Philippe Gros
Vincent Tourret
24 juillet 2019 Version PDf
Résumé
L’ambition américaine d’une synergie « multidomaine » au travers des concepts actuels de Multi-
Domain Operations (MDO) s’inscrit dans celle plus ancienne du combat interarmes et interarmées.
Elle concerne la problématique primordiale de ce type de manoeuvre : comment réussir la synchronisation
des effets entre des milieux ségrégués physiquement et l’intégration jusqu’au niveau tactique
le plus bas des actions de services aux capacités conçues selon leur propre logique de milieu ? Défi
d’optimisation et d’adaptation organisationnelle aux innovations technologiques, la synergie « multidomaine
» innerve ainsi les réflexions doctrinales depuis la découverte de l’échelon opératif, censé
justement être le niveau de commandement « catalyseur » entre objectifs stratégiques et contraintes
tactiques. L’expérience américaine poursuit en cela les travaux soviétiques, remontant aux décennies
1920-1930, mais dont l’approche en termes de synergie reste spécifiquement celle d’une subordination
des domaines de lutte à la progression des éléments terrestres. L’introduction d’AirLand Battle
en 1982 incarne ainsi le premier jalon d’une course entre les deux Grands à l’exploitation de la
grande profondeur par l’extension des domaines de lutte, de la terre à l’espace.
L’avènement des technologies de l’information dans les années 1970 avec les progrès en termes de
C2, de précision et de fulgurance qu’elles impliqueront, sera la vraie rupture technico-opérationnelle,
laquelle continue depuis d’être assimilée par le biais des concepts de network-centric warfare et
de MDO qui en sont le prolongement. La seconde rupture, d’ordre plus institutionnel, est celle de
l’interarmisation (Jointness) qui pousse à l’intégration voire à l’interdépendance des composantes
d’armée. La formulation de ces concepts de synergie multidomaine, évolutions et non plus révolutions,
demeure avant tout une réponse au problème opératif et tactique qui focalise l’attention de
l’instrument de défense américain depuis 10 ans : le déni d’accès et l’interdiction de zone par les
systèmes russes et chinois. Ce faisant, la conception opérationnelle des campagnes multidomaines,
dont les brèches dans la barrière A2/AD ne seraient forcément que la première étape, demeure
encore à décliner. De ce côté-ci de l’Atlantique, le caractère « échantillonnaire » de nos appareils
de force rend, paradoxalement, les MDO tout autant nécessaires au maintien de l’aptitude à générer
des effets que, bien souvent, hors de portée de nos capacités.