La NPR vue d’Europe

La Nuclear Posture Review de l’administration Trump a été perçue de manière très contrastée à l’international. RussieComment by the Information and Press Department on the new US Nuclear Posture Review, Ministry of Foreign Affairs of the Russian Federation, 3 février 2018. et ChineLi Jiayao, « China firmly opposes U.S. Nuclear Posture Review: spokesman », Xinhuanet, 4 février 2018. ont logiquement fait part dans le cadre de déclarations officielles de leur opposition aux conclusions du texte. A l’inverse, le gouvernement japonais les ont « hautement appréciées » et a indiqué « partager avec les Etats-Unis la même analyse d’un environnement de sécurité dégradé »The Release of the U.S. Nuclear Posture Review (NPR), (Statement by Foreign Minister Taro Kono), Ministry of Foreign Affairs of Japan, 3 février 2018..

En Europe, les réactions officielles ont été rares et les prises de position sur le texte globalement plus nuancées. Ainsi, l’Allemagne fait partie des rares Etats à avoir publié un communiqué à ce sujet, particulièrement critique puisqu’il accuse les Etats-Unis de vouloir développer de nouvelles armes tactiques, ce qui « envoie un signal négatif et porte en germe le risque d’une course aux armementsForeign Minister Sigmar Gabriel on the publication of the US nuclear posture review, Federal Foreign Office, 4 février 2018.».

De fait, la plupart des commentaires et articles publiés en Europe au sujet de la NPR ont porté sur la question des fameuses armes dites « tactiques », dont la nécessité pour accroître la dissuasion américaine face à la Russie a pu être évoquée de manière neutre« Pentagons vēlas vairāk taktisko kodolieroču », NRA.lv, 3 février 2018 et Gints Amoliņš, « Krievija, Ķīna un Irāna nosoda ASV plānus modernizēt kodolarsenālu », LSM.lv, 4 février 2018, « USA tahab arendada uusi taktikalisi tuumarelvi », Pealinn, 3 février 2018., mais le plus souvent de manière négative, avec une inquiétude sur le fait qu’elles puissent être des armes employées sur le champ de bataille« Pentagon vil utvikle nye, taktiske atomvåpen », VG, 3 février 2018. dans le cadre d’une guerre « limitée mais dévastatrice »Giuseppe Sarcina, « Stati Uniti, il Pentagono svela le mini-atomiche. Mosca: «Dovremo reagire» », Corriere Della Serra, 3 février 2018..

Dans les pays hôtes des B61 de l’OTAN, plusieurs chroniqueurs se sont interrogés sur l’obsolescence probable des bombes stationnées en Europe au vu des nouveaux développements envisagés par la NPRMichel Kerres, « VS willen nieuwe, kleinere kernwapens », NRC Handelsblad¸2 février 2018. ; alors que d’autres ont insisté sur la faible portée des « mini-nukes » réclamées par le Président Trump et ont jugé que de tels systèmes existaient déjà en Europe« Amerikanische Pläne mit „kleinen“ Atombomben », Die Frankfurter Allgemeine Zeitung, 3 février 2018.. Hans Kristensen a notamment été interrogé à ce sujetStefania Maurizi, « Le piccole atomiche del Pentagono preoccupano l'Italia », La Repubblica, 5 février 2018. alors qu’un quotidien allemand a insisté sur les difficultés du débat sur le déploiement des B61 modernisées suite à la publication de la NPR« Was die US-Nuklearstrategie für Deutschland bedeutet », Die Welt, 4 février 2018..

Parmi les autres réactions négatives, on peut citer au Royaume-Uni la crainte que de telles armes rendent plus floue la distinction entre systèmes conventionnels et nucléaires« Nuclear Posture Review: US wants smaller nukes to counter Russia », BBC News, 2 février 2018., ou en France celle qu’elles « donnent le signal d’un effort de réarmement massif » américain et soient suivies d’une nouvelle course à l’armementGilles Paris, « Trump relance la course à l’arme nucléaire », Le Monde, 6 février 2018..

Pour autant, de très nombreux médias européens ont évoqué la NPR en citant avant tout les réactions russes, parfois en reprenant uniquement les arguments développés par Moscou« USA sięgną po broń jądrową nie tylko w razie wojny. Rosja: Nowa doktryna nuklearna Waszyngtonu jest konfrontacyjna », Forsal.pl, 3 janvier 2018., en citant les réponses de l’administration Trump« Jei Rusija panaudos atominį ginklą prieš NATO šalį, automatinio atsako iš JAV pusės nebus », Infa.lt, 4 février 2018., ou en y ajoutant les réactions chinoises« Nouvelle posture nucléaire américaine: la Russie et la Chine voient rouge », RFI, 4 février 2018.. Ainsi, les agences de presse suisse, autrichienne et allemande ont mis en avant les déclarations russes, chinoises et iraniennes« Vent d'indignation contre la nouvelle politique nucléaire de Washington », Le Temps, 4 février 2018, « „Mentalität aus dem Kalten Krieg“ », ORF, 4 févier 2018, « Neue US-Nuklearstrategie in der Kritik » Die Deutsche Welle, 4 février 2018.. Enfin, et toujours du côté des opposants à la Review, certains quotidiens ont fait le choix d’interviewer l’ICANBen Doherty, « US's new nuclear policy 'a blueprint for war', Nobel peace laureate says », The Guardian, 5 février 2018., ou de mettre l’accent sur les contrastes avec la NPR de l’administration ObamaClemens Wergin, « Was hinter der neuen Nukleardoktrin von Donald Trump steckt », Die Welt, 3 février 2018. et le retour à une politique de rivalité entre puissancesAmanda Mars, « Estados Unidos planea “recapitalizar” su capacidad nuclear para contrarrestar a Rusia », El Pais, 2 février 2018..

Parmi les experts européens s’étant exprimés sur le sujet, les points de vue sont un peu plus diversifiés. Certains critiques ont admis que c’était probablement moins le texte de la NPR qui posait problème, mais la personnalité du Président américain et ses déclarations menaçantesOliver Meier, « Nukleare Abschreckung gerät ins Wanken », Frankfurter Rundschau, 31 janvier 2018.. D’autres ont expliqué les tenants et les aboutissants du texte en émettant des réserves sur la manière dont il sera mis en œuvre par Donald TrumpCorentin Brustlein, « Armes atomiques : le choix tout frais des Etats-Unis pour le retour des armes tactiques va-t-il faciliter le déclenchement d’un conflit nucléaire ? », Atlantico, 4 février 2018..

Certains chercheurs ont noté les propos rassurants de la NPR sur la solidité de la dissuasion élargie dans le cadre de l’OTAN, tout en notant le risque de perte d’influence des Etats européens si des missiles SLCM venaient remplir la mission des armes actuellement déployées sur le territoire européenGustav Gressel, « The draft US Nuclear Posture Review is not as crazy as it sounds », ECFR, 19 janvier 2018.. Aux Pays-Bas, c’est également la question de l’avenir du « partage nucléaire » qui a été évoquée, avec la prédiction que la NPR mette davantage de pression sur les Etats devant renouveler leurs flottes d’avions à double capacité« Trump’s Nuclear Posture Review: A New Rift between Europe and the US? », Policy Brief, Clingendael, février 2018..

Logiquement, la description faite par la NPR de la menace russe et les arguments militaires développés pour justifier la fabrication de nouvelles armes ont été analysésMatthew Harries, « A nervous Nuclear Posture Review », Politics and Strategy, IISS, 5 février 2018.. Pour autant, les difficultés européennes à s’approprier cette nouvelle stratégie ont sans doute été mieux analysées sous l’angle politique : en effet, il a été remarqué que la nouvelle NPR risquait de compliquer les efforts européens en faveur de la non-prolifération et du désarmement. De par son image « radicale », elle donne des arguments aux supporters du TIAN et complique la tâche de ceux qui défendent une approche « « étape par étape ». En s’affranchissant de toute exemplarité sur l’application de l’article VI du TNP, Washington isolerait donc une bonne partie des Européens obligés de défendre seuls leur conviction dans le bien-fondé d’un désarmement progressifLucasz Kulesa, « The 2018 US Nuclear Posture Review: a headache for Europe », European Leadership Network, 15 février 2018..

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