Thibault Fouillet
29 juillet 2020 Version PDf
Avant-propos
L’analyse est fondée sur des documents de doctrine et discours officiels russes issus de traductions anglaises réalisées par les organes officiels russes (document de doctrine de 2014) ou par des auteurs occidentaux.
Aussi les citations relevées seront-elles exprimées en anglais directement depuis le document-source, afin d’éviter de déformer le propos. Il en est de même pour l’orthographe des noms russes, hors traduction officielle répertoriée du russe en français.
Synthèse
À l’instar du moteur ayant permis de rétablir le mouvement en 1940 après la paralysie opérée par le feu en 1914, la doctrine russe formulée autour du document-cadre de 2014 et des discours du Général Gerasimov permet, en s’adaptant à la donne sociologique et technologique contemporaine, de rétablir une liberté d’action et de conduire avec succès une bataille malgré la menace du feu nucléaire, permettant une atteinte rapide des buts de guerre (tout en prévenant l’escalade).
Cette doctrine de guerre nouvelle génération, fondée en réaction à la guerre hybride américaine, et intériorisant les grandes tendances d’évolutions capacitaires, constitue une énième mutation de la guerre par fondation d’une stratégie intégrale dont l’originalité repose sur un emploi coordonné de moyens de toute nature (civils, techniques) et, pour les moyens militaires, sur un appareil conventionnel modernisé et infovalorisé.
Les modalités opérationnelles qui en découlent recouvrent alors quatre domaines :
- L’intégration multidomaines pour la réalisation de frappes en profondeur dans l’ensemble de l’épaisseur du système ennemi (au sens large), notamment par un usage d’opérations couplées (actions non-linéaires/actions conventionnelles) ;
- La fondation d’une architecture C4ISR complète permettant de basculer du combat collaboratif aux opérations collaboratives dans la profondeur ;
- Le retour de la menace d’armes de destruction massive (ADM) tactiques et le développement d’une capacité de dissuasion conventionnelle par acquisition de moyens à « efficience nucléaire » ;
- La centralité des capacités robotiques et notamment leur massification tactique pour produire des effets de saturation à faibles coûts.
Ainsi est mis en exergue un modèle d’opérations privilégiant les actions coordonnées sur l’ensemble des capacités ennemies (population, économie, structures civiles) en usant de la totalité des fonctions disponibles (champs immatériels de désinformation, cyber, proxies, etc., et également champs matériels de frappes en profondeur) pour produire des effets tactiques et opérationnels suffisants pour paralyser la capacité de réaction ennemie.
Modèle qui n’est que partiellement compatible avec la conception française de la guerre, puisque faisant fi du respect du droit international et ne prenant pas en compte le cas d’opérations défensives. Par conséquent, les enseignements que l’armée de Terre peut tirer de la doctrine russe, aussi bien en offensive qu’en défensive, sont centrés sur les voies et moyens d’une action coordonnée de l’ensemble des domaines de la lutte dans le cadre d’opérations dans la profondeur, et ce sur l’ensemble du spectre des engagements, des OPEX à la haute intensité.