Antoine Bondaz
Gilles Boquérat
Philippe Gros
Nathalie Ruffié
10 janvier 2019 Version PDf
Résumé
La Chine, l’Inde et le Brésil sont à la pointe de la commu-nauté de puissances émergentes rassemblée depuis une dizaine d’années sous l’acronyme BRICS, pour obtenir une redéfinition de l’ordre international bâti depuis la fin de la seconde guerre mondiale sur les normes améri-caines. Depuis, si les BRICS continuent de s’incarner dans une relation multilatérale concrète, la singularisation du destin respectif de ces pays, notamment celui de la Chine, rend cette communauté de moins en moins pertinente aux yeux des analystes.
Sur le plan stratégique, les contextes ont toujours été bien différents : la Chine met à profit son exceptionnelle émergence économique pour réaliser sa « renaissance », sa « revitalisation », qui doit la rétablir au milieu du siècle à la première place des puissances mondiales. Or, recou-vrer ce qu’elle estime être sa souveraineté sur la mer de Chine ou sur Taiwan entraîne mécaniquement une lo-gique de confrontation et de subjugation de bon nombre de ses voisins. Si l’émergence de l’Inde est plus lente, ses ambitions stratégiques vont néanmoins nettement plus loin que la dissuasion de son adversaire essentiel, le Pa-kistan, et visent la prééminence sur l’océan Indien, lui per-mettant de contrer l’emprise chinoise croissante dans la région. Le Brésil, isolé sur le plan géostratégique, ne se reconnait pas d’ennemi extérieur. Son émergence écono-mique entraîne cependant le géant d’Amérique du sud vers une logique d’affirmation de puissance « classique », alors même que la lutte pour l’affirmation de sa pleine souveraineté sur ses immenses espaces intérieurs est loin d’être achevée.
En dépit de ces différences, les politiques de défense et les stratégies capacitaires de ces trois pays n’en partagent pas moins plusieurs attributs, inhérents à cette affirmation de puissance : Ces trois puissances historiquement continentales développent une puissante marine fondée sur une stratégie navale claire, traduisant en cela une voca-tion à la projection de puissance à l’échelle régionale et globale ; Elles investissent résolument les nouveaux horizons extra-atmosphérique et cybernétique, pour des rai-sons, non seulement stratégiques, mais aussi écono-miques, de souveraineté et de prestige ; Concrétisant la volonté de sécuriser leurs approches et pré-carrés, leurs stratégies incluent à des degrés divers une dimension « A2/AD » visant à dissuader toute velléité d’intervention extérieure (États-Unis pour la Chine, Chine pour l’Inde dans une certaine mesure, purement théorique dans le cas du Brésil) ; Sur le plan technico-opérationnel, les trois instru-ments militaires s’approprient pleinement les con-cepts américains de ces vingt dernières années : guerre en réseau, affrontement « multi-domaines » liant les actions dans les cinq milieux (etc.) ce qui dé-montre, s’il en était besoin, que l’instrument militaire américain reste, en matière de « Warfare », le maître-étalon de ses partenaires comme de ses adversaires ; Enfin, en investissant massivement dans leur base in-dustrielle et technologique de défense (BITD), ces puissances visent, avec des fortunes diverses cela étant, la pleine autonomie dans l’équipement de leur instrument militaire, devenu un enjeu de souverai-neté. Elles entendent, non seulement s’affranchir de leur fournisseurs « tutélaires » occidentaux et russes, mais aussi les bousculer à la table du marché des armements.