égalité des sexes, le gouvernement devrait se concentrer sur l’autonomisation des femmes, notamment en luttant contre la violence sexiste et en soutenant les femmes vulnérables.

 

Question 3 : Comment le Japon peut-il améliorer la situation afin de consolider l’efficacité de son soft power en tant que leader du G7 cette année ?

Pour être franche, comme pour d’autres problèmes, il n’est pas possible de combler le fossé entre les hommes et les femmes du jour au lendemain. Je ne m’attends pas à ce que le gouvernement japonais soit en mesure de changer la situation actuelle en un an.

Cependant, nous pouvons observer plusieurs changements politiques importants. Fin février 2023, le ministère de la justice a publié une proposition visant à modifier le droit pénal relatif à la violence fondée sur le genre. Les détails et la conclusion restent à déterminer, mais la tendance est positive du point de vue de la société civile, qui a défendu les droits des victimes.

Pour la défense des femmes auprès du G7, un groupe appelé W7 (Women 7) a été créé en 2018. Il a un rôle consultatif impliquant les sociétés civiles, y compris les jeunes générations. Les dirigeants du W7 sont issus d’ONG internationales ayant des connaissances et une expérience dans le soutien aux femmes dans le monde. J’espère que des discussions et des changements de politique de ce type se multiplieront au cours de cette année importante.