Morgan Paglia
Vincent Tourret
29 juillet 2020 Version PDf
Synthèse
Dans la période récente, la République islamique d’Iran a occupé une place centrale au Moyen-Orient à travers l’action de ses groupes partenaires (« proxys »), en Syrie, en Irak et au Yémen. Cette stratégie repose sur un mélange unique de milices organisées sur le modèle du Hezbollah que Téhéran appuie avec des capacités de combat conventionnelles (missiles balistiques, drones…) ou spéciales (cyber, action clandestine, renseigne- ment). L’appui iranien se manifeste également par la transmission d’un savoir-faire éprouvé par quarante ans d’action extérieure au Moyen-Orient et en Asie. Le principal architecte de cette politique a longtemps été la force Al-Qods dont la tâche est de coordonner et d’appuyer l’action des milices. Mais d’autres groupes (Hezbollah, Badr) ont pris un rôle actif dans la structuration de la nébuleuse des proxys pro-Iran. Après avoir connu des victoires indéniables en Syrie et en Irak face à l’Etat islamique, le réseau iranien est aujourd’hui mis face à des défis inédits tels que l’intervention saoudienne au Yémen ou la confrontation avec les Etats-Unis au sujet du programme nucléaire iranien. Pour pérenniser ses gains, le « réseau de résistance » iranien doit s’adapter, mettant à l’épreuve la capacité de Téhéran à contrôler ses proxys de manière durable.
Introduction
Dès le lendemain de la révolution de 1979, la République Islamique d’Iran, isolée diplomatiquement et en perpétuelle confrontation avec ses voisins, a su faire appel à divers groupes armés étrangers à travers le Moyen-Orient (Liban, Irak, Syrie, Etats du Golfe Persique, territoires palestiniens) et l’Asie (Afghanistan, Pakistan), comme autant de relais politiques et stratégiques. Initialement motivée par la diffusion de la Révolution islamique et de la doctrine théologique du Velayat e-faqih, cette stratégie de proxys est devenue lors de la guerre Iran-Irak un instrument de survie pour Téhéran. Profitant de l’imbroglio de la guerre civile libanaise, l’Iran a par exemple développé ses liens avec des groupes locaux pour y exercer des pressions sur les soutiens internationaux de l’Irak (France, Etats-Unis). Par la suite, des tentatives de recrutement auront lieu dans l’ensemble des pays dotés d’importantes minorités chiites (Afghanistan, Pakistan, Yémen, Syrie, Irak, Bahreïn…). Des rapprochements circonstanciés sont également opérés avec des acteurs du monde sunnite comme le Djihad Islamique palestinien ou avec les Sunnites de Bosnie pendant les conflits d’ex-Yougoslavie (1992- 1995).
Estimé par certains experts à près de 200 000 combattants en 20191, le« réseau de résistance » iranien offre à Téhéran une capacité d’influence régionale majeure mais qui implique aussi un réel effort financier et militaire. Il existe différentes organisations iraniennes susceptibles de fournir un appui technique et opérationnel à ces proxys : les Gardiens de la Révolution (Pasdaran) et tout particulièrement leur force al-Qods dédiée à l’action internationale, l’armée régulière (Artesh), ou encore le ministère du Renseignement et de la Sécurité (Vevak). Cet appui peut concerner des capacités variées, allant des drones aux missiles balistiques, et des savoir-faire spécifiques comme le combat insurrectionnel, la conduite des opérations spéciales et cyber.
Si la rhétorique idéologique passe désormais au second plan, l’Iran a appris de son histoire récente – au gré des interventions américaines et de la confrontation avec les monarchies sunnites – que sa défense se jouait à l’avant, dans les pays limitrophes. A cet égard, l’essor de l’Etat Islamique et la déstabilisation des régimes officiels en Syrie et en Irak lui ont fourni une occasion unique d’étendre son influence. Sur le terrain, ses proxys libanais, irakiens et afghans ont joué un rôle particulièrement important dans des phases décisives pour la défense du territoire irakien (bataille de Tikrit). Au plan géostratégique, l’appui crucial offert au régime de Bachar al-Assad en Syrie et à la rébellion Houtie au Yémen a rapproché l’Iran de la réalisation de deux objectifs poursuivis de longue date : l’ouverture d’un corridor terrestre reliant l’Iran au Liban et à la Méditerranée orientale, et le développement d’une capacité de nuisance idéalement positionnée à revers de l’Arabie Saoudite.
La réduction du péril djihadiste a toutefois inauguré une nouvelle phase pour la politique iranienne et la sauvegarde de ces gains parait aujourd’hui compromise par la reprise des sanctions imposées dans le cadre de la politique de « pression maximale » poursuivie par Washington. Dans cette optique, il apparait d’autant plus pertinent d’évaluer les stratégies capacitaires et opérationnelles des proxys. Cette étude présente un pano-rama des groupes affiliés à l’Iran, tente d’analyser les liens que ces derniers entretiennent avec Téhéran et propose des scénarios d’évolution de leurs capacités à l’horizon 2035 avant d’en tirer les implications et des recommandations pour les armées françaises.